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26-10-2014
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Climat
Monde

Le Giec, antichambre des négociations climatiques

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Le Giec, antichambre des négociations climatiques
(Crédit photo : iisd - earth negotiations)
 
Ce 2 novembre, le Giec remettra le dernier volet de son rapport sur le climat. Avant de le rendre public, les scientifiques auront passé 5 jours enfermés à défendre leurs textes devant les délégations de plus de 100 pays. Plongée dans les coulisses de ce marathon.
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Ils sont arrivés, les traits tirés et le sourire timide. 50 heures qu’ils dialoguaient sans répit pour tenter de décrocher la timbale : un consensus sur une trentaine de pages bardées de textes et de schémas. Aux environs de 10h, le 27 octobre 2013, Thomas Stocker et Qin Dahe, les co-présidents du groupe 1 ont pu enfin conter au monde l’état des connaissances de la science sur le changement climatique et livré le tant attendu « Résumé à l’intention des décideurs » (RID). C’est ce petit texte, concentré ultra-dense de leurs conclusions, qui leur aura valu deux quasi nuits blanches, livrés au feu d’une centaine de pays. Lui encore sur lequel les gouvernements s’appuieront lors du Sommet de Paris fin 2015. Ces RID, il y en eut deux autres, âprement négociés à Yokohama en mars 2014 – pour la partie « adaptation au changement climatique » - puis à Berlin – pour le chapitre sur l’atténuation - en avril. Un ultime RID, examiné à Copenhague ce 27 octobre, viendra à son tour condenser au plus court la synthèse des travaux. Un super-résumé en somme pour clore des mois de saga scientifique.

Plonger dans les arcanes de ces drôles de rapports vaut la peine. Car pour que, péniblement, ils éclosent, les scientifiques et les délégations des pays s’enferment cinq à six jours durant dans une immense salle de travail. Là, derrière l’estrade, un écran livre le texte au compte-goutte. Chaque fois, la ritournelle est la même : « l’un des présidents lit la première ligne du RID et demande s’il y a des commentaires dans la salle. Et là les gouvernements ouvrent le feu », précise Reyer Gerlagh, professeur néerlandais spécialisé en économie du climat. Une fois adopté à l’unanimité – c’est la règle -, l’extrait est surligné de vert et l’analyse passe à la phrase suivante. Mais avant que le feu vert soit donné, il faut des minutes, des heures, parfois des jours de discussions.

Quelquefois les précisions sont futiles, presque risibles. « Une délégation a fait changer “connaît un pic dans la première moitié du siècle” en “connaît un pic avant 2050”, s’amuse John Broome, un chercheur britannique lui aussi présent à Berlin, sur le blog du « London Review of Books ». S’il rit, c’est jaune : « Il était presque minuit le jeudi, c’était le quatrième jour de débat sur cinq jours et il restait les trois quarts du texte à approuver. » « Rien que l’introduction [du RID 3] a entraîné immédiatement beaucoup de débats, surenchérit Reyer Gerlagh. Pourtant il n’y a rien de substantiel dans cette introduction, elle donne simplement le contexte du groupe 3. Même là-dessus, les pays étaient très tatillons. Ils faisaient très attention à ce que rien ne soit inclus dans le texte qui puisse être considéré comme dangereux pour les intérêts de leur pays » Et de poursuivre, compréhensif : « Les mots ont un sens pour les gens. S’il y a une ambiguïté, il peut y avoir interprétation. Et celle-ci sera peut être défavorable à une délégation. »

Exemple de débat lors de la réunion du groupe 2 à Yokohama (Japon) (Extrait du « Bulletin des négociations de la Terre)

