publicité
haut
Accueil du site > Actu > Société > Riches, d’accord. Mais riches de quoi ?
Article Abonné
22-07-2004
Mots clés
Politique
Société
Monde

Riches, d’accord. Mais riches de quoi ?

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
 
Et si la croissance du PIB était le plus mauvais des thermomètres pour mesurer le bien-être de notre société et l'état de notre planète ? En ce cas, il faudrait le remplacer par d'autres indicateurs, qui s'intéressent plus à l'homme qu'aux flux monétaires. C'est le sens - détonnant - de la réflexion de Patrick Viveret, philosophe qui vient de ressortir son épatant ouvrage, Reconsidérer la richesse. Nous avons rencontré l'ambitieux penseur, moins utopiste qu'il n'y paraît, dans son bureau de la Cour des comptes. Entretien.
SUR LE MÊME SUJET

Terra economica - Vous ouvrez votre livre sur cette étrangeté : la catastrophe de l’Erika a eu des conséquences positives sur notre croissance ! Comment est-ce possible ?
- Patrick Viveret - C’est ce que j’appelle le “paradoxe de l’Erika”. Ce n’est qu’un symbole, mais il me semble essentiel. La marée noire de l’Erika qui a saccagé nos littoraux en 1999 était une bonne nouvelle économique : elle a permis de faire grimper le produit intérieur brut (PIB), la fameuse “croissance” qui semble si fondamentale à tous les politiques. En effet, les réparations, les indemnisations, le remplacement du pétrolier, etc. ont fait travailler des entreprises, et ont donc créé des flux monétaires. Or, le PIB se contente de constater les flux monétaires dans le secteur marchand et non marchand. A aucun moment, il ne s’intéresse à la nature des activités. Ainsi, il connaît annuellement beaucoup d’autres “bonnes nouvelles” : les accidents de voiture, les sinistres, les maladies, les catastrophes naturelles...

A contrario, vous dites que le PIB ignore d’autres activités vitales...
- Absolument. Pour revenir à l’Erika, les bénévoles qui ont dépollué les plages gratuitement sont considérés, sur le plan de la croissance économique, comme improductifs. Ils contribuent même à la baisse du PIB, puisqu’ils remplacent du personnel salarié ! C’est aussi le cas de l’ensemble des activités associatives et du travail domestique (ménage, cuisine, garde des enfants), qui sont littéralement invisibles aux yeux du PIB. La construction même du PIB accrédite le mythe que les seuls producteurs de richesses sont les entreprises. Le reste de la société, les associations ou les personnes faisant un travail domestique, sont tous des inactifs. Cela prouve que, derrière la pseudo-objectivité des comptabilités nationales, on a des vrais choix de société, arbitraires. Et je crois qu’il faut réouvrir le débat quand on considère que le choix de société qui préside à un indicateur paraît obsolète et contre-productif.

Mais s’il est si contestable, pourquoi l’Occident aurait-il choisi un tel indicateur ?
- Ce choix est directement lié au contexte de la reconstruction qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. L’ampleur des destructions était telle que la reconstitution des infrastructures, notamment industrielles, était perçue comme prioritaire. Nos indicateurs se sont donc alignés sur cette priorité. Mais on peut remonter plus loin : dans l’entre-deux-guerres déjà, les statisticiens et les économistes étaient tenus de plancher sur la question : “Sur quelles ressources s’appuyer en cas de seconde guerre mondiale ?” Or, la leçon qu’ils avaient tirée de la Première Guerre est le rôle déterminant de l’industrie de masse. Ils ont naturellement préconisé de la renforcer. Or, nous nous dépendons aujourd’hui encore de ce choix plus militaire que politique ! Toutes les problématiques actuelles, la surproduction agricole et, surtout, la destruction des biens écologiques, restent au contraire maltraitées dans nos comptabilités nationales.

N’y a-t-il eu aucune opposition au choix du PIB ?
- Globalement non. Quelques auteurs l’ont interrogé, je pense à Bertrand de Jouvenel [1] qui, dans un texte ironique, appelait à détruire Notre-Dame de Paris pour faire progresser le PNB : la cathédrale ne rapporte presque rien, alors que détruite et remplacée par un parking, elle ferait bondir la croissance ! Mais c’était une réserve fort marginale. Le grand courant d’opposition au libéralisme, le marxisme, tombait d’accord avec lui sur un point : les choses sérieuses se passent du côté de l’infrastructure. A la Libération, tout le monde a estimé que si la France avait basculé dans le pétainisme, c’était à cause de son retard industriel et du caractère encore rural - donc conservateur - du pays. Le fait d’ancrer la nation dans la modernité industrielle la vaccinerait contre un nouveau Pétain !

Depuis le début de l’humanité, les richesses matérielles n’ont-elles pas toujours été sacralisées de cette manière ?
- Pas du tout ! L’essentiel des civilisations ont mis en avant d’autres notions de richesses. Pour les Grecs, inventeurs du mot “économie” (oikos nomos), l’activité noble était politique et le travail réservé aux esclaves. Au Moyen-Age, l’économie la plus fondamentale était celle du salut, et le péché mortel le plus grave le prêt à intérêt. Les premiers à avoir entrepris de comptabiliser les richesses sont les physiocrates, au XVIIIe siècle. Mais pour eux, seule la terre était source de richesse : les activités d’industrie et de commerce étaient considérées comme des prélèvements ! En fait, il faut attendre que la bourgeoisie prenne progressivement le pouvoir pour que la France décide que l’essentiel ne réside plus dans la politique, mais dans les affaires. Il est très frappant à cet égard de noter que la Révolution française a stigmatisé la noblesse et le clergé en les traitant d’improductifs. L’idée que la production était ce qui fondait la légitimité sociale et politique avait trouvé une assise.

Revenons au PIB. Pour vous, il n’y a donc rien à en sauver ?
- En fait, le problème n’est pas que le PIB soit un bon ou un mauvais indicateur. A la limite, il peut avoir quelque utilité pour mesurer certaines données économiques principalement industrielles. Ce qui me choque, c’est qu’il soit devenu un thermomètre social et culturel, presque existentiel. Qu’on puisse parler de déclin de la France pour quelques points de croissance de PIB perdus, c’est aberrant ! C’est symptomatique d’un phénomène qui est, selon moi, le vrai fond du problème...

...LIRE LA SUITE DE L’INTERVIEW

Articles liés :
Pour une poignée de Sols

Un ouvrage qui parle d’humanité

Le philosophe de la Cour des comptes

[1] Bertrand de Jouvenel (1903-1987), un des fondateurs de la prospective française. Créateur de la revue Futuribles et pionnier en matière de pensée écologique.

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
Soyez le premier à réagir à cet article !
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas