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Les climato-sceptiques nous éloignent de l’action
vendredi, 7 janvier 2011 / Nicolas Imbert /

Nicolas Imbert est directeur de Green Cross France et Territoires. Green Cross, ONG créée par Mikhaïl Gorbatchev en 1993, se focalise sur le lien entre environnement, économie et société. Par des actions de plaidoyer et des projets concrets, elle s’engage pour un futur plus durable, à travers ses 34 organisations nationales.

, / George J. Gendelman /

Cofondateur des Ateliers de la Terre.

Pour préparer le sommet sur le climat de Rio en 2012, allons au-delà des polémiques stériles entretenues en France par des scientifiques plus présents dans les médias que dans les revues de référence.

Comprendre les évolutions du climat, en déterminer les causes, identifier les raisons et leviers d’action. Tel est, depuis le message d’alerte lancé en 1972 par le Club de Rome, l’enjeu majeur des négociations climatiques internationales. Depuis quelques années, ce message se heurte en France à un climato-scepticisme bon teint. Entre « le Grenelle, ça suffit » et le récent coup de frein sur les énergies renouvelables (solaire et éolien notamment), notre pays peine à s’inscrire dans la dynamique internationale. Un an après l’électrochoc de Copenhague, le monde a pourtant montré sa détermination et sa volonté d’action à Cancún…

La France en particulier, et l’Europe plus généralement, étaient particulièrement absents. Faute de solutions, de créativité, d’innovation ? Probablement pas. Mais faute de volonté claire d’agir, probablement. Et nous pensons que cela est en particulier la conséquence d’un climato-scepticisme larvé et malicieux.

Est-ce parce qu’on est lent à trouver des solutions contre le changement climatique que l’on doit pour autant casser le thermomètre ? Telle est la question que nous posent les climato-sceptiques, notamment en France. Leurs prises de position s’habillent de rhétorique scientifique, elles s’expriment pourtant beaucoup plus sur les plateaux de télévisions et dans les magazines d’actualité que dans les revues scientifiques à comité de lecture. Censure ? Ostracisme ?

A l’invitation de Valérie Pécresse, l’Académie des Sciences a provoqué le 20 septembre dernier un débat scientifique sur le changement climatique. Ceci était une réponse à la communauté des climatologues qui ont envoyée une lettre à la ministre de la Recherche dénonçant les agissements de Claude Allègre et d’autres auteurs qui « oublient les principes de base de l’éthique scientifique ». Loin de vouloir démontrer la pertinence de ses arguments devant la communauté scientifique, Claude Allègre est parti au bout d’une heure, en catimini, montrant par là le peu de fondement scientifique de son propos. Et c’est bien là le problème !

La prise de position du climato-scepticisme français s’habille de vernis scientifique mais est éminemment politique. Or, alors que le processus politique de lutte contre le changement climatique, enlisé, nécessite un leadership fort, les climato-sceptiques français créant la controverse, rendent psychologiquement moins urgent l’infléchissement des comportements, et installent le doute : « le développement durable, ça suffit ».

Il est à noter, cependant, qu’une divergence existe entre les climato-sceptiques assumés, qui se trouvent être anglo-saxons, et les climato-sceptiques mondains, presque tous français, qui distillent le doute sans rentrer dans l’argumentation contradictoire. En effet, les Anglo-Saxons présentent de manière transparente la liste de leurs financeurs et rendent public le détail de leur argumentation technique. Ainsi, le débat en devient plus efficace parce que plus clair et plus large. En contradiction, le modèle français relève de la tarte à la crème. Il consiste à déstabiliser par des saillies verbales, puis à tourner le dos à tout débat. La fuite de Claude Allègre à l’Académie des Sciences en est un exemple éloquent.

« Vous êtes ce que vous faites » , disait Severn Cullis-Suzuki au Sommet de Rio en 1992. Le débat entre les climato-sceptiques et les climato-réalistes français nous éloigne de l’action. N’était ce pas pour cela que la COP 16 de Cancún s’est tenue dans une quasi indifférence médiatique en France ?Allons-nous célébrer les vingt ans du Sommet de Rio dans un marasme climatique européen, perdant à la fois la bataille de l’innovation et celle du climat, et laissant l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est s’enliser dans l’adaptation à des phénomènes dont la cause est connue ?

L’urgence d’agir est éminente. Dans un rapport (1) sorti en septembre 2010, la Deutsche Bank, après avoir interrogé des spécialistes mondiaux du climat, montre que les arguments des climato-sceptiques reposent sur des erreurs grossières mais freinent les investisseurs dans la lutte contre le changement climatique.

En France, les changements récents et répétés des stratégies gouvernementales d’accompagnement de l’éolien, du solaire et de l’économie carbone, que ce soit sur la taxation ou l’investissement, ont mis à mal la compétitivité de la filière, durablement. Alors que les climato-sceptiques brandissent le mythe de l’innovation en réponse à des évolutions climatiques que par ailleurs ils contestent, la publicité accordée à leurs prises de position conduit à freiner fortement l’innovation verte, et à accélérer le changement climatique, tout en rendant chaque jour notre pays plus loin de mener à bien les chantiers de la transition vers une économie « bas carbone ». Cette évolution est-elle irréversible ? Nous pensons que non.

(1) « Climate Change : Addressing the Major Skeptic Arguments »

Les auteurs s’expriment ici à titre personnel