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Le tableau aigre-doux du chocolat
jeudi, 29 novembre 2007 / Sophie Besse , / Isabelle Lartigot

Des plantations de Côte-d’Ivoire ou d’Amérique du Sud jusqu’aux boîtes des grands chocolatiers, le cacao suit une route chaotique. Enfants ouvriers, forêts déboisées, guerre, mais aussi commerce équitable forment les ingrédients complexes d’une recette douce amère.

Dans la région de Daloa dans l’ouest de la Côte-d’Ivoire, de hauts feuillus abritent des amateurs d’ombre. Sur cinq hectares, un millier de cacaoyers trônent, protégés du soleil. A quelques mètres du sol, la couronne de branches couve les cabosses jaune orangé, larges comme la main. Il fait plus de 25° C. L’air est moite. Les ouvriers cueillent les fruits à l’aide de machettes ou de sécateurs. Les plus habiles en collectent jusqu’à 1 500 par jour, qu’ils entassent sous les arbres, avant l’écabossage. L’écorce fendue laisse alors poindre une quarantaine de fèves d’un gramme chacune, dissimulées au coeur d’une pulpe blanche et sucrée. Transportées dans des paniers jusqu’au hangar voisin, les fèves trempent ensuite dans un bain de fermentation, avant d’être séchées au soleil sur des nattes de raphia.

La « ceinture du cacao » couvre l’Amérique latine, berceau de la culture, l’Afrique de l’Ouest, terre d’exploitation depuis le XIXe siècle, et l’Asie du Sud-Est, productrice depuis les années 1970. Sur la zone intertropicale humide, plus de 14 millions de personnes – dont 10,5 millions en Afrique – vivent du cacao dont les cultures s’étendent sur 5 millions d’hectares. Le chiffre d’affaires annuel lié au commerce de ces fèves n’est pas négligeable. Entre 4 et 5 milliards d’euros. Au total, huit pays se partagent 80 % de la production mondiale de cacao. L’essentiel se passe en Afrique, où 40 % du cacao est cultivé.

Mais ce joyau se paye. Et le prix est parfois élevé. Pour la nature, pour les enfants qui cueillent les fèves, au milieu de systèmes plus ou moins mafieux qui y puisent de l’argent sale. A lui seul, en un peu plus de deux siècles, le cacao a contribué à la destruction de 8 à 10 millions d’hectares de la forêt équatoriale africaine. « Ce continent en est à la quatrième génération de cacaoyers. Les surfaces plantées ont augmenté en avançant à l’intérieur des forêts de feuillus, souligne Philippe Bastide, spécialiste du sujet au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Or rien n’est fait pour le reboisement. »

90 % de fermes familiales

Les pesticides et les engrais contaminent les plantations industrielles de plusieurs milliers d’hectares. Dans les champs, insectes piqueurs-suceurs et champignons sont exterminés à coups de molécules chimiques, « parfois interdites depuis longtemps en Europe, comme le lindane », insiste le chercheur. Heureusement, le phénomène est circonscrit. Car 90 % des plantations sont des fermes familiales, d’une superficie de 5 à 10 hectares, trop pauvres pour se procurer les produits chimiques. Cette année, leur utilisation raisonnée en Côte-d’Ivoire aurait paradoxalement permis d’éviter une baisse de 30 % de la production, due à un champignon, la pourriture brune.

Une fève qui alimente la guerre

La situation sociale dans les plantations est elle aussi critique. Le travail des enfants, dénoncé depuis les années 1990, perdure (lire page suivante). Une enquête, menée par l’Institut international d’agriculture tropicale en 2002 et confirmée par l’Unicef en 2007, a estimé que près de 300 000 mineurs participaient encore à des travaux dangereux au coeur des plantations africaines. Toujours selon l’Unicef, deux enfants sur trois travaillant en Côte-d’Ivoire seraient originaires des pays voisins comme le Mali, le Burkina Faso, le Togo, le Niger et le Ghana et seraient victimes de filières douteuses. La traite reste « un grave problème de protection de l’enfant en Afrique de l’Ouest », déplorait en juin Youssouf Ooma, représentant de l’Unicef en Côte-d’Ivoire. Le fonds de protection de l’enfance admet pourtant ne pas disposer de programme spécifique pour lutter contre le fléau, car « la filière est très controversée et à fortes connotations politiques ». La culture du cacao serait même au coeur du conflit civil en Côted’Ivoire, d’après plusieurs experts. L’organisation non gouvernementale britannique Global Witness a récemment tiré le signal d’alarme. Dans son étude publiée en juin Chocolat chaud : Comment le cacao a alimenté le conflit en Côte-d’Ivoire, l’ONG associe le secteur cacao ivoirien « à la mauvaise gestion des revenus, à l’opacité des comptes, à la corruption et au favoritisme politique ». Difficile, sur ce terrain miné, de réfléchir à d’autres filières de production.

