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17-09-2015
Mots clés
Climat
Europe

Alpes : après la chaleur estivale, des écroulements à l’automne ?

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Alpes : après la chaleur estivale, des écroulements à l'automne ?
(Crédit photo : Klausdie / pixabay)
 
150 écroulements depuis le début de l'année dans le massif montagneux. C'est ce qu'ont observé des chercheurs français. Un phénomène qui risque de s'accélérer avec le changement climatique. Entretien avec Ludovic Ravanel.
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15 juillet 2003. On dirait bien que le Cervin dégringole. De ce sommet emblématique des Alpes, à quelques encablures d’un itinéraire très emprunté, 1000 mètres cubes de roche se détachent à 3500 mètres d’altitude. 90 alpinistes doivent être évacués par hélicoptère. La même année, un autre phénomène efface littéralement un pic entre l’aiguille des Ciseaux et celle du Fou, qui, de sommet, devient col (voir photos A et B). Entre le 29 et le 30 juin 2005, une série d’écroulements s’enchaînent, emportant sur leur passage un pilier mythique, gravi cinquante ans auparavant en solitaire par Walter Bonatti. Dans les Alpes, il n’y a pas que les glaciers qui fondent. Les montagnes, elles aussi, s’effritent, sous le coup du réchauffement climatique. 150 écroulements (d’un volume supérieur à 100 mètres cubes, pour un volume inférieur on parle d’« éboulements ») ont été recensés depuis le début de l’année 2015. Un nouveau record après 2003, explique Ludovic Ravanel, chargé de recherche CNRS (Centre national de la recherche scientifique) au laboratoire Edytem (Environnements, dynamiques et territoires de la montagne) et auteur de nombreux travaux sur le sujet.

Terra eco : Depuis combien de temps s’alarme-t-on des écroulements en montagne ?

Ludovic Ravanel : La question a émergé dans les années 1970. Le Suisse Wilfried Haeberli (1) proposait alors une hypothèse reliant le réchauffement climatique éventuel – à cette époque-là, c’était encore une éventualité – et l’instabilité des terrains de haute montagne à la dégradation du permafrost. Le permafrost, ce sont ces terrains gelés en permanence qui permettent à la glace de se former et de se maintenir. Lorsqu’il se dégrade, la glace fond et ne peut plus jouer son rôle de ciment. En clair, il faut voir les parois rocheuses comme un enchevêtrement d’éléments que la glace tient ensemble. C’est quand les joints lâchent que les écroulements se produisent.

Avant (A) et en 2009, après l’écroulement (B). La ligne jaune marque l’écroulement survenu vers 1992 sous le sommet de l’aiguille du Fou, la rouge, l’événement qui a entraîné la disparition du pic en 2003.

Vous avez, avec votre équipe, mené un long recensement des phénomènes d’écroulements. C’est la première fois qu’un travail de cette nature a été réalisé ?

Oui. Jusqu’ici, l’hypothèse d’Haeberli était utilisée par les chercheurs pour tenter d’expliquer tel ou tel gros écroulement. Mais notre équipe est la première à s’être intéressée à des massifs entiers. Depuis 2007, un réseau d’observateurs (constitué notamment de guides, ndlr) nous permet de recenser tous les écroulements dans le massif alpin. Avec des variations importantes. 2008 a été une petite année avec 22 écroulements. Cette année, on s’attend à dépasser les 160 événements. C’est une année toute particulière, sensiblement similaire à l’été 2003 (2)…

2003 et 2015, des années aux étés très chauds…

Caniculaires même. L’été 2003 a été plus long puisque la chaleur a duré trois mois : juin, juillet, août (3). En 2015, il a fait plus chaud en juillet. Pour établir une corrélation entre la chaleur et le nombre d’écroulements, on s’est appuyé sur l’observation de deux secteurs : la face ouest des Drus et l’ensemble du versant nord des aiguilles de Chamonix. Parce que ces secteurs sont visibles depuis la vallée et que l’on dispose, pour eux, d’archives photographiques depuis 1850, soit la fin du petit âge glaciaire. Sur ces versants, on a pu observer des périodes de stabilité et des périodes de multiples écroulements. C’est le cas de la décennie des années 1940 et des deux ou trois dernières décennies qui sont, dans les deux cas, très chaudes.

