https://www.terraeco.net/spip.php?article41968
A Châteauroux, le made in France sera chinois
jeudi, 23 février 2012 / Aude Rouaux

Pour faire face à la fermeture des industries de sa ville et relancer l’emploi, le maire compte sur l’arrivée d’entreprises de l’empire du Milieu. Ses détracteurs dénoncent un projet trop beau pour être honnête.

L’homme n’a rien d’un tendre. Poignée de main de fer, visage bourru, yeux kalachnikov, Jean-François Mayet, le sénateur-maire (UMP) de Châteauroux (Indre) accueille ses visiteurs avec une chaleur toute soviétique. « A chaque article négatif, je reçois un coup de fil de l’ambassade de Chine en France. Vous ne vous rendez pas compte, mais ça peut faire reculer notre petite affaire. »

Voilà le climat installé. Car la petite affaire de Jean-François Mayet se compte en millions d’euros et en milliers d’emplois. D’ici à 2017, l’édile souhaite attirer une cinquantaine d’entreprises chinoises à Châteauroux et créer ainsi 4 000 nouveaux postes. Un « business district », selon ses termes, en pleine diagonale du vide française. Une chance inespérée pour la ville, qui a souffert de la faillite des industries textile dans les années 1980-1990 et qui va faire face, en juin prochain, à un nouveau coup dur : la fermeture de la caserne et le départ de ses 900 militaires. « Il faut faire vite, réindustrialiser la région pour attirer des emplois et des jeunes. On n’a pas le temps de cracher dans la soupe quand une opportunité comme ça se présente ! »

Agriculteurs aristocrates

Et Châteauroux a, selon le maire, les moyens de ses ambitions. Pour accueillir les entrepreneurs asiatiques, elle dispose d’un atout : une ancienne base de l’Otan qui pourrait loger les gros avions de fret en provenance de Shanghaï ou de Pékin. L’idée de Jean-François Mayet est de construire une zone industrielle reliant l’aéroport à la caserne bientôt désertée, soit en tout un parc de 500 hectares. Le problème, c’est que le tracé piétine sur les terres agricoles d’Emmanuel de Saint-Pol, un des plus grands propriétaires terriens de la région. « Il voudrait nous amputer d’un tiers de notre exploitation. Et en échange de quoi ? De terrains bien moins fertiles et plus éloignés de notre ferme. C’est insensé ! C’est comme si vous habitiez Passy et qu’on vous proposait un logement à Belleville ! », s’insurge Geneviève, la maîtresse de maison, de sa voix fluette.

Dans la famille de Saint-Pol, même la colère est bien élevée. Pas de panneaux ni de tracts. Pas non plus de slogans gouailleurs qui viendraient interpeller les riverains. Non, la ferme sait se tenir. Alors pour se défendre, les agriculteurs aristocrates « montent un dossier » pour éviter l’expropriation. Ils viennent également de créer une association. « On ne va pas se laisser faire ! Ces terres, ça représente des années de travail ! »

Dans sa croisade contre la future zone industrielle, la famille au sang bleu s’est trouvée un allié : les Lyster. Implantés depuis vingt ans dans la région, Nicole et Hugh exploitent la ferme des Ménas avec leur fils. Mais depuis trois ans, tout est en stand-by. L’arrivée des Chinois amputerait la famille des trois quarts de leurs terres. « Nous sommes en négociation avec la Communauté d’agglomération castelroussine – la CAC – dont le président n’est autre que Jean-François Mayet. Pour moi, l’affaire est simple. C’est la CAC qui souhaite racheter nos terres. Pourquoi ? Pour les revendre par la suite aux entreprises chinoises et réaliser ainsi une plus-value immobilière », commente Nicole Lyster.

(Les familles de Saint-Pol et Lyster, exploitants agricoles, craignent l’expropriation. Crédit photo : jérôme chatin - l’expansion - réa.)

L’opposition socialiste s’interroge également sur le rachat de ces terres agricoles. Car Châteauroux et ses alentours disposent de friches industrielles qui pourraient tout à fait convenir à l’installation de la zone. « Mais ces terrains ont des inconvénients car ils sont pollués. Ça coûte bien moins cher d’exproprier des agriculteurs que d’assainir les friches », constate André Bonhomme, conseiller municipal PS. « Foutaises ! », s’écrie Jean-François Mayet, en balayant la remarque d’un revers de la main. « Si on souhaite racheter ces terrains, c’est pour que le futur parc industriel soit cohérent. On ne peut pas dire voilà un bout de la zone, et dix kilomètres plus loin, de l’autre côté de la ville, voilà la deuxième partie ! »

« Faire le mariolle à Pôle emploi »

L’écologie et la préservation des zones vertes, Daniel (1), lui, « n’en a rien à cirer ». « Ce qu’il faut dans la région, c’est de l’emploi, le reste c’est superficiel. » Le visage rougi, le dos courbé par le poids des heures derrière une machine, les yeux brillants, l’ancien manutentionnaire scrute la terre en jachère qui s’étend devant lui. En 2010, Daniel a été licencié de l’usine d’emballage Mead après trente ans de bons et loyaux services.

