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5-07-2006
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Société
Amériques

Trafics en or

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De l'or, des armes et des clandestins. En Guyane, la quête illégale du métal précieux pousse la population à tous les trafics. Et l'extraction pose problème. En première ligne : les populations amérindiennes et la détérioration de l'environnement. Reportage.
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Kourou, Guyane. Après plusieurs semaines de "planque", les gendarmes interpellent trois hommes en flagrant délit de vol au pied de l’une des deux citernes d’une usine thermique d’EDF, dans la zone industrielle de Pariacabo. Dans la benne d’un camion, le fruit de leur larcin : 3 000 litres de gazole, ponctionnés dans la cuve. Un des voleurs est un agent EDF, ses complices sont étrangers en situation irrégulière et l’un d’eux, mineur, est venu du Guyana voisin. Mais c’est le deuxième personnage qui intéresse le plus les gendarmes : Brésilien en situation irrégulière, il est, selon une source proche de l’enquête, "lié au milieu des chercheurs d’or clandestins".

Sur les sites aurifères illégaux, au cœur de la Guyane, le litre de gazole se vend quatre à huit fois sa valeur à la pompe, selon le lieu de livraison. "L’an passé, à Dorlin - un site difficile d’accès dans le sud de la Guyane - le fût de 200 litres de gazole variait de 100 à 120 grammes d’or", soit plus de 7 euros le litre, témoigne un gendarme. Du côté d’EDF, on n’a pas encore fait les comptes. "Le préjudice se chiffre au moins en dizaines de milliers de litres", explique Mélissa Mathis, directrice des affaires juridiques à EDF, qui "n’exclut pas d’autres vols sur d’autres sites". EDF n’est pas seule victime en la matière... Au cours des opérations "Anaconda" de lutte contre l’orpaillage clandestin, les gendarmes saisissent parfois, en forêt, de grosses quantités de "arburant de couleur", théoriquement vendu en détaxe aux seuls agriculteurs et pêcheurs, ce qui suppose des complicités parmi les professionnels ou les revendeurs guyanais.

Fuir la misère

De plus en plus, le littoral guyanais sert de "base arrière" aux orpailleurs clandestins, ces chercheurs d’or, qui sévissent dans l’intérieur de ce département grand comme le Portugal, dont la population a presque doublé en quinze ans, pour atteindre aujourd’hui 200 000 habitants. La forêt couvre 90 % du territoire, accessible seulement par pirogue, en remontant les fleuves, ou par la voie des airs, en se posant sur de rares aérodromes. Venus du Brésil ou du Surinam voisins, deux Etats où le salaire minimum est au moins dix fois inférieur au smic français, les chercheurs d’or clandestins, la plupart brésiliens, seraient entre "5 000 et 10 000" à tenter leur chance dans la forêt guyanaise, selon l’adjudant-chef Almeida, de la cellule de lutte contre l’orpaillage clandestin de la gendarmerie.
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Entre 5 000 et 10 000 chercheurs d’or clandestins travailleraient sur le territoire guyanais (Photo Thierry Montford)

Malgré sa structure "d’économie de comptoir" - la Guyane importe plus de 85 % de ses besoins - , ce département du bout du monde attire tous types de trafics. Depuis 2002, l’Etat a donc décidé de réagir. Il lance les opérations "Anaconda", pour "étouffer" l’orpaillage illégal et ses voies de ravitaillement, à coups de manœuvres héliportées et fluviales. Vingt-deux opérations ont été menées la première année, 105 en 2005. L’année dernière, la gendarmerie estime avoir détruit pour près de 20 millions d’euros de matériel, moteurs, tuyaux, nourriture, carburant, abris, etc. Mais les clandestins s’adaptent.

Et s’enfoncent toujours plus au cœur de la forêt, dopés par un cours de l’or qui flambe, à près de 600 dollars l’once. "Les gros villages - qui servent de point de ravitaillement, avec des épiceries, cantines et prostituées­ - ont quasiment disparu. Les clandestins se dispersent en forêt, sous le couvert végétal. Et avec la hausse du cours de l’or, les petits chantiers deviennent rentables", constate l’adjudant-chef Almeida. La valeur de l’or ne cessant d’augmenter, il est plus aisé pour les clandestins de se ravitailler directement à Cayenne, ou ailleurs dans le département.

"Sur les sites clandestins, la bière Heineken, achetée en Guyane, a remplacé les bières brésiliennes...", poursuit le sous-officier. On ne peut plus parler seulement de garimpeiros - chercheurs d’or, en brésilien - mais de commerçants, d’intermédiaires, et de transporteurs organisant le ravitaillement en marchandises...", témoigne un officier de gendarmerie spécialisé dans les opérations "Anaconda". De nombreux clandestins viennent de l’Etat du Maranhao, l’un des plus pauvres du Brésil, et sont prêts à tout pour sortir de la misère. "On fait tous ça. Parce qu’au Brésil, ceux qui ont fait des études ont une profession et gagnent bien leur vie. Mais ceux qui n’ont rien doivent quitter le pays pour trouver de quoi vivre. Nous n’avons pas le choix", explique Roseal, arrêté lors d’une opération, sur un site clandestin.

"Quand les gendarmes arrivent, quelqu’un nous avertit, on dissimule les moteurs et tout le monde se cache. Les patrons des chantiers viennent nous dire d’enterrer les moteurs, de les laisser jusqu’à que les gendarmes soient partis", racontait un clandestin sur les ondes de RFO, en 2004. "Même s’ils cassent les machines, le patron en rachète et le travail reprend, comme avant", ajoutait-il. Un système de crédit a été mis en place par des commerçants brésiliens dans la ville frontière d’Oïapoque, sur la rive brésilienne du fleuve Oyapock, en face de la rive française et de la commune de Saint-Georges. A Oïapoque, les clandestins peuvent s’équiper du matériel de base - deux moteurs, des tuyaux et de la nourriture - et peuvent rembourser ensuite, avec l’or tiré illégalement de Guyane.

