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De Marseille à la Guyane, une aventure pétrolière en eaux profondes
lundi, 30 janvier 2012 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Les pétroliers parviennent à exploiter l’or noir contenu à plusieurs kilomètres de profondeur en mer. Des projets sont en cours près de Marseille et en Guyane. Mais des données américaines montrent que rien ne garantit leur sécurité.

Mise à jour : Après l’accident de Total en Mer du Nord, plusieurs manifestations étaient organisées ce dimanche 8 avril dans le Var contre les forages au large de Marseille. En meeting à Caen, Nicolas Sarkozy a annoncé dans le même temps le non-renouvellement du permis d’exploration d’hydrocarbures de la société Melrose Mediterranean Limited : « Je n’accepterai pas de forages pétroliers en Méditerranée devant les Calanques. » Cette annonce doit être confirmée le 11 avril, date du terme de la procédure d’instruction de ce permis par l’Etat.

« En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées. » Ce slogan, lancé dans une publicité gouvernementale à la fin des années 1970 en plein choc pétrolier, est faux. La France dispose dans son sous-sol de ressources pétrolières. Problème : elles sont enfouies à plusieurs kilomètres sous la surface terrestre, en pleine mer, et sont difficilement estimables. Jusqu’à aujourd’hui, ces ressources potentielles étaient donc jugées inaccessibles, notamment pour des raisons de coûts. Mais les temps – prix du baril oblige – ont changé. Des pétroliers sondent activement les profondeurs de nos océans et des plateformes offshore pourraient bien exploiter l’or noir français dans les années à venir.

Pour comprendre comment cette conquête est devenue possible, revenons justement à l’époque du choc pétrolier. Quelques années à peine après la diffusion de la pub sur le pétrole et les idées françaises, TF1 consacre le dossier de son journal de 13h à « une première mondiale », réalisée par le pétrolier Elf-Aquitaine (on vous conseille de visionner cette pépite par ici). Le reportage s’enthousiasme pour un forage à 500 mètres de profondeur d’eau au Gabon et suggère que l’on pourra bientôt exploiter des puits jusqu’à 1 000 m de profondeur. Trente ans après, la réalité dépasse de loin ces prévisions :

Comme l’indique ce schéma, on fore aujourd’hui bien au-delà des 1 000 m. En 2011, Shell a même battu un nouveau record avec un puits à près de 2 930 m de profondeur. Et encore ne s’agit-il que de la profondeur d’eau. Or, les puits sous-marins forent également le sous-sol. Plusieurs forages dépassent aujourd’hui les 10 km de profondeur au total !

Plus dur qu’explorer l’espace

« Quand j’ai fait mes études, en 1975, on pensait qu’on ne dépasserait jamais les 800 m de profondeur. Et pour cause, travailler au-delà demande une maîtrise énorme. Il fait noir, il fait froid, seuls des robots peuvent y aller. Pour moi, cela revient à travailler dans l’espace. Et encore, il faut en plus gérer la forte pression ! », explique Paul-François Trioux, directeur général des Editions Technip, qui diffusent des ouvrages destinés à l’industrie pétrolière.

Le pétrole sort en effet du sous-sol à une température de plus de 100°C, à une pression qui peut dépasser les 600 bars (quand un Kärcher, au diamètre bien plus petit, atteint en moyenne les 100 bars), alors que la température de l’eau est, elle, inférieure à 4°C. Hors de question d’y envoyer des hommes-grenouilles. Tout est géré par ordinateur et GPS, à des niveaux d’expertises mécanique et informatique rares. Les initiés parlent de ce pétrole offshore profond comme d’une « nouvelle frontière ». Pour les détracteurs, nous sommes entrés dans l’ère du « tough oil » (pétrole coriace).

Toujours plus profonds, toujours dangereux

C’est dans le golfe du Mexique que l’exploitation du pétrole offshore est devenue massive, au début des années 2000. A l’époque, les permis d’exploration et d’exploitation sont délivrés à tour de bras – plus de 84 par an en moyenne – aux industriels par la MMS (Minerals management service), une agence gouvernementale notoirement corrompue par l’argent, le sexe et la drogue des pétroliers. En 2009, des entreprises recevront même l’autorisation de forer sans avoir reçu de permis, ni même avoir établi d’étude d’impact environnemental.

La même année, le géant pétrolier BP parvient à mener un forage à un record de profondeur – 10,685 km –, celui de Deepwater Horizon. Ce projet est annoncé comme celui qui pourrait remettre en cause la théorie du peak oil. La suite est connue : l’explosion de cette plate-forme mène à la plus grande catastrophe environnementale de l’histoire du pays en 2010.

En s’y penchant de plus près, on constate que cet accident n’est pas isolé. D’après nos calculs, basés sur les statistiques gouvernementales américaines, le nombre d’accidents a augmenté entre 2000 et 2009, au moment où les forages profonds ont massivement démarré, après trois décennies de baisse. On compte pas moins de 36 accidents par an en moyenne, alors que, dans le même temps, le volume total de pétrole pompé a légèrement baissé :

Une coïncidence ? « Non », indique Paul-François Trioux, qui assure que plus on fore profond plus les risques sont grands. La faute à la pression, explique Nicolas Fournier, coordinateur du bureau de l’ONG Oceana à Bruxelles. Les valves anti-éruption, appelées BOP (Blow out preventer, en français : blocs obturateurs de puits), résistent mal à la pression. C’est cet équipement qui a fait défaut lors de l’accident de Deepwater Horizon. Et la question n’a pas été réglée aujourd’hui. Y-a-t-il aussi plus d’accidents dans les autres zones de forage de la planète ? Aucune statistique n’est tenue. Seuls des documents confidentiels obtenus par le quotidien britannique The Guardian indiquent qu’en mer du Nord, plusieurs dizaines de fuites de tailles variables sont à déplorer chaque année.

