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De l’amour à l’écologie, BASF papillonne
jeudi, 29 décembre 2011 / Emmanuelle Vibert

Quand le leader mondial de la chimie tente de se faire passer pour un Cupidon bienfaiteur de l’humanité, les écolos le rembarrent. Mais même les pubeux trouvent qu’il en fait des tonnes.

Prêts pour quelques secondes de super gnangnan ? Alors regardez le spot télé de BASF. Des images, bien cliché, d’un couple qui s’embrasse, d’autres d’une cellule qui se divise pour devenir un cœur rouge et une voix off aux modulations infantilisantes, comme on n’en ose plus dans les dessins animés pour les moins de 3 ans. Voici ce qu’elle nous dit : « Si l’amour est une réaction chimique, nous croyons alors que la chimie a de grandes chances de faire de ce monde un endroit plus harmonieux. (…) Expérience après expérience, elle œuvre pour que le sparadrap finisse par aimer l’eau, que le blé survive aux insectes ravageurs, que les familles aient moins peur des factures d’énergie, pour que les voitures et les centres-ville cohabitent mieux. » Pitié, n’en jetez plus.

Stratégie

L’entreprise allemande, leader mondial de l’industrie chimique, s’offre depuis septembre une campagne mondiale pour « montrer l’importance et la qualité de sa relation avec ses clients, ses partenaires, ses employés, ses parties prenantes et la société civile en général », nous dit le communiqué de presse. En sus du spot télé, on peut voir ici et là des pubs papier. L’une affirme que « les enfants aiment la chimie » et vantent les mérites des 32 « Kid’s Lab » créés par BASF pour sensibiliser les petits à cette science. L’autre, titrée « L’écologie aime l’économie », montre un papillon formé de pièces détachées de voiture : « Des pièces en matières plastiques BASF peuvent remplacer celles en métal pour construire des voitures plus légères et donc plus économes. Cela signifie moins d’émissions de CO2, moins de besoins en carburant et moins d’argent qui file hors de vos poches. »

Cas d’école

Avec des messages et des images aussi primaires, pas étonnant que les réactions soient vives. Et les critiques les plus cinglantes ne viennent pas des ONG, mais des professionnels de la pub eux-mêmes. Même le magazine Stratégies, ordinairement plus factuel, se laisse aller à un jugement : « Le groupe allemand va jusqu’à souligner que la chimie peut être compatible avec l’écologie. Attention au retour de bâton… » Sur le site Influencia, qui décrypte les tendances du marketing, on souligne avec ironie : « Coïncidence amusante, cette campagne qui nous donnerait presque envie de cotiser tant elle fait penser à un spot pour le Téléthon, précède la sortie de la première pomme de terre transgénique pour l’homme. Un tubercule baptisé Fortuna et enfanté par… BASF bien sûr ! »

L’entreprise souhaite en effet mettre sur le marché, en 2014 ou 2015, une patate OGM résistant au mildiou. Elle vient d’amorcer les démarches d’homologation au niveau européen. Mais selon le directeur de la communication de BASF France, la campagne de com n’est pas là pour faire passer les futures frites transgéniques : « C’est un hasard de calendrier », affirme Philippe Krasnopolski. Comprend-il que cela puisse en choquer certains ? « C’est un problème pour les ONG, tranche-t-il, mais pour les gens qui crèvent de faim dans le monde, les OGM sont une solution. » Et surtout, le communicant regrette « le manque de véritable dialogue » entre ces organisations et les entreprises. Avant de lancer : « La chimie a pu être un problème pour l’environnement dans le passé, elle peut aujourd’hui être une solution. »

Verdict

Difficile de contredire Philippe Krasnopolski sur ce dernier point. Et quand on produit une bonne partie des molécules pétrochimiques, matières plastiques et pesticides vendus dans le monde, on peut certainement contribuer à le protéger mieux en améliorant ses pratiques. BASF s’y emploie-t-elle ? Elle affiche de sérieux efforts pour limiter son bilan carbone, propose des produits pour isoler les bâtiments, investit dans la chimie verte… Mais finance en parallèle la campagne de sénateurs climato-sceptiques aux Etats-Unis – comme le dénonçait Greenpeace dans un rapport de novembre 2011 – et reste un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et de particules polluantes dans le monde. Bref, pas de quoi améliorer le dialogue avec les ONG, ni s’afficher en chantre de l’harmonie sur terre. —

L’avis de l’expert

Mathieu Jahnich, expert en communication environnementale

« Le discours est tout aussi caricatural que les images. Désolé BASF, mais où sont donc les preuves de cet engagement annoncé ? Quelles sont les démarches effectivement mises en place pour améliorer les process et les produits ? Que faites-vous pour le bien-être de vos salariés ? Comment traitez-vous vos sous-traitants, etc. ? Le tout doit être agrémenté de réalisations concrètes, chiffrées, locales mais ayant du sens pour l’ensemble des parties prenantes, au niveau mondial. Ce n’est pas facile à faire, c’est vrai. Mais cela devrait quand même être possible, non ? »

- Le site de sircome