Mais d’autres fois, les délégués lèvent franchement un lièvre. Au cour de l’examen du RID du groupe 2 à Yokohama, les pays Africains brandissent une carte (Page 7 ndlr) :« Ils disaient qu’il y avait en réalité plus d’impact du réchauffement en Afrique que ce que montrait la carte, se souvient Wolfgang Cramer, l’un des auteurs du RID 2. J’ai répondu que nous avions cherché dans la littérature existante mais que les données et les analyses scientifiques manquaient » C’est l’impasse. Sous la direction du président du Giec, Rajendra Pachauri, les délégués et les chercheurs concernés par le chapitre sortent de la salle et tiennent un meeting informel dans un couloir. Ils finiront par comprendre que si les chercheurs ne nient pas la présence d’impacts en Afrique, l’absence d’analyses scientifiques empêche le Giec de les dénoncer. « C’est un exemple qui montre que le dialogue a fonctionné. J’aurais pu leur dire “vous avez déjà eu 35 opportunités de vous exprimer.” Mais ça n’aurait servi à rien. On a fait ça dans le couloir et c’était très bien » , précise Wolfgang Cramer. Pourquoi les délégations africaines n’ont-elles pas réagi plus tôt ? Après tout, comme le souligne Wofgang Cramer, elles ont déjà lu maintes fois le texte. Pondu dans une première version quelques mois auparavant par les chercheurs, il est passé entre leurs mains pour une ou plusieurs salve de commentaires. Des commentaires échangés en secret mais dont Terra eco s’est procuré une version.

Exemple de commentaires reçus par les auteurs du Groupe 1 en août 2013

Simplement parce qu’entre temps, le texte a pu varier. « Un pays peut faire un commentaire expliquant qu’ils ont un problème avec telle ou telle déclaration. Nous changeons cette formulation. Alors un autre pays, qui n’avait pas de souci auparavant, peut ne pas apprécier le changement. » C’est l’intérêt de convier, au bout du compte, les pays à un grand raout : « Il y a un moment où vous devez mettre tout le monde ensemble pour que chacun ait l’opportunité de présenter son cas », précise Reyer Gerlagh.

Mais dans l’Assemblée sous pression, les choses tournent parfois à la paralysie. Ce fut le cas avec le groupe 3 réuni à Berlin, dès l’ouverture. Ce jour-là, les pays sont formels : classer les nations par niveau de richesse (pays à bas, moyen ou haut revenu) est une hérésie. Un groupe dit « de contact » est formé. Une poignée de délégués et scientifiques se réunissent ainsi et finissent par tenir un véritable petit sommet parallèle, trois jours durant. Derrière les portes closes, le ton monte entre les scientifiques et les délégations : « Certains délégués ont commencé à la jouer moins sympathique. Ils insinuaient que nous n’avions pas suivi la littérature. Que le résumé n’était pas cohérent avec le rapport principal. Ils suggéraient que nous, les auteurs du SPM, présentions un résumé volontairement biaisé avec une catégorisation qui donnerait trop de poids à certaines régions. C’est devenu très politique » , se souvient Reyer Gerlagh.

Le chercheur sent que l’issue s’envole. Trois jours plus tard, ses craintes se confirment. Le groupe de contact revient, tête basse, vers les délégations et les chercheurs demeurés en plénière : aucun compromis n’a été trouvé. Et comme le texte doit être approuvé au consensus, la solution est radicale. « Parce que certains pays n’en voulaient pas (notamment l’Arabie Saoudite à en croire John Broome, toute forme de catégorisation des pays a dû être retirée soit 4 graphiques et deux paragraphes et demi, ndlr). C’est resté dans le rapport principal et le résumé technique (lire p.14, ndlr) mais pas dans le RID qui est le texte le plus consulté », regrette Reyer Gerlagh.

D’autres parties de texte sont passées elles aussi à la trappe, après l’intervention des pays. Il y a la section 5.2 du RID 3 raccourcie de trois quarts après le passage des délégations réunies là encore en groupe de contact. Supprimées notamment toutes les références aux épisodes de négociations passées, au protocole de Kyoto comme accord juridiquement contraignant ou à sa ratification manquée.

Item_A.pdf by Terra_eco

Le document original

Item_B.pdf by Terra_eco

Le document tronqué

Après des heures de débat prolongé jusqu’aux prémisses de l’aube, des appels des délégués à leurs gouvernements et les menaces à peine voilées proférées par quelques-uns, il est apparu que la seule solution était de « supprimer tout texte susceptible de créer la controverse (…) soit 75 % du texte », raconte Robert Stavins dans une lettre adressée aux dirigeants du Giec et publiée sur son blog.

