La nouvelle est tombée au creux de l’été. Les Français émettent aujourd’hui au moins autant de CO2 qu’en 1990 : 9 tonnes par habitant et par an (1). Certes, des avancées techniques nous permettent de polluer moins pour chacun de nos actes du quotidien. Mais dans le même temps, ces actes se multiplient : des logements plus grands, davantage de kilomètres en voiture. Notre consommation sans limites réduit à néant les progrès en matière d’efficacité énergétique. Ce constat nous place en contradiction totale avec les engagements que nos élus continuent d’assumer publiquement. Officiellement, personne ne veut d’un réchauffement planétaire supérieur à 2 degrés. Au-delà de cette limite, nous ouvririons la boîte de Pandore d’un monde invivable : conflits pour l’accès à l’eau, aux terres cultivables et aux matières premières trop rares, pénuries alimentaires, explosion du chômage, flux migratoires incontrôlés.
En soi, la sincérité de ces engagements ne fait pourtant aucun doute. Mais concrètement, pour des pays développés comme la France, il n’y a qu’une voie pour y parvenir : réduire nos émissions de CO2 dans des proportions inouïes, de l’ordre de 85 % dans les quarante ans à venir. Cela signifie que ces émissions doivent diminuer d’au moins 4 % par an, dès maintenant.
Quadrature du cercle
Or, l’économiste Tim Jackson, qui a mené un méticuleux décorticage des faits, vient de démontrer brillamment que nous sommes incapables de tenir un tel objectif tant que nous ne dépasserons pas notre obsession de croissance. Même « verte », dit-il, cette dernière est une impasse. Quant à sa sœur ennemie la décroissance, elle n’est pas une solution socialement acceptable. Tim Jackson propose de jeter aux oubliettes la rhétorique croissance/décroissance, héritage intellectuel d’un monde dépassé, pour inventer une nouvelle forme de prospérité, une quadrature du cercle, permettant de répondre à nos besoins quotidiens sans nous vautrer dans une surconsommation sans limites et vide de sens.
A trois mois du sommet sur le climat de Cancún au Mexique, alors que les flammes dévorent la Russie et que les eaux engloutissent le Pakistan, on pourrait attendre des élus de la République qu’ils délaissent les débats artificiels et nauséabonds sur l’immigration et l’insécurité, et qu’ils lancent enfin un vrai, grand, difficile et courageux débat sur notre avenir. Pour repenser de fond en comble notre modèle de civilisation. —
(1) Chiffres 2007, extraits de « CO2 et activités économiques de la France », Commissariat général au développement durable. Études et documents, n°27 (août 2010).
(2) « Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable », Tim Jackson, Etopia (2010). Tim Jackson, professeur de développement durable à l’université de Surrey en Grande-Bretagne, est aussi en charge des questions économiques à la Commission du développement durable britannique.
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