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Des boues rouges au large des Calanques

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Des boues rouges au large des Calanques
(Crédit photo : Julien Vinzent)
 
Pataquès en Méditerranée. En cause : une usine d'alumine qui déverse des millions de tonnes de rejets en mer près de Cassis. Des scientifiques qui assurent que l'impact sur l'environnement est faible. Et des questions sans réponses.
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Depuis 1893, les trottoirs et les maisons de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône sont recouverts d’une couche de poussière ocre. La faute à l’usine d’alumine qui trône en plein centre-ville. La gigantesque carcasse métallique fait partie du paysage pour les 20 000 habitants de la ville mais après la récente catastrophe industrielle en Hongrie, les craintes autour des boues rouges ont resurgi. Car Gardanne est la seule usine en France à produire ce type de résidus industriels et toxiques. Mais « le stockage se fait sous une forme beaucoup moins liquide qu’en Hongrie », a aussitôt rassuré le cabinet de la secrétaire d’Etat à l’Ecologie d’alors, Chantal Jouanno. Surtout, l’essentiel des résidus n’est pas stocké à terre, mais rejeté en mer ! Un pipeline de 55 km de long les conduit en effet dans une fosse de 2 400 mètres de profondeur au large de Cassis, dans une zone Natura 2000 au cœur du futur parc national des Calanques. Une situation qui ne fait pas que des heureux.

Cette solution, adoptée dans les années 1960 alors que l’espace manquait à Gardanne, a un énorme avantage : elle coûte 15 fois moins cher qu’un stockage au sol. Un argument de poids dans une ville où l’usine est le premier employeur, avec actuellement 700 salariés dont 200 en sous-traitance. Si elle ne pèse pas lourd dans les 9 millions de tonnes produites par an par le groupe Rio Tinto, propriétaire de l’établissement, c’est le n°1 européen pour les alumines techniques, très demandées dans l’industrie de pointe. Extraite de la bauxite, l’alumine permet de fabriquer de l’aluminium mais aussi des écrans plasma, des plaques à induction et même de la lessive. L’usine affiche un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros annuels mais aussi 240 000 tonnes de résidus rejetés en pleine mer en 2008.

Records français pour l’arsenic, le zinc, le nickel…

A Cassis, les maires successifs et les riverains sont amers. « Le canyon sous-marin a été sacrifié », déplore Yves Lancelot, océanographe à la retraite et président du collectif associatif « La Ciotat Cœur de Parc ». Il s’inquiète aussi de la dispersion des métaux lourds rejetés. En 2004, l’usine était en effet championne d’Europe de la pollution des eaux au plomb et au chrome. Elle truste régulièrement les records français pour l’arsenic, le zinc, le nickel, le cuivre et le titane. Les boues sont retrouvées jusqu’à 60 kilomètres face à la conduite et l’on ignore jusqu’où le courant les emporte.

« Ce que voit l’animal ou le végétal, ce n’est pas un tonnage par an. Il faut raisonner en termes de concentration dans et autour du rejet » et d’espèces chimiques sous lesquelles ces métaux sont présents, nuance Jean-Charles Massabuau, écotoxicologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Bordeaux. Mais la suite est plus prudente : « L’erreur est peut-être de croire que parce qu’il y a un grand fond, on rejette dans l’infini. Et il n’est pas évident que cela soit fixé pour l’éternité ». Car une fois au fond, les boues sont susceptibles de subir des modifications chimiques.

D’autres voix en Australie et en Irlande

En Australie, pays riche en bauxite, le CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation), le CNRS local, évoque une « libération potentielle de métaux toxiques » et des « effets à court et long terme inconnus sur les écosystèmes en général et la chaîne alimentaire en particulier ». Un avis partagé par Fouad Abousamra, chargé de la pollution de la Méditerranée au Programme des Nations unies pour l’environnement. Côté industriels, la compagnie irlandaise Aughinish Alumina a, elle, écarté cette solution en citant des études concluant à la toxicité des boues pour le milieu marin.

