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22-07-2004
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Politique
Société
Monde

Riches, d’accord. Mais riches de quoi ? (suite)

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...Quel est-il ?
- Le vrai problème est, pour reprendre l’expression de Karl Polanyi, que “l’économie de marché est sortie de son lit”. Elle a pris une place démesurée, qui ne devrait pas être la sienne. Depuis le début des années 80, elle contamine et subordonne le politique, le culturel, l’affectif, et prétend donner du sens à tout. Ce phénomène de marchandisation généralisée de la société, l’Europe l’a déjà connu au XIXe siècle, Polanyi l’a décrite sous le nom de “société de marché” [1]. Nous sommes entrés dans une nouvelle “société de marché”, au point qu’aujourd’hui, l’économie s’est transformée en ce que j’appelle “écoligion”. Or, l’être humain ne peut se dispenser ni de politique, ni d’affectif, ni de sens. Polanyi montre comment le XIXe siècle a tenté d’expulser ces liens-là, qui lui sont revenus en pleine figure sous des formes régressives : deux guerres mondiales et deux totalitarismes !

Vous croyez donc que les indicateurs économiques peuvent être “moralisés”...
- Je partage en effet le regard du prix Nobel Amartya Sen, qui qualifie l’économie de “science morale” [2]. Elle n’est pas neutre et doit donc posséder ses indicateurs, moraux, eux aussi. Regardons les problèmes écologiques et humains d’aujourd’hui : la priorité est de mettre en avant des indicateurs qui puissent répondre à ces vraies urgences.

Mais la morale n’est-elle pas, par définition, changeante et subjective ?
- Si bien sûr. C’est même l’objet de la délibération démocratique. Il n’y aucun critère objectif qui statuera de manière définitive sur l’aspect positif ou négatif des choses. Cela dépend de l’évolution des mentalités de la société. Il y a trente ans, l’amiante ou les farines animales n’étaient pas considérées comme dangereuses. Qu’est-ce qui empêche les nouveaux indices d’évoluer avec les mœurs, de manière démocratique ?

Quels sont ces indicateurs ?
- Il en existe beaucoup. Le plus connu est l’indice de développement humain (IDH), justement issu des travaux d’Amartya Sen. Il est le premier à avoir établi des comparaisons internationales en combinant un indicateur économique, le PIB, et des indicateurs humains (espérance de vie, scolarisation...). Il existe aussi l’indicateur de santé sociale, mis au point en 1987, qui repose sur seize facteurs fondamentaux de bien-être (mortalité infantile, espérance de vie, accessibilité au logement, taux de suicide...). Et par exemple, en observant celui des Etats-Unis, on s’aperçoit qu’il monte durant toutes les années 60 et qu’en 1970, il commence à marquer une chute... alors que le PIB lui ne cesse son ascension. Je ne parle pas de tous les indicateurs de développement durable, qui mesurent la dégradation de notre planète (type “PIB Vert”), ou des indices de quantification de la responsabilité des entreprises, comme le bilan sociétal, mis au point par le CJDES [3]. Qu’on ne vienne pas dire qu’il n’y a pas d’alternative au PIB !

Certains indices “agissent”-ils directement sur le PIB ?
- Oui, ils entendent séparer ce qui, dans la production, tient effectivement de la “destruction créatrice”, pour reprendre l’expression de l’économiste Joseph Schumpeter, et ce qui tient de la simple destruction. Evidemment, il ne s’agit pas de statuer sur le très subjectif, mais de repérer tous les phénomènes qui, dans nos comptabilités, sont comptés positivement, alors qu’à l’évidence, ils sont destructeurs. Par exemple, James Tobin [4]) a émis l’idée d’un Net National Welfare (“indicateur de bien-être”), qui part du produit national, auquel il soustrait tous les coûts liés à la réparation des dégâts de la croissance : on exclut ainsi une partie des dépenses de police, de justice, d’administration, les dégradations de pollution, les accidents de voiture, etc.

Vous avez aussi une idée : remplacer la monnaie par le temps...
- J’appelle surtout à ce qu’on redonne de la place au temps dans nos comptabilités. Car les unités de temps présentent, comme outils de mesure et d’échange, beaucoup d’avantages sur l’euro ou le dollar : elles sont stables et universelles, contrairement aux monnaies. Elles sont facilement échangeables, comme on le voit dans les banques du temps italiennes ou américaines (time dollar) ou dans la plupart des systèmes d’échanges locaux (SEL) en France. Le temps est enfin une manière de mesurer des efforts et des flux à long terme de plus en plus usitée, y compris par les grandes entreprises. On parle ainsi aujourd’hui d’un investissement de 50 hommes-années, c’est-à-dire l’équivalent de 50 hommes pendant un an ou un homme pendant 50 ans. Il est facile de mesurer un service en temps et même un bien peut l’être : chaque objet valant son temps de confection et de sa fabrication. C’est dans ce sens que je participe à une réflexion sur la monnaie d’utilité écologique et sociale, le Sol (voir Pour une poignée de Sols).

Ne craignez vous pas de rester un peu isolé dans votre optimisme ?
- Je ne suis pas spécialement optimiste : il est possible qu’on aille vers plus de régression et plus de catastrophes écologiques. Moi, je souhaite simplement signaler qu’éradiquer la faim, permettre l’accès à l’éducation et à la santé, cesser la destruction de notre planète est possible, quantifiable, et très largement dans nos moyens économiques. Si rien ne change, c’est une question de choix politique. Pour moi, le 11 Septembre est l’un des grands signaux qui nous révèlent que le modèle productiviste acharné et de compétition à outrance n’a aucun avenir : il génère des injustices et des inégalités croissantes qui conduisent à des "jacqueries mondiales". Je crois aussi que les forces de vie sont beaucoup plus importantes qu’on ne le soupçonne. Je pense aux "créatifs culturels", mis en valeur par deux chercheurs américains en 2000 [5]. Ils estiment ainsi qu’un quart de la population occidentale construit dans son coin des modes de vie alternatifs, coopératifs, écologiques tout à fait cohérents. Voilà l’avenir !

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[1] Karl Polanyi (1886-1964) décrit dans son ouvrage majeur, la Grande Transformation (1944), comment, au XIXe siècle en Europe, le système marchand a progressivement envahi toute la vie sociale, au point de chasser deux autres liens essentiels : le redistribution et la réciprocité. Dernière traduction : Gallimard, 1983

[2] Amartya Sen (1933 -) prix Nobel d’économie 1998, dans son ouvrage l’Economie est une science morale (La Découverte, 1999)

[3] Centre des jeunes dirigeants et des acteurs de l’économie sociale, voir www.cjdes.org

[4] James Tobin (1918-2002), prix Nobel d’économie 1981. Inventeur en 1972 de l’idée d’une taxe mondiale sur les transactions financières, qui a inspiré, presque trente ans plus tard, la création de l’association Attac.

[5] Le sociologue Paul H. Ray et la psychologue Sherry Ruth Anderson. Lire L’émergence des Créatifs culturels, éd. Yves-Michel, 2001

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