Est-ce une bonne idée de laisser les délégations intervenir sur des textes scientifiques ? Pour Wolfgang Cramer, ex-membre de la délégation allemande passé de l’autre côté de la barrière, il n’y a pas là de péril majeur : « Ca reste un rapport scientifique à la seule responsabilité des scientifiques. Ce que les gouvernements peuvent faire c’est poser des questions. Ce n’est pas une négociation du tout. C’est une occasion de clarification qui mène parfois à modifier un peu les textes et qui les rend parfois plus lisibles. » Le son de cloche est bien différent du côté des auteurs du groupe 3 au texte fortement modifié : « Il était clair pour nous qui avons travaillé sur cette partie du rapport que ce résumé serait le nôtre, estime Reyer Gerlagh. Que l’on ne soit pas autorisés à présenter l’information que nous avions collectée pendant des années, que nous ne puissions en publier que la moitié, ce n’est pas le contrat que nous avions signé au départ. »

Pourtant, l’intervention des délégations est parfois utile. C’est notamment le cas pour les pays africains selon Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et co-auteure du RID 1 : « A la demande initiale de pays africains, le résumé pour décideurs s’est enrichi d’un graphique supplémentaire illustrant les changements de précipitations observés depuis 100 ans et 50 ans ; effectivement, dans de nombreuses régions tropicales, ce sont les changements de pluies qui auront un impact majeur. Les représentants des pays qui se sont exprimés ont indiqué le besoin de fournir ces informations à leurs gouvernements, qui ne disposent pas nécessairement de centres d’étude du climat. » Pour Wolfgang Cramer, « la confrontation avec les délégués dans la salle incite à faire des recherches encore plus poussées pour pouvoir leur répondre. Elle peut améliorer la qualité du travail scientifique. » Passer sous le feu des délégations pousseraient aussi les chercheurs à plus de clarté. Or, puisque, comme son nom l’indique, le « Résumé à l’intention des décideurs » doit servir à guider les décisions politiques il doit être compréhensible et utilisable par tous. Pour Robert Stavins, c’est pourtant les délégations qui ont eu le dernier mot à Berlin en avril : « Etant donné la nature et le résultat de cette semaine, le document final devrait probablement être appelé “Résumé par les décideurs” plutôt que “pour les décideurs” » écrit-il dans un post publié sur son blog.

« Je dois admettre que je comprends les motifs [des délégations, ndlr]. Je ne dis pas que j’approuve mais je comprends », concède Reyer Gerlagh. « On voit d’après les réflexions qu’il y a de vrais enjeux auxquels les délégués sont confrontés quand ils rentrent chez eux. Les pays d’Afrique, ce n’est pas pour s’amuser qu’ils contestent, abonde Wolfgang Cramer en rebondissant sur l’anecdote de la carte peu prolixe en impacts africains du changement climatique. Il faut que tout soit visible. Parce qu’ils doivent s’adapter et qu’ils ont besoin d’aide pour ça. »

Pourquoi des délégations ont protesté si fort contre la classification par revenus dans le rapport 3 ? « Dans le protocole de Kyoto, il y a un regroupement des pays dits “de l’Annexe 1”, ceux qui étaient censés (lors de la signature en 1997, ndlr) agir contre le changement climatique. Dès qu’apparaissait un regroupement par pays dans notre rapport, la question des délégués était : “Que va devenir ce groupe de pays dans le prochain protocole ?” En réalité, en combattant notre classification ce qu’ils disaient c’est : “Nous ne voulons pas que vous écriviez quelque chose qui puisse façonner la prochaine annexe.” Ce n’était pas l’argument officiellement avancé. Bien d’autres prétextes de toutes sortes étaient utilisés, dont beaucoup de futiles. Mais très vite on s’est aperçu que la raison sous-jacente était tout autre », précise le chercheur. Que déjà, dans leur salle surchauffée au rythme des neurones, les délégués préparaient le sommet de Paris en 2015. Un danger ? Pour Wolfgang Cramer : « C’est naturel que les négociateurs de l’UNFCCC essaient de préparer les négociations dans le contexte du GIEC. Il s’agit pour nous de résister aux efforts de tourner les conclusions du GIEC vers quelque chose d’entièrement politiquement motivé. »

Dans ce drôle d’exercice, les rôles des uns et des autres ne sont pas toujours très subtils. L’Arabie Saoudite notamment, flanquée de délégués très pros au dire de tous fut omniprésente dans les débats pour les trois RID. Leur objectif à peine masqué ? Atténuer tout bilan trop alarmiste du réchauffement et affaiblir le lien énergies fossiles (comme le pétrole qu’ils produisent à flots) et changement climatique, comme l’expliquent très bien un article publié dans le quotidien britannique The Guardian.