Pourtant, à Marseille, Rio Tinto et les services de l’Etat sont catégoriques : il n’y a aucun « effet toxique sur la faune » ni « risque sanitaire » concernant la chaîne alimentaire, assure Laurent Roy, à la tête de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Avec à l’appui les travaux d’un comité scientifique de suivi créé en 1995 et composé de six chercheurs « reconnus et indépendants », insiste-t-il. Celui-ci reconnaît en revanche que « les animaux sont absents » dans l’axe du canyon, recouvert en permanence par l’écoulement du tuyau.

« C’est pour moi l’analyse la plus pertinente que nous ayons sur le sujet », tranche le fonctionnaire, pour qui « il faut se garder de toute généralisation hâtive. En matière environnementale, il faut regarder précisément ce qui est rejeté et la sensibilité de chaque milieu. » Des conclusions qui étonnent Craig Klauber au CSIRO, qui s’interroge, lui, sur la précision de la connaissance de l’état antérieur de l’écosystème… étant donnée l’ancienneté des rejets.

Arrêt programmé en 2015

En application de la Convention de Barcelone sur la protection de la Méditerranée, la préfecture impose cependant depuis 1994 une diminution progressive des rejets, jusqu’à leur arrêt complet en 2015. Ce qui ne manque pas d’inquiéter localement : en 1996, face à l’incertitude sur le renouvellement de l’autorisation des rejets, l’industriel avait gelé un plan d’investissements et d’embauches. Depuis, il a pris les devants pour anticiper le moment où il devra fermer les vannes (voir ci-dessous). Mais l’avenir du site est loin d’être assuré à moyen terme.

Alors pourquoi prendre le risque d’une fermeture avec une interdiction des rejets s’ils ne présentent aucun danger ? « Les préoccupations environnementales de l’époque et celles de maintenant ne sont pas comparables », répond Laurent Roy. Quoi qu’il en soit, les rejets continueront malgré l’inauguration du parc des Calanques prévue en juin 2011. « Dans une première phase », reconnaît-il, mais « dans un contexte de nette diminution » depuis vingt ans. Sur sa terrasse avec vue sur la baie de La Ciotat, à quelques kilomètres du tuyau, Yves Lancelot soupire : « Le problème, c’est que personne ne peut certifier que c’est inoffensif et s’il y a un mal, de toute manière, il est déjà fait. »


Quelle alternative aux rejets ?

Que va faire Rio Tinto de ses boues rouges après 2015 ? Dans un premier temps, elles iront vers le site de stockage à terre de Mangegarri, à quelques kilomètres de l’usine. Mais comme la place est limitée, la piste de la valorisation est étudiée depuis une dizaine d’années. Filtrées et pressées, ces boues rouges prennent une forme plus solide, commercialisées sous le nom de Bauxaline. Utilisations possibles : réhabilitation de décharges, remblais pour routes, voire dans le secteur du bâtiment. « Il y a trois problèmes majeurs : réglementaire – déchets ou résidus ? – de coût du transport (on sait qu’au-delà d’un rayon de 100 km c’est très difficile) et de concurrence : les carriers ont depuis des décennies leurs propres produits », détaille Jean-Claude Dauvin, président du Comité scientifique de suivi qui travaille également sur ce sujet. Hormis des grosses commandes comme 100 000 tonnes en 2003 pour la couverture de la décharge d’Entressen, la Bauxaline s’écoule seulement à quelques dizaines de milliers de tonnes par an. Une quantité bien insuffisante alors que le site de Mangegarri fermera en 2021.

- Retrouvez la saga industrielle de l’usine de Gardanne racontée par Julien Vinzent sur marsactu.fr

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6 commentaires
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  • Lionel : merci

    Un article intéressant, objectif et complet, merci beaucoup Terraeco.

