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28-10-2015
Mots clés
Emploi
Economie
France

Comment le capitalisme va croquer l’économie du partage

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Comment le capitalisme va croquer l'économie du partage
(Crédit illustration : Charles Platiau / Reuters)
 
L’économie du partage connaît un essor fulgurant. Et fait de plus en plus d’envieux. Entre les entreprises traditionnelles qui la récupèrent et les start-up du domaine qui utilisent les outils du capitalisme, les frontières sont devenues floues.
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Pas une semaine ne passe sans que l’américain Uber – qui met en relation des chauffeurs de véhicule de tourisme et des clients – ne fasse parler de lui pour ses méthodes dignes du capitalisme le plus offensif (lobbying intensif, déstabilisation de la concurrence à coups de fausses réservations…). Certaines start-up – comme la plateforme de covoiturage Blablacar ou celle de location de véhicules entre particuliers Drivy – réalisent des levées de fonds record, liant leur destin au monde de la finance. Sans compter les acteurs traditionnels qui investissent à leur tour le « marché » du collaboratif. L’économie du partage aurait-elle perdu son âme, fusionnant avec un capitalisme dont on pensait naïvement qu’elle était l’ennemie ?

« Tous ces événements font que nous sommes à un tournant. Nous allons voir si l’économie collaborative va rentrer dans le rang en allant vers un système capitalistique ou se radicaliser en prenant une voie beaucoup plus alternative », explique Samuel Roumeau, coordinateur de Ouishare, collectif international dédié à l’économie collaborative.  Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir quelques années en arrière. En 2007, la crise économique et financière frappe le monde. Elle fait resurgir la volonté d’une société plus responsable et juste en matière de production, de consommation, de financement et de gouvernance. C’est sur ce terreau que se développe – emmenée par quelques pionniers – l’économie qu’on baptise alors « collaborative », « participative » ou « du partage », par opposition à l’économie traditionnelle. Elle vise à privilégier le lien social et à préserver la planète en optimisant l’utilisation des produits et donc des ressources.

  Dans leur ouvrage What’s Mine is Yours (« Ce qui est à moi est à toi », (HarperCollins Business, 2010), Rachel Botsman et Roo Rogers élaborent les bases de ce nouveau modèle. Il repose sur le partage, l’échange, le prêt, la location, le don de produits et de services entre individus, sans intermédiaire, et grâce à Internet. Le succès de cette économie organisée en réseaux d’usagers est immédiat. Alimentation, hébergement, transport, finance, tourisme… presque tous les secteurs sont concernés. Une étude publiée en 2014 par 60 millions de consommateurs révèle que deux tiers des Français interrogés pensent d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un effet de mode. Et si son poids reste encore marginal par rapport à celui de l’économie traditionnelle, tous les indicateurs sont au vert sur son potentiel de croissance.

Lobbying intensif

  Selon une étude du cabinet de conseils PwC, le marché mondial de l’économie collaborative devrait atteindre près de 296 milliards d’euros d’ici à 2025, contre 13 milliards en 2014, soit une multiplication du marché supérieure à vingt en dix ans. Autant dire qu’il exerce un véritable pouvoir d’attraction sur les entrepreneurs. Par exemple, alors que les plateformes de crowdfunding – financements de projets entre particuliers – se comptaient sur les doigts d’une main en 2008, il en existe actuellement 3 000 dans le monde. Le secteur a levé 31 milliards d’euros cette année.  Face à cette déferlante annoncée, qui remet en question leur modèle existant, les acteurs de l’économie conventionnelle organisent la riposte sur plusieurs fronts. Outre un lobbying intensif et des actions en justice pour faire infléchir la réglementation en leur faveur, certains se lancent dans cette nouvelle économie. L’énergéticien Engie a ainsi créé, en avril dernier, une plateforme de financement participatif (Green Channel) dédiée aux énergies renouvelables.