Le contexte n’est pas le même en Amérique latine où la conjoncture est plus favorable. Sur place, le commerce équitable s’implante à petits pas. Et grignote désormais 1 % du marché. Nicolas Gauthy, salarié de l’association Max Havelaar France, résume le concept : « Les acheteurs reversent une juste rémunération aux producteurs (environ le double de la filière conventionnelle, ndlr), s’engagent de façon pérenne et préfinancent les récoltes » à hauteur de 50 % minimum. De leur côté, les coopératives de planteurs touchent des primes au développement indexées sur le montant des récoltes. Guillaume Hermitte, gérant de l’entreprise équitable Puerto Cacao, créée en 2006, a lui aussi voulu mettre ses pas dans ceux de la filière équitable. « Pour chaque tonne de cacao achetée au Venezuela, nous reversons 200 euros qui transitent par une association locale et qui doivent être investis dans de nouvelles infrastructures, comme des toits pour des patios de séchage. » D’autres programmes, notamment en Equateur, développent le reboisement sur les parcelles de cacao, car elles ne sont pas exploitées à 100 %.

Des traders aux broyeurs

Mais revenons aux fèves de cacao. Une fois séchées, qu’elles soient équitables ou conventionnelles, elles sont agglutinées au fond de sacs de jute. Avant de rejoindre l’Europe (53 %) ou l’Amérique du Nord (26 %), « elles sont vendues à des négociants et plus rarement aux organismes d’Etat en charge de la commercialisation intérieure et/ou extérieure (Gabon, Ghana) », explique le géographe Jean Aimé Mouketou. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont imposé la libéralisation de la filière dans les années 1990.

Une fois sous la coupe des traders, les cargaisons sont revendues aux broyeurs – Cargill, Archer Daniels Midland et Barry Callebaut emportent les trois quarts du marché – ou aux industriels. Plus rarement aux artisans. Ce petit monde torréfie les fèves et fabrique la pâte, le beurre et la poudre de cacao, qui deviendront chocolat. Les multinationales, comme le n°1 Nestlé, Mars, Ferrero ou Cadbury- Schweppes, transforment les 3,5 millions de tonnes de fèves en produits chocolatés.

La petite fève striée a donc parcouru des milliers de kilomètres pour atterrir sur les tables françaises de Noël où seront englouties 40 000 tonnes de chocolat, 10 % de la consommation annuelle. Qui sort gagnant au terme de ce long voyage ? Le planteur empoche 4 % à 6 % du prix d’une tablette de chocolat. Vendue en moyenne 1,20 euros les 100 grammes (12 euros le kilo), elle nourrit plus copieusement le transformateur et le distributeur, qui se partagent 70 % du prix final. —


Les rois du chocolat

Groupe Nestlé : 60 milliards d’euros (CA 2006)

Mars : 30,6 milliards d’euros

Cadbury Schweppes : 10,6 milliards d’euros

Philip Morris International : 8,5 milliards d’euros

Groupe Ferrero : 5,6 milliards d’euros

- Politiques institutionnelles et organisation des territoires productifs du cacao et du café, Jean Aimé Mouketou, Mare et Martin (2007)

- La fin du travail des enfants : un objectif à notre portée, Organisation internationale du travail

- Chocolat chaud : comment le cacao a alimenté le conflit en Côte d’Ivoire, rapport de Global Witness

- Fair trade cocoa campaign, Global exchange

- Organisations internationales du cacao


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