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« Comprendre la dette en 10 minutes » : possible ?
mercredi, 2 novembre 2011 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Séduisante, une vidéo publiée sur le net propose de comprendre le phénomène de la dette en 10 minutes… au prix de quelques raccourcis. Terra eco a décrypté pour vous ces images avec deux économistes.

« Comprendre la dette publique en quelques minutes ». C’est ce que promet une vidéo diffusée fin septembre, et visionnée plus de 140 000 fois. Alors que la crise de la dette semble insoluble, le défi est pour le moins ambitieux. Terra eco a passé au crible les questions et les réponses de cette vidéo avec Gunther Capelle-Blancard, directeur-adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), et Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

1) D’où vient la monnaie ? (0 à 2’50)

Les explications commencent par une métaphore : « L’économie, c’est comme une baignoire. La monnaie est son eau ». Et l’auteur de la vidéo, un certain Mr Quelques minutes de poser la question : d’où coule l’eau qui remplit la baignoire ? En clair, qui crée la monnaie, pour alimenter l’économie ?

L’auteur rappelle donc que les banques centrales ne sont pas les seules à créer de la monnaie. Les banques privées en créent aussi, lorsqu’elles émettent des prêts. « Les banques (privées) créent l’argent qu’elles prêtent par une simple écriture scripturale. Cet argent sera détruit au fur et à mesure que le prêt sera remboursé. Ce procédé s’appelle la création monétaire par le crédit », explique la vidéo.

« C’est bien fait, c’est simple, je n’ai pas grand chose à dire jusque là », commente Gunther Capelle-Blancard, directeur-adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) et spécialiste de l’économie des banques.

2) Qui prête aux États ? (2’50 à 4’23)

La seconde question posée par la vidéo est celle du créancier privilégié par les États pour s’endetter. L’auteur oppose « un temps où les États se finançaient auprès de leurs banques centrales » à l’époque actuelle où « les États utilisent le second robinet », c’est-à-dire s’endettent auprès des banques privées pour combler leur déficit. Selon l’auteur de la vidéo, cette rupture daterait de la loi de 1973 sur la Banque de France et du traité européen de Lisbonne.

Premier accroc. « Le robinet vert, c’est-à-dire celui des banques privées, tourne depuis le 16ème siècle, tout ça n’a rien de nouveau », conteste Gérard Cornilleau de l’OFCE. Ce que confirme Gunther Cappelle-Blanquart. « Dans l’économie moderne, ce sont les banques commerciales qui créent la monnaie et de ce point de vue la situation n’a pas changé depuis 1973. La seule chose qui est nouvelle, c’est que les banques centrales n’ont plus le droit d’acheter des titres de dettes publiques », corrige-t-il. En clair, afin d’éviter l’inflation, les banques centrales, qui émettent les billets, ne peuvent acheter la dette des États. La mesure visait à empêcher les banques centrales de faire tourner la planche à billet.

Mais cette interdiction explique-t-elle l’envolée des dettes publiques, comme le suggère cette vidéo ? Pas vraiment. « Si les dettes étaient moins élevées dans les années 70, c’est parce que les budgets étaient équilibrés », avance Gunther Cappelle-Blancard. Par ailleurs, les États-Unis n’ont jamais mis en place une telle interdiction, mais sont aujourd’hui tout de même très endettés.

Bilan : Contrairement à ce qu’avance l’auteur de la vidéo, les banques privées n’ont pas remplacé les banques centrales en tant que créancières des États, et le changement de législation ne peut expliquer l’augmentation des dettes publiques.

3) Comment limite-t-on les prêts par les banques ? (de 4’23 à 5’30)

La question a moins à voir avec la dette publique. Cependant, l’auteur s’y attarde longuement et assure que les banques privées peuvent émettre quasiment autant de monnaie qu’elles le souhaitent. Celui-ci indique que les banques doivent seulement disposer d’un certain montant de « réserves fractionnaires » -c’est-à-dire de réserves d’argent émis par les banques centrales- pour prêter. En clair, toujours selon l’auteur, avec un seul euro d’argent prêté par une banque centrale, les banques privées pourraient prêter six euros à leurs clients, États et entreprises. Et si elles sont à court de liquidités ? « Pas de souci, elles sont autorisées à emprunter autant que nécessaire auprès des banques centrales », assure l’auteur.