  La SNCF a lancé, en 2014, un site de covoiturage – issu du rachat de la société Ecolutis – pour les trajets domicile-travail (IDvroom). De leurs côtés, Boulanger, Leroy Merlin ou Mr Bricolage, afin de concurrencer des sites de location d’objets entre particuliers comme Zilok, proposent à leurs clients des services de location de matériel de bricolage ou de jardinage. D’autres, comme Mobivia groupe, prennent des participations dans les start-up de la nouvelle économie. Le leader européen de l’entretien de véhicules (Norauto, Midas…) est ainsi entré au capital de Drivy, Green on (partage de vélos électriques) et Heetch (covoiturage de proximité). A l’inverse, les acteurs de l’économie du partage semblent parfois flirter de près avec le fonctionnement du capitalisme. « La complexité avec l’économie collaborative, c’est qu’elle regroupe sous une même bannière des acteurs aux motivations très différentes », nuance Samuel Roumeau, de Ouishare.

  Entreprises défendant un modèle social et solidaire basé sur le don, fonctionnant à l’abonnement ou bien au système de commissions sur les transactions, il existe autant de philosophies que d’entreprises. Parce qu’elles sont devenues des géants mondiaux capables de concurrencer les acteurs traditionnels, certaines plateformes concentrent tous les regards. A l’image de Airbnb. L’entreprise californienne a mis en contact, depuis sa création en 2008, plus de 30 millions de particuliers pour la location de logements. Sa valorisation a atteint les 22 milliards d’euros et approche désormais celle de Hilton, géant mondial de l’hôtellerie. « Ce type d’activité, qui utilise le capital d’autres et prend un pourcentage sur la transaction, peut être très rentable. Il suffit souvent d’être le premier sur le marché et d’avoir un outil numérique ergonomique et astucieux », explique Monique Dagnaud, directrice de recherche CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à l’Institut Marcel Mauss.

Levée de fonds de 177 millions d’euros

  Si mettre à disposition son appartement, sa voiture ou sa machine à laver apparaît comme une bonne façon d’arrondir ses fins de mois – ou de faire des économies et des rencontres sympas pour les loueurs –, il n’empêche que ces modèles soulèvent de nombreuses questions. Réduisent-ils vraiment la consommation marchande ? Ne s’engouffrent-ils pas trop souvent dans les zones grises de la loi, encourageant ainsi le travail illégal ? N’accroissent-ils pas les inégalités, puisque pour valoriser ses biens sous forme de complément de revenus encore faut-il en posséder ? Et quid des données personnelles récupérées ? « Ces données seront à l’avenir des outils stratégiques considérables pour ces entreprises. Cette privatisation de la connaissance ne correspond pas selon moi à une économie de bien commun à moins que les données ne soient mises en open source », avance Hugues Sibille, président du think tank le Labo de l’économie sociale et solidaire et président de la Fondation Crédit coopératif.  

  On l’aura compris, le business semble parfois plus au rendez-vous que le partage. « Les plateformes d’intermédiation sont souvent assez éloignées de l’économie coopérative. La plupart de ces sociétés ont des stratégies globales, y compris en termes fiscaux. Ce ne sont vraiment pas des ONG », résume Frédéric Marty, économiste de la concurrence.Par ailleurs, les chemins que les jeunes pousses du collaboratif empruntent pour grossir ne sont finalement pas très éloignés de ceux des acteurs traditionnels. Rachats de concurrents, extension à l’international, levée de fonds auprès d’investisseurs traditionnels (fonds d’investissements, capital-risqueurs) sont autant de stratégies utilisées pour appuyer leur développement. Le spécialiste du covoiturage Blablacar – qui revendique 20 millions d’utilisateurs dans 19 pays – a, ces trois dernières années, racheté huit sociétés (son principal concurrent Carpooling en Allemagne, Autohop en Hongrie…). Elle a également procédé à plusieurs levées de fonds dont la dernière, en septembre, lui a permis de récolter 177 millions d’euros auprès des fonds d’investissement américains Insight Venture Partners et Lead Edge Capital, désormais présents au capital de l’entreprise. La plateforme, qui ne réalise pas encore de profits, réinvestit pour l’heure tout ce qu’elle gagne pour aller conquérir le monde.

  Pour Laure Wagner, sa porte-parole, utiliser les outils du capitalisme est un passage obligé pour se développer. « Nous avions l’utopie de faire du covoiturage un moyen de transport pour tous afin d’optimiser l’usage de la voiture et de limiter les émissions de CO2. Pour le faire à grande échelle, il faut les meilleurs développeurs français et de l’argent pour faire de la sensibilisation massive. Il faut donc se donner les moyens financiers. Ce n’est pas parce que nous sommes dans une logique de levée de fonds que nous n’avons pas des valeurs très fortes en interne », insiste-t-elle.  Le constat est le même pour Vincent Ricordeau, le cofondateur des plateformes de crowdfunding Kisskissbankbank, Hellomerci (prêts solidaires à taux zéro) et Lendopolis (prêts rémunérés pour les PME) : pour transformer le système existant, il faut agir de l’intérieur.

