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Requiem pour un thon (prologue)

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Requiem pour un thon (prologue)
(Crédit photo : Gavin Newman - Greenpeace)
 
Le roman de Romain Chabrol met en scène un activiste qui mène l'enquête sur la pêche au thon rouge en Méditerranée. « Terra eco » et les éditions « Les petits matins » vous offrent les premières pages de ce polar écolo.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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17 novembre.

Caché par le boudin de la cage, j’ai jeté un œil vers la côte. À bord du supply du vigile, une lanterne se balançait tranquillement. Le type semblait avoir disparu dans la cabine. Après avoir rincé mon masque, je me suis remis à l’œuvre, la tête à moitié immergée.

Douze des nœuds qui retenaient le filet avaient déjà sauté sous les dents de mon couteau-scie. Tout se faisait laborieusement, sans la moindre lumière, au toucher. Épuisant. Ce ne sont pas deux mais six semaines de préparation dont j’aurais eu besoin. Fernando, un ancien plongeur de combat espagnol, tournait dans le sens inverse. Beaucoup plus vite... Il avait disparu de mon champ de perception depuis un moment. À trente mètres de là, Paolo et Alessandro, des Italiens qui travaillaient d’habitude sur des documentaires animaliers sous-marins, se livraient à la même opération contre une autre cage. Le ciel était nuageux, sans lune, un vent froid soufflait à quinze nœuds et un méchant petit clapot balayait la baie. On avait attendu une semaine de telles conditions. Le site était surveillé 24 heures sur 24.

Devant moi, les bestioles tournaient. Je ne les voyais pas, mais je les sentais... Et c’était grisant. Le courant de la colonne d’eau glissait sur ma combinaison. J’ai pensé qu’elles se doutaient de notre présence, et puis, c’est vrai, j’ai pensé aussi au Français qui avait des parts dans cette ferme maltaise, celle qui avait accueilli ses captures de l’année, et tout ça m’a redonné un peu d’énergie. Le treizième nœud a sauté. Soudain, j’ai senti mon pied qui partait. La surprise m’a fait lâcher le couteau et je me suis enfoncé brusquement. Très vite, mes tympans se sont mis à gonfler. Je me suis pincé le nez pour dépressuriser et me suis mis en boule. Une demi-clé de corde serrait ma cheville. Le filet s’était-il décroché ? Beaucoup plus tôt que prévu ? C’est aux quatre cinquièmes,­ selon les projections de notre expert, que les filins restants devaient­ se déchirer et le filet basculer par quarante mètres de fond, aspiré par ses lests. Est-ce que Fernando était allé trop vite ? Ou moi trop lentement ? Je n’avais rien vu venir.

La corde était tendue, la clé en béton... La seule chose à faire était de me débarrasser de la palme. En tirant de toutes­ mes forces, j’ai réussi à la faire coulisser de quelques­ centimètres, mais elle semblait agrafée au coin de mon talon. Je continuais à descendre. Sept ou huit mètres.­ J’étais dans le noir complet, la pression devenait insupportable. Tout s’est troublé. Immobile, paniqué, je me suis déplié. J’allais commencer à manquer d’air... Autant m’économiser. Pour aller où ? Ça ne rimait à rien. Sous forme de réflexe vital, l’une des maximes de mon maître m’est alors revenue à l’esprit : « Pour des raisons physiologiques non éclaircies, une activité musculaire modérée en cours d’apnée recule paradoxalement la rupture. » Il ne fallait pas lâcher. Jamais. Je me suis remis à palmer contre la gravité, puis j’ai senti quelque chose contre mon ventre. Une espèce de masse dure et glissante. Au fond ? La masse bougeait, et moi avec elle. J’ai eu l’impression de remonter et senti un claquement dans mon pied : la palme avait sauté.

Dans un dernier effort, complètement asphyxié, j’ai balancé des coups de pieds et, quelques secondes-lumière plus tard, suis revenu à la surface. Respirer m’a fait exploser les bronches. J’étais dans l’œil de la cage. Des masses noires me frôlaient. Je suis allé m’agripper au boudin, puis, trois minutes plus tard, je suis parti à la nage vers le lieu de rendez-vous.

À mi-chemin, un remous fiévreux a agité la surface de l’eau.

Deux mille thons rouges sortaient de la baie.

Les trois autres m’attendaient en silence, cachés dans l’anfractuosité d’un rocher, le visage grimé.

Une barque est venue nous chercher.

– Tout est OK ? a demandé en anglais le gros type barbu qui était à bord.

Chacun notre tour, on a acquiescé, puis on est montés sans échanger un mot. Je tremblais de froid. Le type a ramé jusqu’à un petit yacht, cinq cents mètres plus loin. Là, on s’est débarrassés de toutes les affaires de plongée, rhabillés, débarbouillés, puis on nous a conduits vers un bateau au mouillage dans la baie de Xemxija.

Le lendemain, on a appareillé pour la Crète.


Lire la suite du roman :
- Requiem pour un thon : chapitre I
- Requiem pour un thon : chapitre II

- Requiem pour un thon, de Romain Chabrol, aux éditions Les petits matins, 224 p., 15 euros

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Consultant pour des ONG écologistes et romancier.

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