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Alsace : Pollution chimique dans un village
jeudi, 1er décembre 2011 / Claire Baudiffier

Une substance très toxique, déchets d’une ancienne usine, vient d’être décelée dans du béton, dans un petit village alsacien. Elle contaminerait les poissons et pourrait provoquer des cancers.

Décidément, l’industrie chimique (et ses conséquences) fait bien des dégâts en Alsace. A Hagenthal-le-Bas, (Haut-Rhin), à quelques pas de la frontière suisse, une substance hautement toxique vient d’être découverte dans des chemins ruraux, apprend-t-on dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. C’est un jeune du village, Felicien Filleul, sentant des odeurs bizarres près de chez lui, qui a décidé au printemps dernier d’alerter les associations environnementales, notamment Pingwin Planet.

Cette structure zurichoise vient de publier des analyses (à lire ici, seulement en allemand) et indique, dans un communiqué de presse, que « le béton et les graviers contiennent de l’hexachlorocyclohexane (HCH), une substance très toxique, dans des concentrations allant jusqu’à 750 g par kilo ». « Cette substance aujourd’hui interdite est très dangereuse. Elle est cancérigène et peut être un perturbateur endocrinien. Depuis des années, l’eau de pluie lessive le HCH, contaminant les prés voisins et la rivière, le Lertzbach, dans laquelle des poissons sont pêchés », commente Martin Forter, de Pingwin Planet, spécialiste des pollutions chimiques.

« Pourquoi les autorités n’ont pas agi plus tôt ? »

Le HCH ne s’est pas retrouvé là par hasard. Il est issu de la production de lindane - un insecticide aujourd’hui interdit - de l’usine Ugine Kuhlmann, qui était basée à l’époque à Huningue, petit village français situé à une dizaine de kilomètres de Hagenthal. Aujourd’hui, cette société n’existe plus et appartient au groupe Rio Tinto, dont le siège social est à Londres et à Melbourne.

Pour Martin Forter, c’est donc ce groupe qui est responsable moralement - mais pas juridiquement - et qui doit donc immédiatement commencer la dépollution. « Ce n’est pas spécialement à l’État Français d’organiser l’assainissement, mais je me demande quand même pourquoi les autorités n’ont pas agi plus tôt. » Le spécialiste, qui a réalisé en 1995 un documentaire sur les déchets de l’Ugine Kulhmann, est persuadé que les pouvoirs publics sont au courant de cette pollution, qui durerait depuis près de quarante ans. Le groupe Rio Tinto répond que « le dossier est entre les mains des autorités françaises et qu’il n’est pas responsable légalement ».

Ses « accusations » font bondir François Gasser, le maire d’Hagenthal-le-Bas : « Ces analyses ont été faites derrière mon dos ! J’ai été prévenu quinze minutes seulement avant la parution du communiqué de presse. » Il paraît sceptique, que « d’un coup, les gens aient mal à la tête en passant à côté des chemins ruraux ». Le maire attend les « vraies expertises », qu’il a demandées à la sous-préfecture de Mulhouse (celle-ci n’a pas donné suite à notre demande d’interview). « De toute façon, la commune n’a pas les moyens de faire enlever quoi que ce soit, c’est au pollueur de payer. »

Le non-dit est la règle

Avec ces nouvelles craintes, l’histoire semble tristement se répéter dans cette partie de l’Alsace. Car ces dernières années, les affaires de pollutions industrielles s’y sont multipliées. Il y a à peine quelques mois dans ce même village d’Hagenthal ainsi que dans le voisin, Neuwiller, un groupement de « pollueurs » mettaient sur la table, pour redorer leur blason, 25 millions d’euros pour excaver ses déchets. Les grands de la chimie suisse - BASF, Syngenta, Novartis - dépolluaient des sites où, cinquante ans plus tôt, ils avaient enfoui leurs déchets de laboratoire.

Mais dans ces petits villages alsaciens, le non-dit est la règle. La plupart des habitants avouent, à demi-mot, que le nombre de cancers est impressionnant, mais ils sont peu nombreux à accuser directement la chimie. Et puis, difficile de savoir précisément l’importance de ces maladies. En effet, le registre des cancers du Haut-Rhin n’a pas réalisé d’enquête sur ce territoire constitué de quelques villages, « trop petit ». Mais, en avril dernier, un médecin d’Hagenthal, reconnaissait que « beaucoup de gens (avaient) un cancer » tout en relativisant : « il ne faut pas tirer de conclusions sur des cas individuels ». Le généraliste, « interpellé » par ces questions, compte mener une étude pour savoir si effectivement les cancers sont plus importants.

« La population ne veut pas voir la vérité en face, elle reste passive », confie Dominique Hohler, habitant de Neuwiller. « Une chose est sûre, avec cette nouvelle pollution, l’Alsace a, une fois de plus, servi de dépotoirs aux grands groupes industriels... »