Et ce n’est pas fini pour cette année…

Oui, car il y a aussi un décalage dans le temps. Si l’essentiel des écroulements se produit en plein été pendant les grosses chaleurs, ce n’est pas le cas des gros événements. Ceux-là ont besoin que la chaleur pénètre en profondeur. Or, même quand il commence à geler de nouveau en surface, l’onde de chaleur continue de s’enfoncer. Si, en automne et en hiver, le regel stabilise les petits éboulements – qui sont alors moins nombreux –, c’est le moment des plus gros écroulements. La chaleur de cet été sera donc peut-être à l’origine de gros événements cet automne. Et il y a un phénomène d’accumulation. Une série d’étés chauds risque d’entraîner un réchauffement encore plus en profondeur et donc des écroulements plus gros.

Comment les chercheurs en sont-ils arrivés à suspecter le permafrost ?

S’il y a bien une relation entre réchauffement climatique et écroulement, c’est qu’il y a, au cœur du problème, un élément qui dépend du climat. Or, deux éléments sont sujets aux variations climatiques en montagne : les glaciers et le permafrost. Les glaciers régressent, c’est un fait. Et si quelques événements dans notre catalogue de données sont bel et bien directement liés au retrait des glaciers qui entraînent une décompression des versants montagneux, beaucoup d’autres ne le sont pas. A l’inverse, un faisceau d’éléments pointent le permafrost comme la cause d’écroulements. D’abord parce que 98% d’entre eux ont lieu en contexte de permafrost. Mais aussi parce que, lorsqu’ils surviennent, de la glace ou de l’eau liquide sont visibles dans la cicatrice restante. Ce qui prouve bien qu’il y a eu une dégradation des joints de glace en place depuis parfois des centaines, des milliers d’années.

Y a-t-il un risque pour les humains ?

On est dans de la très haute montagne, alors les dégâts sont limités. Cette année, malgré tous les écroulements recensés – sauf pour l’événement qui a touché le fameux couloir du Goûter (et qui a empêché les alpinistes de gravir le mont Blanc par la voie la plus fréquentée, ndlr) – il y a eu zéro conséquence. Les alpinistes sont assez intelligents. Quand il fait chaud, ils grimpent dans un coin qu’ils savent plus sain. Pour l’instant, il y a eu très peu d’événements catastrophiques. Mais on ne peut pas être sûr qu’à long terme, il n’y aura pas de dégâts. En haute montagne, il y a aussi des remontées mécaniques, des refuges.

(1) Haeberli, W. (1973) : Die Basis-Temperatur der winterlichen Schneedecke als möglicher Indikator für die Verbreitung von Permafrost in den Alpen. Zeitschrift für Gletscherkunde und Glazialgeologie, IX/1/2, 221-227.

(2) 182 écroulements ont été recensées par Ludovic Ravanel en 2003 dans une étude qu’il a publié en 2011 et cosigné avec 3 autres chercheurs.

(3) A Chamonix, les températures de l’été 2003 ont été de 3,25°C supérieures à la température moyenne estivale de la période 1936-2003.

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  • Bonjour,
    L’explication "En clair, il faut voir les parois rocheuses comme un enchevêtrement d’éléments que la glace tient ensemble" me semble curieuse et potentiellement dangereuse, si elle est prise au pied de la lettre.
    Il me semble plus probable que la fonte de la glace amène en contact des portions de roche qui ne l’étaient pas et en sépare d’autres ; d’où des modifications de contrainte dans la roche qui peuvent amener des ruptures. On peut ajouter qu’en haute montagne, il y a une certaine dynamique qui pourrait jouer du fait des vents et de l’étroitesse des sommets (comme sur nos cheminées ou nos clochers) et jouer le rôle de déclencheur.

    23.09 à 11h10 - Répondre - Alerter
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