Légende : Extraits du « Bulletin des négociations de la Terre »

« La délégation saoudienne était très habile, souligne pour sa part Valérie Masson Delmotte. Pendant 52 heures non stop (le marathon des derniers jours du RID 1, ndlr), ils ont mis en avant les incertitudes et les points flous. Ils insistaient sur deux points : que la science du climat est basée sur des hypothèses et que les modèles les plus sensibles sont aussi les moins crédibles, ce qui est juste. Leur but était d’insister sur les incertitudes plutôt que sur des résultats solides », explique la scientifique qui se dit « choquée » par la « volonté d’intrusion » de certaines de ces délégations. Même le résumé du Earth Negotiation Bulletin en fait état (voir Page 9) : dans une ambiance « très constructive », « quelques désaccords politiques ont fait surface, l’Arabie Saoudite tentant d’amenuiser le ton des conclusions scientifiques en soulignant inlassablement les incertitudes ». Tant et si bien qu’avec la Chine et d’autres pays, ils ont obtenu la modification drastique du dernier schéma du rapport 1 sur le cumul des émissions. Schéma qui a bien failli sauter en pleine nuit, quelques heures avant la publication du rapport. « Ce qui compte, c’est le cumul des émissions. Aujourd’hui, le Global Carbon Project l’a précisé, nous avons émis les deux tiers de ce qui est compatible avec un réchauffement de moins de 2°C (assertion à 66 % de confiance, ndlr), rappelle Valérie Masson-Delmotte. Il reste 30 ans pour émettre le solde au rythme actuel. Cela implique de laisser la moitié des réserves de combustibles fossiles sous terre. Mais quand vous êtes l’Arabie Saoudite et que vous avez du pétrole sous les pieds ou la Chine et que vous avez du charbon… » Comprenez : « Vous n’avez pas très envie qu’on vous coupe les ailes. » Finalement, le schéma est resté mais largement modifié.

Les deux versions du schéma

Légende : La version initiale établie par les auteurs en juin 2013 présente l’accumulation des émissions dues à l’homme. A partir de celui-ci les scientifiques avait estimé un budget carbone à respecter pour ne pas dépasser le seuil des 2°C d’augmentation de température. Une information essentielle dans l’optique d’un accord juridiquement contraignant.

Légende : La version finale a effacé la mention de « Réponse climatique transitoire » (TCR) qui tient compte de l’inertie thermique et est inférieure à la température dite « à l’équilibre » - quand la température a cessé de varier. Pourtant, la majorité des données sur lesquelles sont basées ce schéma traitent bien de températures transitoires, assure David Wasdell dans un exposé. A cause de la disparition de cette nuance, « on donne aux décideurs politiques la fausse impression que la cible de 2°C correspond exactement au niveau de 2°C sur l’axe des températures. L’erreur permet un volume significativement plus haut d’émissions carbone cumulées avant d’excéder les 2°C d’augmentation de température », souligne le scientifique. Il note aussi la disparition de la barre mentionnant les émissions totales cumulées estimées entre 1850 et 2011. Pendant cette longue période de 161 ans, on aurait enregistré seulement un quart des émissions cumulées à l’horizon 2100, les trois autres quarts s’ajoutant en moins de 90 ans.

Inutiles ces RID qui irriguent les médias dès leur publication ? Non pour Reyer Gerlagh : « Ce qui reste dans le RID a été approuvé par les pays. C’est incroyablement important. Ce n’est pas seulement la science qui le dit, c’est eux qui sont d’accord pour le dire. Pour dire que la croissance économique et démographique continuent d’être les plus importants moteurs du changement climatique. Qu’il faut donc que nous changions quelque chose dans la structure de notre croissance économique, sinon les émissions vont augmenter. Ça veut dire que l’on n’a pas besoin que les négociations recommencent depuis le début. Sur ces points, ils sont d’accord. Nous pouvons maintenant nous concentrer sur les instruments et les tâches à accomplir. ».

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