Deuxième bévue ici. « Les banques centrales ne prêtent pas autant d’argent aux banques commerciales qu’elles le veulent », explique Gérard Cornilleau. « Elles contrôlent rigoureusement la création monétaire via des taux d’intérêt directeurs, afin de limiter l’inflation ». Confirmation là encore de Gunther Cappelle-Blanquart. « Cette vision du contrôle de la monnaie est datée. Aujourd’hui ce sont les taux directeurs qui contrôlent l’émission de monnaie par les banques privées et non les réserves fractionnaires. » Pour limiter la création de monnaie, les banques centrales peuvent augmenter leurs taux directeurs, c’est-à-dire les taux de leurs prêts aux banques commerciales. Celles-ci seront alors contraintes d’augmenter leurs taux d’intérêts, si bien que moins de gens souhaiteront avoir recours au crédit, et la quantité d’argent créé par les banques cessera de croître voire diminuera.

4) Qui gagne quand les États s’endettent ? (de 5’30 à 8’50)

La vidéo rappelle que la majorité de la monnaie (l’eau de la baignoire), provient du crédit émis par les banques privées. L’auteur en profite pour dénoncer le coût de cette eau, c’est-à-dire les intérêts payés par les États et encaissés principalement par les banques. Selon ses calculs, la somme des intérêts payés par la France équivaut au montant total de la dette actuelle, environ 1 400 milliards d’euros. « Je peux vous le dire, cela représente un sacré pactole pour les banques », dénonce la vidéo.

« Là, je trouve que le raisonnement est carrément fallacieux » rétorque Gunther Cappelle Blanquart. « Lorsque l’on additionne des intérêts sur une longue période, même avec un taux faible, on arrive forcément à des sommes énormes. Or un État s’endette en permanence et sur le long terme. Remettre en cause cela c’est remettre en cause l’idée même d’intérêts sur la dette. »

Par ailleurs, les taux d’intérêt ne terminent pas entièrement dans la poche des banques. « L’auteur insinue aussi que ces prêts enrichissent uniquement les banques, et il oppose les intérêts des ménages, des Etats et entreprises d’un côté et ceux des banques de l’autre. Or, c’est plus compliqué : les États n’empruntent pas aux banques mais via les banques. Car les banques empruntent elles-mêmes pour pouvoir prêter, essentiellement auprès des ménages qui placent notamment leur argent dans des Sicav par exemple. Les banques ne sont que des intermédiaires ; elles profitent de l’écart entre le taux auquel elles se financent et celui auquel elles prêtent. Les vrais gagnants de l’endettement massif des États sont en réalité les épargnants. »

5) Quelles conclusions en tirer ? (de 8’50 à 10’35)

L’auteur conclut que les plans d’austérité à répétition ou les privatisation pour réduire la dette ne sont pas les bonnes solutions, et dénonce le poids des banques. Les questions qu’il soulève, comme le recours à l’inflation pour réduire le poids des dettes ou l’indépendance des banques centrales, ne manquent bien sûr pas d’intérêt. Mais il a recours à des approximations en voulant réunir ces critiques pour viser un seul coupable : les banques.

Malheureusement, c’est peut-être la clé de son succès. « Cette vidéo fonctionne parce qu’elle avance qu’il existe une solution simple pour sortir de la crise, en l’occurrence piocher dans le trésor des banquiers. C’est forcément porteur en période de crise aussi confuse », note Gérard Cornilleau. « Le système de création monétaire par le crédit est passionnant. En tant qu’enseignant, je constate que cela fascine toujours les étudiants de deuxième année qui découvrent un mécanisme pas du tout intuitif », avance de son côte Gunther Cappelle-Blancard.


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