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2,3 tonnes d’or ont "officiellement" été extraites du sous-sol guyanais en 2004. Mais les exportations du métal jaune pour la même année, ont été deux supérieures ! (Photo : Thierry Montford)

Un rêve souvent illusoire, brisé par les saisies opérées par les gendarmes, le paludisme, la malchance, les vols ou les dépenses à prix d’or dans des bars de fortune dans la forêt. "J’ai juste gagné de quoi survivre... Notre rêve à tous, c’est d’avoir de quoi acheter un terrain et construire une maison au Brésil, mais ça reste un rêve", glisse Elagrese, qui s’est laissé interpeller lors d’une opération Anaconda, pour rentrer au pays et soigner son paludisme.

La mère de tous les trafics

Terminus au bout d’une piste de 600 km, qui part de Macapa, la capitale de l’Etat brésilien du même nom. La ville frontière d’Oïapoque entre Brésil et Guyane se développe au rythme de l’orpaillage clandestin et de ses trafics. Dans cette bourgade boueuse de plus de 15 000 habitants, les petits hôtels et les bars de prostituées cohabitent avec les comptoirs d’or et les vendeurs de matériel d’orpaillage... "La majorité du trafic part et aboutit à Oïapoque. L’or retourne là-bas, tout le monde le sait", expliquait l’an dernier le colonel Jean-Philippe Danède, commandant de la gendarmerie en Guyane, peu avant son départ. "Tant qu’on ne sera pas en bonne symbiose avec les autorités brésiliennes, on continuera à travailler sur les rivières et non pas sur la source", déplore celui qui a lancé et supervisé les opérations "Anaconda" depuis 2002.

"A Oïapoque, ils n’ont pas les moyens. Quand vous avez deux policiers fédéraux, quelques policiers militaires et quasiment rien en police civile, comment voulez-vous traiter ce genre de problème ?", s’interroge-t-il. A Oïapoque, les fûts de gazole et les moteurs partent sans contrôle depuis une station-service située au bord du fleuve... Sur chaque moteur, un carton désigne le nom de l’exploitant du site aurifère illégal. Ce matériel est soit "monté" par pirogue vers les sites clandestins de la Sikini, soit descendu vers les sites de l’Approuague. Pour cela, il faut d’abord naviguer sur les eaux brésiliennes de l’Oyapock, hors de portée des autorités françaises, avant de s’engager sur les criques côté français, de jour ou de nuit, en fonction de la surveillance des gendarmes... A quatre heures de pirogue en amont d’Oïapoque, les eaux troubles de la Sikini se jettent dans l’Oyapock.

Western à la française

En face de l’embouchure de la crique, trois îlots brésiliens constituent la "base arrière" des sites clandestins des environs, avec épicerie, hôtel, pharmacie, comptoir d’or, et poste de carburant. "Les autorités brésiliennes ne jouent pas le jeu, en laissant s’implanter ce commerce, avec une autorisation délivrée par la commune d’Oïapoque", déplore l’adjudant-chef Corneille, l’ancien chef de la brigade de Camopi, la commune où se dressent ces sites clandestins. "La région s’est convertie en une route du trafic de drogues, un marché pour le tourisme sexuel et la prostitution infantile, alimentés par l’euro et l’or des garimpeiros", écrivait fin 2004 l’hebdomadaire brésilien Folha do Amapa de Macapa. "Cela nous dépasse", lâchait cette même année un magistrat en poste en Guyane. Et de dénoncer le lien probable entre le financement de l’orpaillage clandestin à partir de la ville frontière d’Oïapoque et le narcotrafic venu de Colombie. Le moyen "idéal", pour une activité de blanchiment d’argent sale.

Selon le quotidien France Guyane, en juin 2004, une commission parlementaire brésilienne a confirmé l’existence d’un réseau de prostitution forcée d’adolescentes, entre l’état brésilien du Para, la Guyane puis le Surinam, dans lequel Oïapoque constitue un point de passage. Lors d’un contrôle réalisé l’an dernier dans la commune, la police fédérale brésilienne a identifié trente-sept adolescentes, âgées de 13 à 15 ans, qui se livraient à la prostitution. Là encore, des complicités se font jour sur la rive française : en 2005, un douanier de Saint-Georges a été poursuivi par la justice pour avoir fait édifier une maison de passe sur la rive brésilienne afin d’y "accueillir" des filles et des "amis"... A Oïapoque, les clients des prostituées, parfois mineures, sont aussi français et paient en euros.

Un mirage

"On doit avoir une diplomatie vigoureuse avec le Brésil. Il va falloir qu’on tape du poing sur la table", déclarait le ministre de l’Outre-mer François Barouin, en juin 2005. En septembre 2004, son prédécesseur, Brigitte Girardin, se réjouissait devant les médias locaux et nationaux de la "première opération franco-brésilienne commune" de lutte contre l’orpaillage clandestin... La mission avait mobilisé cent quarante militaires côté français et huit administrations, dont une quarantaine de policiers fédéraux, côté brésilien. Deux ans plus tard, ce type d’opération n’a pas été renouvelé et les pirogues continuent de partir des "bases arrière" brésiliennes pour alimenter les sites, de plus en plus dissimulés, des orpailleurs clandestins.

Enclavée entre le Surinam et les Etats - pauvres - du Nord du Brésil, la Guyane continue d’attirer à elle son lot régulier d’aventuriers, de traficants et de "réfugiés économiques". Un mirage au cœur de la forêt.

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