Des investissements colossaux

Malgré tout, ces réserves de pétrole sont le nouvel espoir pour le secteur, alors que les ressources conventionnelles de pétrole s’épuisent. Les carnets de commande des entreprises de l’offshore devraient gonfler de 20% dès 2012, selon l’IFP (Institut français du pétrole). L’offshore profond devrait, lui, peser 10% de la production mondiale de pétrole en 2015, selon la revue Oil & Gas Journal. Un espoir coûteux : selon la même revue, ce sont plus de 459 milliards de dollars (349 milliards d’euros) qui vont être investis dans l’offshore d’ici à 2015, soit 50% de plus que lors des cinq dernières années.

Et la France pourrait bien s’accrocher au train de cette révolution énergétique. Dans notre pays aussi, des permis de recherche ont été délivrés au début des années 2000. D’abord à Marseille, en novembre 2002. Les entreprises TGS-Nopec, Melrose Mediterranean Limited et Noble Energy France y ont engagé des recherches sismiques.

La méthode consiste à envoyer depuis un bateau de très fortes ondes – plus de 250 décibels – pour étudier les couches géologiques et déceler de possibles hydrocarbures. Ceci n’est pas du goût des associations environnementales, qui redoutent les conséquences pour les baleines et animaux protégés du tout proche sanctuaire marin du Pélagos. Des puits d’exploration pourraient-ils y être construits, à côté également du Parc national de Port-Cros et des Calanques ? Melrose Mediterranean Limited indique « être toujours en train d’évaluer le potentiel commercial et technique de la concession et ne pas être en mesure de se positionner sur l’avenir de ses recherches ». Même réponse du côté de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) de Provence-Alpes-Côte d’Azur : « Si la demande de prolongation de titre minier est accordée, si les résultats de l’étude sismique sont satisfaisants et si l’entreprise donne des éléments d’étude d’impact satisfaisants, alors seulement elle pourra faire une demande pour construire des puits d’exploration. Mais nous n’en sommes pas là. »

La société a pour l’instant demandé l’autorisation de lancer de nouvelles études sismiques, même si plusieurs irrégularités ont été constatées dans l’utilisation du premier permis. Réponse gouvernementale promise « avant la présidentielle » (ni le ministère de l’Ecologie, ni celui de l’Energie, ni la Direction générale de l’énergie et du climat n’ont été en mesure de commenter cette information à l’heure où nous publions cet article).

Déjà un puits en Guyane

En Guyane, les affaires sont plus avancées. Un conglomérat formé par Shell, Total et Tullow Oil a lancé des études sismiques dès mai 2001. Les résultats étant prometteurs, ils ont construit un premier puits d’exploration en mars 2011. Avec le même succès : en septembre dernier Shell annonce des « résultats concluants ». En clair, il y a bien du pétrole en quantité suffisante dans ce puits situé à une centaine de kilomètres des côtes.

Une découverte qui n’est pas une bonne nouvelle pour les associations locales (voir leur infographie par ici). Christian Roudgé, coordinateur de France Nature Environnement (FNE) en Guyane déplore manquer d’informations sur les opérations en cours. Des réunions régulières sont organisées par la préfecture entre les associations et les entreprises concernées. Mais « les questions restent sans réponse », et elles n’ont pas accès aux documents produits par l’entreprise comme l’étude d’impact environnemental, alors que le puits est situé dans une zone exposée à de très forts courants marins. Quand un accident dû à la suppression est survenu en juin dernier, l’entreprise a assuré que seules des roches sous pression ont été déversées dans la mer, ce que l’écologiste juge impossible. « Seuls des fluides peuvent remonter sous pression ! » Enfin, l’association juge que rien n’est prêt en cas d’accident majeur, de type Deepwater. « Même le préfet de Guyane reconnaît que le plan Polmar n’est pas adapté », assure Christian Roudgé.

Pour Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement, la loi française n’est tout simplement pas adaptée à ces nouvelles activités. « C’est le Code minier qui régit ces prospections. J’ai un rendu un rapport à la ministre (de l’Ecologie, ndlr) Nathalie Kosciusko-Morizet en octobre dernier pour indiquer combien ce Code est désuet. » Ce texte permet de prospecter les hydrocarbures sans participation du public. Problème : les entreprises dépensent actuellement des sommes gigantesques pour ces prospections. Roland Vially, géologue à l’IFP, évalue ainsi le coût d’un seul puits d’exploration comme celui de Guyane à 100 millions de dollars (76 millions d’euros). Tandis qu’une seule étude sismique coûte environ 10 millions d’euros. « Les projets se multiplient, avec des investissements lourds et très complexes. On risque de se retrouver dans une situation de conflit si l’on trouve du pétrole, avec des entreprises qui ont dépensé beaucoup et qui veulent récolter le fruit de leur récolte, et des citoyens qui n’ont jamais été consultés et refusent de voir une plate-forme au large de leurs côtes », s’inquiète l’avocat, qui appelle à un débat public national, en amont, sur la question de l’exploitation des hydrocarbures français. Sans cela, la découverte d’or noir enfoui dans les entrailles de notre sous-sol pourrait tourner au pugilat.


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