A 54 ans, il s’est « retrouvé le bec dans l’eau, à faire le mariolle à Pôle emploi ». Il a frappé à la porte de toutes les agences d’intérim. Sans succès. « Aujourd’hui, Châteauroux propose des emplois dans le tertiaire. Je ne suis pas assez qualifié pour ça et à plus de 50 berges, je vais quand même pas retourner à l’école ! » Un matin, il tombe sur un article dans le journal régional. Une histoire d’entreprises chinoises qui s’installeraient dans les environs et qui auraient pour obligation de recruter localement au moins 80 % de leurs employés. « Ils vont rechercher des spécialistes de la logistique. C’est tout bénef pour des mecs comme nous, les anciens de la Mead. » Depuis, le Berrichon reprend espoir. Il se dit même prêt à voter pour le maire UMP aux prochaines élections municipales, lui, l’ancien encarté au Parti communiste.

Le poing de Khrouchtchev

Sur place, tous ne montrent pas le même enthousiasme devant le miracle annoncé. Car Jean-François Mayet a beau jouer les VRP à la recherche de bailleurs de fonds pékinois et multiplier les voyages en Asie, rien n’est à ce jour signé. Mais ce qui dérange Denis Guignard, responsable départemental de la CGT, « ce n’est pas tant qu’on parle d’un projet qui n’existe pas, mais c’est la raison de l’implantation des Chinois. S’ils viennent ici, c’est pour obtenir un label, le made in France, qui se vend bien plus cher sur le marché international que le made in China ».

Après confection des pièces en Chine, les produits transiteraient en avion jusqu’à la préfecture de l’Indre où ils seraient assemblés et estampillés made in France. Car le code des douanes communautaire autorise la mention du pays dans lequel « a lieu la dernière transformation ». « En Chine, les patrons sont des rois. Alors pourquoi ils viendraient s’embêter avec un code du travail ? J’ai peur que le projet fasse de Châteauroux un Prato-sur-Indre ! », ajoute Denis Guignard.

Le Prato, du nom d’une cité médiévale toscane, c’est le scénario qui effraie les Castelroussins. Aux débuts des années 1990, la municipalité transalpine encourage les entrepreneurs chinois à ouvrir des petits ateliers au cœur de cette ville spécialisée dans le textile. Mais, ne pouvant concurrencer des produits chinois bon marché, les grossistes italiens du Prato mettent progressivement la clé sous la porte. Et rapidement, la ville doit faire face à une arrivée de travailleurs immigrés clandestins, attirés par des salaires bien plus élevés qu’en Chine. Ils seraient aujourd’hui 30 000, selon le maire de Prato, Roberto Cenni. Le chiffre d’affaires des entreprises de l’empire du Milieu s’élèverait en tout, à plus de 2 milliards d’euros par an, dont la moitié repartirait sous forme de capitaux dans des banques chinoises. Pas exactement un rêve économique pour la région. L’argument fait se dresser la toison blanche de Jean-François Mayet : « Ça ne se passera pas comme ça à Châteauroux ! Moi, je vais faire en sorte que les Chinois mettent de leur sang dans ce projet, qu’ils achètent des entreprises au lieu de les louer et de repartir comme si de rien n’était, six mois après. Il faut que la main-d’œuvre soit essentiellement locale et pas clandestine. » Et de conclure, le poing levé façon Khrouchtchev : « Vous pouvez chercher le mauvais exemple, le petit inconvénient, le poil à gratter. Moi je m’en fous ! Ce qui m’anime, ce sont les emplois, encore les emplois, toujours les emplois ! » —

(1) Le prénom a été changé.


Chronologie

2009 A Châteauroux, dans l’Indre, est lancé le projet « Business district ».

Octobre 2010 Jean-François Mayet, le sénateur-maire UMP de la ville, est invité au palais de l’Elysée.

Novembre 2010 La maquette de la future zone d’activité est présentée au Président chinois, Hu Jintao, alors en visite à Paris.

Juin 2012 Fermeture de la caserne de Châteauroux. 900 militaires et leurs familles vont quitter la ville.

2017 Date butoir pour l’installation des entreprises chinoises dans la nouvelle zone.


Jacques Gautherie, businessman invisible

« Jacques Gautherie, c’est l’Arlésienne de Châteauroux. Tout le monde en entend parler, il est censé avoir un bureau ici, mais personne ne l’a jamais vu ni entendu ! », s’exclame un journaliste local. Même son de cloche du côté de l’opposition municipale. Nous avons essayé de le joindre mais l’homme « ne communique pas pour l’instant ». Pourtant, c’est bien lui qui joue les entremetteurs depuis 2009 avec les chefs d’entreprise chinois. Il est aujourd’hui directeur de la Société sino-française de développement économique de Châteauroux, une société ad hoc qui œuvre en coulisses pour leur installation dans le Berry.

L’homme d’affaires discret aurait travaillé pour le groupe Vinci et vécu quinze ans en Chine. Pourtant, c’est au Québec, sur un autre projet, que l’on retrouve sa trace. En 2006, pour faire face à la fermeture de l’aéroport Mirabel, de Montréal, un consortium dont fait partie Jacques Gautherie propose de le transformer en parc d’attractions avec hôtel et plage intérieure. Le projet s’appelle alors Rêveport et doit ouvrir ses portes en 2008. Il ne verra jamais le jour, faute de moyens. « Ça ne sert à rien de faire des comparaisons, cela n’a rien à voir avec Châteauroux ! », tranche le maire, Jean-François Mayet.


AUTRES IMAGES

JPEG - 83 ko
450 x 300 pixels