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L’Institut français du pétrole
jeudi, 2 octobre 2008 / Julien Dupont

L’Hexagone n’a pas de brut mais des idées. Dès 1944, il a créé l’Institut français du pétrole, un centre de recherches ultraperformant qui prend aujourd’hui le virage des énergies renouvelables.

On est en 1944. La France gît à terre et doit se reconstruire. Le gouvernement crée alors l’Institut français du pétrole (IFP) afin de former les cadres du secteur parapétrolier. La pompe amorcée, les scientifiques français délaissent bien vite les salles de classe au profit des laboratoires. Leurs brevets inondent le monde entier. Ils deviennent les rois du pétrole. Soixante ans plus tard, la fin annoncée des gisements d’hydrocarbures (lire aussi Terra Economica n° 57, juillet-août 2008) et le défi écologique ont poussé l’IFP à faire sa mue.

On pense moins or noir et plus transition vers les énergies renouvelables. « C’est le sens de l’Histoire, admet Mario Di Michelis, directeur de la communication de l’IFP, qui siège à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Aujourd’hui, 60 % de nos 1 700 salariés travaillent dans le pétrole et le charbon et 40 % dans les nouvelles énergies. On va rapidement faire la bascule. » En ce moment, des ingénieurs de l’institut sont, par exemple, en mission en Chine. Ils aident leurs homologues à réduire les émissions de gaz carbonique des centrales à charbon. Le captage du CO2 est en effet devenu une spécialité française.

12 000 brevets maison

Les trois ministères de tutelle de l’IFP – Budget, Enseignement supérieur et Recherche et Ecologie, Energie, Développement durable et Aménagement du territoire – ont été très clairs sur ses futures missions. Objectif : savoir fabriquer de l’énergie à partir du bois, de la paille, du charbon liquide, de l’hydrogène. Le gouvernement exerce un « suivi très précis », confirme Mario Di Michelis. Pour preuve, le directeur de l’institut, Olivier Appert, est haut fonctionnaire. D’ailleurs, depuis 2006, l’IFP est un Etablissement public à caractère industriel et commercial (Epic). Il signe désormais tous les cinq ans un contrat d’objectif avec l’Etat. En contrepartie, il est libre de gérer ses ressources. Et son budget n’est pas anodin : 300 millions d’euros, dont une grosse moitié en provenance des contribuables.

Le solde provient des fonds propres de l’institut : dividendes, revenus des collaborations avec le secteur privé, royalties découlant des 12 000 brevets maison. Le trésor de guerre de l’IFP permet à l’organisme de jouer sur tous les terrains du globe. En France, il participe à six pôles de compétitivité. Dans les laboratoires de l’institut, à Lyon et Rueil-Malmaison, des chercheurs s’échinent chaque jour sur la mise au point de nouveaux carburants, de nouvelles motorisations, de nouveaux procédés de raffinage. « L’IFP joue un rôle très important dans la recherche et la formation », souligne Jean-Louis Schilanski, secrétaire général de l’Union française des industries pétrolières, syndical patronal qui entretient « une relation de bon voisinage avec l’IFP ». L’institut est également le pivot du Groupement scientifique moteurs (GSM) qui vise, aux côtés de Peugeot et de Renault, à construire un véhicule propre et économe.

Signe de la tension qui règne dans la filière pétrolière, la marque au losange refuse de communiquer sur ses relations avec l’IFP. Raison invoquée : le côté « sensible » de la hausse du baril pendant l’été. Du GSM sont pourtant issus les récents moteurs HDI qui font la fierté des constructeurs français. Requinqué par des vapeurs d’essence Depuis la création de l’Agence Nationale de la ReRecherche (ANR) en janvier 2007, l’IFP multiplie les partenariats avec les laboratoires en recherche et développement d’entreprises privées. En 2006, sur les 50 projets soumis par l’IFP à l’ANR, 17 ont été sélectionnés. Ils concernent le captage et le stockage du CO2, l’hydrogène, les transports (3 projets) et les agrocarburants. Cette proximité entre recherches publique et privée inquiète Blandine Laperche, directrice adjointe du Laboratoire de recherche sur l’industrie et l’innovation. « Depuis 1998 et la loi Allègre sur la valorisation de la recherche, chaque euro dépensé doit se retrouver dans le circuit économique  », explique-t-elle.

La chercheuse dunkerquoise reconnaît que ce type d’échange permet de déboucher sur des créations d’entreprises et de richesses, mais elle pointe aussi du doigt ces entreprises qui se mobilisent uniquement sur des projets promis à un bel avenir commercial  : « C’est une vision à court terme qui va à l’encontre des disciplines les moins valorisées, comme la recherche fondamentale. Cela a un effet négatif sur la diffusion de la connaissance et la capacité d’innovation.  » On peut cependant souligner, parmi les anciens salariés de l’IFP, la présence d’Yves Chauvin, prix Nobel de chimie 2005. Auteur de 55 publications et de 117 brevets, il est le symbole de cette double identité de l’IFP, naviguant entre recherche fondamentale et recherche appliquée. « Les contrats sont conclus de telle sorte que les brevets restent dans le giron de l’IFP, au moins en copropriété... », rassure Mario Di Michelis.

A Lyon, une PME spécialisée dans la récupération de vapeurs d’essences – Covaltech – connaît bien les rouages de la collaboration avec l’IFP. Son procédé a été testé dans les laboratoires de l’institut, qui a même déboursé les 5 000 euros nécessaires au dépôt du brevet. « Ils nous ont également accompagnés lors de nos rendez-vous avec le ministère de l’Environnement  », précise Serge Selles, directeur de la recherche et développement chez Covaltech. En contrepartie, l’IFP récupère la moitié des royalties du brevet. «  Ce ne sont pas des prédateurs », conclue-t-il. —


Un convoyeur de fonds L’IFP est-il également un investisseur providentiel ? Fort de ses réussites – certaines de ses créations sont aujourd’hui des géants mondiaux cotés en Bourse, comme Technip –, l’institut participe à deux fonds d’investissement dédiés à l’économie verte : Demeter et 3E, qui disposent de 120 millions d’euros. De quoi donner un coup de pouce à des entreprises comme Vergnet (éoliennes), S’Tile (plaques photovoltaïques) ou Skywater (récupération des eaux de pluie). GeoGreen, le dernier bijou de l’IFP, s’est lancé l’an dernier dans le stockage géologique du CO2.


FONDATION : 1944. EFFECTIFS : 1 720 collaborateurs, dont 1 173 chercheurs, 180 doctorants et plus de 800 étudiants issus de 50 pays. BUDGET : 300 millions d’euros dont 170 millions de dotation publique. BILAN : 12 000 brevets maison.


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