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Les « nudges » : ces coups de pouce qui nous font passer au vert
vendredi, 25 mars 2011 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Les « nudge » se mettent au vert : ce mode d’incitation, développé en sciences comportementales, commencent à être adopté en écologie, afin de motiver le passage des idées aux actes. Sans faire culpabiliser ou punir.

Nous sommes 93% à considérer le changement climatique comme un problème sérieux ou très sérieux... mais seulement un tiers à utiliser un moyen de transport quotidien à faible émission de CO2 ! Les Français auraient-ils besoin d’un « nudge » pour passer des idées aux actes ? Un « nudge », en langage scientifico-comportemental, c’est un « coup de pouce », une incitation donnée à l’individu sans être prescriptive ou culpabilisante. En clair, on bannit les « à force de faire couler l’eau du robinet, tu vas tuer la planète ! » et on use des « regarde comme ton voisin gère bien sa consommation d’eau ! ». Issus des politiques de santé publique, les « nudges », mis à la sauce écologie, sont alors qualifiés de « verts » et d’ores et déjà expérimentés à l’étranger, surtout dans les pays anglo-saxons, pour favoriser les économies d’énergie ou lutter contre la pollution.

En France et dans l’Union Européenne, ils débarquent. « Informer est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant : c’est un mythe de penser que le consommateur est rationnel ! En matière écologique, il nous est aussi difficile de voir à long terme les conséquences de nos actions. Sans compter qu’adopter des comportements pro-environnementaux, en modifiant nos habitudes, est coûteux, en terme financier mais aussi de temps. Et le gain personnel n’est pas toujours là ! Quand je pédale dans les bouchons, je fais un effort, et je me mets même plus en danger que la personne qui reste au volant de sa voiture et continue à polluer » résumait Olivier Oullier, chercheur en neurosciences et conseiller scientifique au Département Questions sociales du Centre d’Analyse Stratégique (CAS), où était organisé le colloque « incitations comportementales et environnement », mercredi 9 mars. Les « nudges verts », eux, pourraient faire passer la pilule plus en douceur. C’est en tout cas le credo de Richard Thaler, qui a popularisé le concept dans le livre Nudge : Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness. Revue de ces « coups de pouce », qui marchent ailleurs et pourraient être adaptés à la France.

Botte secrète

Première botte secrète des « nudges », le poids de la comparaison à autrui. Dans la ville de LaVerne, aux Etats-Unis, une expérience a montré que le recyclage des déchets augmentait de 19% quand on informait les habitants sur le comportement de leur voisinage : tous les matins, une note apposée sur leur porte leur indiquait ainsi combien de foyers recyclaient et quel volume de déchets était collecté : esprit de compétition oblige, les familles ont redoublé d’énergie pour trier papier, plastique et canettes et ne pas se sentir bons derniers de la rue !

Le psychologue Robert Cialdini s’est prêté à une étude semblable dans les hôtels : si vous indiquez, dans la salle de bain des chambres, que 75% des personnes ayant occupés cette chambre - une valeur arbitraire et volontairement élevé - ont réutilisé leur serviette au lieu de la changer tous les jours, alors 44% des clients conservaient effectivement leur serviettes, contre 35% si la statistique n’était pas précisée. « Inciter à modifier un comportement via les normes sociales est un outil puissant » confirme Laurent Waroquier, chargé d’études en psychologie sociale à l’Université de Toulouse II-Le Mirail.

Une option par défaut

Autre ressort utilisé par les « nudges verts », le respect de l’environnement... comme option par défaut. En France, si la facture en ligne d’électricité et de téléphone commence à se populariser, il faut parfois encore faire des pieds et des mains pour troquer la facture papier envoyée par la poste contre sa version électronique. Aux Etats-Unis, dans certaines banques ou chez certains fournisseurs d’énergie ou opérateurs téléphoniques, c’est au contraire pour recevoir une version imprimée qu’il faut batailler ! Même combat à l’Université Rutgers, qui a paramétré toutes ses imprimantes pour imposer l’impression de deux feuilles par page ou en recto-verso. Bilan : 7 millions de feuilles économisées en un semestre, soit 620 arbres !

En Chine, depuis 2008, ou en Italie, depuis le 1er janvier 2011, les sacs plastiques sont désormais bannis des caisses : pour en avoir, il faut payer. Et ça fonctionne : à Washington DC, le fait d’avoir imposé une taxe de 5 cents sur chaque sac aurait fait diminuer de 66% le nombre de sacs retrouvés dans le fleuve Potomac entre les nettoyages annuels de 2009 et 2010 ! Autant de cas décris dans la Note d’Analyse « Nudges verts : de nouvelles incitations pour des comportements écologiques », que vient de publier le CAS.

Des afficheurs intelligents

Et en France ? Dans les ministères, on commence à se prendre au jeu : l’option « écolo » par défaut a aussi été programmée dans certains d’entre eux, dans le cadre du « Plan administration exemplaire » initié en 2009. Pour les citoyens, le salut pourrait venir des compteurs Linky, développé par ERDF : ceux-ci affichent la courbe de consommation en temps quasi-réel sur des afficheurs placés au cœur des habitations... ou pourraient attirer notre attention par sms en cas de surchauffe ! Et pourquoi pas lancer, comme en Californie, la facture d’électricité contenant un graphique montrant votre niveau de consommation, la moyenne de vos voisins et celle de vos voisins les plus écolos ?

Sur la route, une nouvelle application développée par Fiat et Microsoft, baptisée Eco:Drive Blue&Me permet, grâce à un port USB, de récolter des données sur sa consommation ou le rejet de CO2. Un site communautaire permet aussi de tester sa conduite éco-citoyenne et de se comparer à d’autres internautes ! « Il y a une dimension qui n’est pas assez présente : c’est le rôle, l’implication du citoyen, qui doit être partie prenante de ces changements, explique Pierre Dechamps, représentant du Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne. Mais pour passer, le message doit être positif et faisable, et non pas faire appel à la répression ou la punition. Les nudges verts vont dans ce sens ». Sans compter que, facile à mettre en place, ils le font aussi... à moindre coût. Reste à les lancer, à plus grande échelle et dans des domaines plus variés, dans l’Hexagone.