    De mon côté, je pense que le mal a en effet "déja été fait" et notamment aux début de la vie de l’usine : quand un milieu devient trop toxique (concentrations en métaux lourds, turbidité de l’eau, autres polluants...), les individus animaux adultes n’ont que deux possibilités partir à l’inconnu à la recherche d’un autre milieu ou mourir sur place. Le lieux de rejet des boues restera surement vide de vie tant que le déversement continuera et surement des disaines d’années après (oui, oui : des dizaines avant qu’un équilibre vivant revienne à peu près à la normale ... et si le site est protégé des courants, je dirais ptetre même des centaines). (je ne dis pas du tout cela dans le vent, ne vous inquiétez pas : je m’appuie sur mes cours de DUT Hygiène-Sécurité-Environnement, à La Ciotat, en cours d’impact environnemental avec l’exemple principal de l’étang de Berre, très étudié lui au contraire de l’exemple d’aujourd’hui).
    (http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89...)

    3.12 à 12h37 - Répondre - Alerter
  • http://www.paca.developpement-durab...
    Pourquoi s’inquiéter ? Regardez les chiffres et le détail des rejets concernant cette usine dans ce document. Ils parlent d’eux mêmes. Ca vous dit des poissons au plomb pour une bonne bouillabaisse ? Merci pour ce relais d’information. Ca m’énerve !

    26.11 à 19h02 - Répondre - Alerter
    • Extraits:C’est un residu spermio embriotoxique meme à tres forte dillution,60 millions de tonnes rejeter en mer ,Ce residu remonte en surface et les courants le tranporte : 34 metres d’epaisseur à l’endroit du rejet devant Cassis et 50kms à l’est (Toulon)il y en a encore 10cms d’epaisseur......
      Etudes faites par des Laboratoires INDEPENDANTS
      DIRE QUE C’EST UN PRODUIT inerte est une imposture scientifique !
      Depuis 1966 le rejet s’arrete.... dans4ans.
      Pour avoir plus de renseignement me contacter:Gerard Rivoire

      28.11 à 21h19 - Répondre - Alerter
  • Bonjour

    Gardannais, élu municipal Europe Ecologie (d’opposition à la mairie en place), je me bats avec notre groupe pour lever l’omerta sur la ville la plus polluée en poussières de tout le sud de la France ! Une poussière de particule, qui en plus de colorer la ville, crée des problèmes de santé. Aucune étude sanitaire n’a été faite en ce sens pour déterminer l’état de santé des gardannais, pour permettre de travailler avec l’usine à la baisse de cette pollution.
    Concernant les boues rouges, Michèle Rivasi en visite le 22 octobre a proposé de bénéficier de fonds européens pour trouver des alternatives au stockage (notamment en transformant ces déchets en produits valorisés pour le BTP par exemple)
    Merci donc à cet article .... et à votre dispo pour tout traiter : boues et pollutions atmo
    François-Michel LAMBERT
    Gardanne

    26.11 à 11h59 - Répondre - Alerter
    • Bonjour.
      Je possede le rapport confidentiel sur la toxicite des boues rouges TEL 0613404560 Gerard rivoire

      23.12 à 10h11 - Répondre - Alerter
    • Monsieur François-Michel Lambert,

      Vous trouverez quelques mots de ma part à votre adresse de courriel.

      Brièvement, la solution se trouve dans le communiqué de presse du 4 février 2013 du site Internet www.orbitealuminae.com concernant l’acccord entre Veolia Propreté, une companie française, et Orbite Aluminae, une compagnie québécoise.

      D’abord, l’aluminium à base de bauxite, c’est une histoire de 125 ans, mais une ère nouvelle a commencé avec la technologie d’Orbite Aluminae.
      Évidemment, Paris ne s’est pas bâti en un jour, et la bauxite ne va pas disparaître du jour au lendemain. D’ici à ce que la nouvelle manière de faire de l’aluminium (sans bauxite) entre dans les moeurs, le problème des boues rouges peut être réglée. Parlez-en à Pascal Decary, pdg de Veolia Propreté, qui ne tarit pas d’éloges sur la nouvelle technologie de recyclage et de valorisation des boues rouges. Veolia doit décider du site de la première usine de recyclage avant la fin de 2013. Faites l’usine à Gardanne !

      11.05 à 21h31 - Répondre - Alerter
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