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Pour un débat transparent sur notre stratégie énergétique
jeudi, 6 octobre 2011 / Nicolas Imbert /

Nicolas Imbert est directeur de Green Cross France et Territoires. Green Cross, ONG créée par Mikhaïl Gorbatchev en 1993, se focalise sur le lien entre environnement, économie et société. Par des actions de plaidoyer et des projets concrets, elle s’engage pour un futur plus durable, à travers ses 34 organisations nationales.

Quelques mois après Fukushima et les différents incidents sur les centrales nucléaires, la transition énergétique de la France nécessite une discussion urgente, intégrant consommateurs, élus, associations et entreprises.

La semaine dernière, nous apprenions la commande par EDF de 44 générateurs de vapeur. Le renouvellement de cet équipement de haute technologie est tout sauf anodin. Il constitue la première étape du renouvellement de la durée de vie des centrales nucléaires pour les trente prochaines années, et engage l’opérateur sur plus d’un milliard d’euros. Les commandes annoncées concernent des équipements qui seront disponibles entre 2015 et 2016, et dont le remplacement est une étape essentielle dans le processus de mise à niveau des centrales nucléaires à trente ans s’il est choisi de prolonger leur durée de vie.

Ceci nous incite à la plus grande vigilance. De très nombreux acteurs du débat public, qu’ils soient des associations, des élus locaux, nationaux ou européens, des entreprises ou des représentants de la société civile, se sont inscrits en faveur d’un grand débat sur la stratégie énergétique, intégrant la question du renouvellement du parc nucléaire. Il s’agit de choisir, en toute transparence, la meilleure stratégie énergétique pour le pays, qu’il s’agisse de maîtriser la demande ou de piloter l’offre vers une panoplie de solutions qui présentent les meilleures garanties de performance, de disponibilité et de sûreté.

Permettre au citoyen de se forger une opinion

Notre pays reste marqué par une approche technicienne et loin du débat public sur les choix énergétiques, ainsi qu’une compréhension très récente, quasi-adolescente, du partage des rôles entre la puissance organisatrice, l’autorité de sûreté et les exploitants. Pourtant, dans un contexte post-Fukushima et où les incidents de fonctionnement récents sur les centrales françaises incitent à la plus grande prudence, le débat sur notre stratégie énergétique nécessite une forte maturité collective, pour décrire au consommateur citoyen les choix possibles, leurs avantages et inconvénients, lui permettre de se forger en toute indépendance une opinion, et ensuite la mettre en œuvre.

Nous avons la désagréable impression que les annonces récentes, en particulier le renouvellement des générateurs de vapeur, laissent supposer une possible volonté de passer outre le débat public en préemptant le renouvellement et la mise à niveau des installations nucléaires pour les vingt à trente prochaines années. Et ce, alors que les observations de l’Autorité de sureté nucléaire vis-à-vis de l’exploitation incitent à la plus grande prudence, et suggèrent notamment une mise à niveau importante du parc nucléaire afin d’obtenir une sécurité maximale pour les trente prochaines années.

Choix objectif et rationnel

Le débat démocratique sur notre stratégie énergétique, intégrant la question de l’énergie nucléaire, est nécessaire, et urgent. Il s’agit à la fois de définir la stratégie d’investissement du contribuable, les enjeux d’approvisionnement pour le consommateur et la stratégie du citoyen. C’est un choix stratégique, qui nécessite un débat contradictoire et public, sur la base de données factuelles et de co-définition de scenarii énergétiques diversifiés afin de permettre un choix transparent, objectif et rationnel.

Nous ne pouvons dans ce contexte accepter qu’un investissement de renouvellement des générateurs de vapeur, qui représente 1,1 milliard d’euros et constitue un maillon essentiel d’une mise à niveau du parc nucléaire, puisse être considéré comme une décision strictement technique et effectué en catimini, de manière déconnectée du débat public sur la stratégie énergétique.

De nombreux autres équipements, qu’il s’agisse du pilotage ou du fonctionnement des centrales nucléaires vont arriver à obsolescence fin 2011 ou courant 2012. Il en est de même pour la mise à niveau du réseau électrique national, dont une grande partie est proche de l’obsolescence, et dont la structure actuelle complique inutilement l’intégration des énergies renouvelables. Nous pensons qu’il convient de regarder globalement ces différents renouvellements, qui suggèrent des hypothèses de dimensionnement structurantes pour notre stratégie énergétique, et d’en faire un élément essentiel du débat sur la stratégie énergétique.

Le temps est à la vigilance

Les investissements de renouvellement – exploitation des centrales ou des réseaux – risquent de préempter lourdement le débat public, et d’obérer d’autant la capacité de notre pays à enfin décider collectivement et prendre en main sa stratégie énergétique.

Il est désormais nécessaire, et opportun en cette période pré-électorale, de réunir l’ensemble des acteurs économiques, publics et de la société civile autour de la décision conjointe d’un débat sur la stratégie énergétique, déjà prévu par le Grenelle mais toujours reporté depuis, d’en définir les modalités et de s’assurer qu’en l’attente aucune décision, publique ou privée, ne vide le débat de sa substance ou n’en limite la portée. Plus que jamais, le temps est à la vigilance et à une réflexion systémique envisageant différents scenarii d’évolution pour pouvoir définir collectivement le futur énergétique que nous souhaitons, en toute transparence.