« Nous avons beaucoup de choses en commun avec l’économie sociale et solidaire mais le fonctionnement de notre société, je l’admets en toute honnêteté, cadre avec les règles de l’économie capitaliste. Nous voulons prouver que les solutions entre individus sont meilleures que les systèmes avec les intermédiaires historiques mais nous ne sommes pas en rupture complète avec l’économie traditionnelle. Nous tentons de la transformer en lui apportant d’autres ingrédients plutôt que d’être sur des modèles tellement en rupture qu’ils ne sont pas adaptables. » Pour l’entrepreneur, l’impression que l’esprit des pionniers du collaboratif est en train d’être dévoyé vient de l’utilisation même du terme « collaboratif ». « L’appellation économie collaborative ou du partage renvoie à une notion d’économie sociale et solidaire. Il se trouve que les grandes plateformes sont des sociétés très capitalistiques visant des situations monopolistiques encore plus fortes que dans l’économie traditionnelle. Du coup, on pense que les ambitions d’origine de l’économie collaborative ont été transfigurées. C’est faux. Dans ces plateformes, il n’y a pas d’ambition, au départ, de faire de l’économie sociale et solidaire. Il faudrait juste monter d’un cran et parler d’économie du peer-to-peer (entre pairs, ndlr) ».  Certaines start-up le reconnaissent d’ailleurs volontiers : « Même si nous sommes classés dans la catégorie de l’économie collaborative, je dirais plutôt que nous faisons du commerce en ligne. Nous mettons en relation des personnes et des voyageurs qui souhaitent acheter des objets qui n’existent pas dans leurs pays ou qui sont moins chers ailleurs », précise Frédéric Simons, cofondateur de Worldcraze.

« Du collaboratif coopératif »

  De fait, à l’autre bout de l’échiquier, les structures au modèle non lucratif (partage, échange…) et les entreprises se rapprochant plus de l’économie sociale et solidaire, qui ont une force de frappe moindre, tentent tant bien que mal de trouver leur place. « Il ne faut surtout pas que l’économie sociale soit sur un mode défensif par rapport à ces évolutions. Ce serait à mon sens catastrophique d’aller contre le sens de l’histoire. J’aimerais que nous fassions du collaboratif coopératif, dont la finalité ne soit pas le profit et qui concrétise nos valeurs pour développer les liens sociaux, construire de la solidarité entre les personnes, insiste Hugues Sibille. En somme pour contribuer à une économie plus juste et plus humaine. »

  Au final, il est probable que la frontière entre l’ancienne et la nouvelle économie soit de plus en plus poreuse à l’avenir. « Je crois qu’il va y avoir de nombreux partenariats, des restructurations par secteurs d’activités entre tous ces acteurs », anticipe Samuel Roumeau, coordinateur de Ouishare. Pour le théoricien Michel Bauwens, auteur de Sauver le monde. Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer (Les Liens qui libèrent, 2015), l’économie entre pairs pourrait cependant devenir un modèle dominant puisqu’elle reste, en contribuant à l’optimisation des ressources, une réponse à la crise écologique. Et la seule manière d’émerger pour ce nouveau système est de s’appuyer sur l’ancien. « Le nouveau prototype soutient l’ancien tout en formant la base d’un nouveau qui ne s’épanouira pleinement qu’après une série de crises sociales et politiques », estime l’ex-chef d’entreprise.

  A une seule condition : qu’il y ait une régulation par l’Etat pour protéger les utilisateurs et les travailleurs. Quels que soient son nom et ses motivations, l’économie du peer-to-peer, du partage, du collaboratif est en tout cas révélatrice d’un phénomène nouveau. « Dans toutes les sociétés développées, il y a un discrédit important des élites dirigeantes, notamment politiques. On assiste à un déplacement de la zone de confiance avec l’idée qu’il vaut mieux se faire confiance à soi-même et à ses semblables plutôt qu’à des institutions sclérosées », explique Monique Dagnaud. En cela elle est déjà un changement de civilisation.

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