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16-09-2004
Mots clés
Social
France

Profession : licencieur

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Bruno D., 41 ans, et Francis T., 51 ans ont un point commun : ils ont mené plusieurs plans sociaux, engagé des centaines de licenciements. Isabelle Pivert livre leurs témoignages. Extraits.
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Isabelle Pivert. Plan social. Entretien avec des licencieurs. Editions du Sextant, 2004, 120 pages, 15,5 euros. Pour commander l’ouvrage : écrire aux Editions du Sextant - 185, rue Ordener, 75018 Paris. Ou editions.sextant@wanadoo.fr

"Quelqu’un s’est déshabillé dans mon bureau"

Extrait de l’entretien avec Bruno D., 41 ans, directeur des ressources humaines, "un homme grand, au physique agréable, qui semble très à l’aise". Bruno D. a pratiqué plusieurs plans sociaux, de 1992 à 2002, en France et en Espagne.

B.D. : J’ai eu le cas d’un ouvrier que je rencontrais en entretien, car même si on n’avait pas l’obligation de l’entretien compte tenu du nombre de personnes licenciées, on le faisait quand même... J’ai vu quelqu’un qui s’est déshabillé dans mon bureau pour me montrer ses cicatrices à la jambe et sur le torse. A cet instant-là, on se dit qu’on a quelqu’un en face de soi qui en arrive à une telle détresse qu’il est capable de se déshabiller...

Cette personne s’est retrouvée en sous-vêtement dans mon bureau, et, moi, je ne savais plus quoi faire. C’était déroutant. A ce moment-là, on mesure la détresse des gens, en se disant qu’il n’y a pas de limite, en arriver là... Ce n’était pas du cinéma, c’était vraiment quelqu’un qui voulait aller au bout, montrer ce qui n’allait pas, son problème, son problème était physique ; il avait été opéré, aux jambes, aux bras, et cela signifiait : voilà, moi j’ai mon corps qui ne me portera pas demain pour rechercher autre chose, voilà ma détresse, elle est aussi physique, et finalement au moment où je perds mon emploi chez vous, l’état physique dans lequel je suis ne me permettra pas de trouver quelque chose...

I.P. : Quelle a été votre réaction ?

B.D. : Je n’ai rencontré cela qu’une seule fois... Je crois qu’il y a des moments où l’on éprouve une difficulté à faire ce qu’on fait, c’est-à-dire qu’on se dit : non ce n’est pas cela que je voulais faire comme métier, pour parler crûment. Et puis je n’étais pas préparé à cela, je n’ai pas su comment réagir. Pourtant c’est dans ces situations qu’on apprend à parler aux gens, à leur donner une écoute. Les écouter, c’est important. Mais l’écouter, là, même le regarder, voir tout cela... A un moment il voulait que je le voie, alors je l’ai regardé.

Je crois qu’il faut aussi répondre à cela, regarder les gens, et puis écouter, écouter tout ce qu’ils ont à dire, toute leur détresse, toutes leurs inquiétudes. Et surtout pour moi ce qui était important - pour moi le premier plan social, c’était aussi un moment difficile - et ce que j’ai retenu pour la suite, c’est qu’il faut aussi parler aux gens, leur parler franchement, sincèrement. A aucun moment je n’ai cherché à éluder ou donner des raisons autres que celles qui nous avaient amenés à prendre cette décision. Dans les faits, l’application des critères faisait qu’on envisageait le licenciement pour cette personne-là, et il a fallu lui dire des choses abruptes. Mais le fait de dire des choses de façon entière, c’est une marque de respect, c’est qu’on était sincère, il n’y avait pas de demi-mot, pas de mensonges, ce n’était pas raconter n’importe quoi, c’était dire la vérité, même si parfois elle est brutale...

Et ce qui m’a beaucoup surpris, dans ces entretiens, je parle toujours de mon premier plan social, c’étaient des gens qui partaient en disant merci. Merci, parce que je les avais écoutés, parce que je leur avais dit les choses avec sincérité. Il n’y avait pas eu de jeu entre eux et moi. Les choses avaient été crues d’un côté comme de l’autre, mais sincères.

"Un mouvement excessif, un excès de libéralisme"

Extrait de l’entretien avec Francis T., 51 ans, "un homme au front impressionnant, presque chauve, de taille imposante". Francis T. a été directeur général et directeur des ressources humaines dans plusieurs secteurs dont le secteur automobile. Sur une période de vingt ans, il a participé à des plans sociaux représentants un ensemble de 3000 licenciements. Sur ce total, il s’est "occupé complètement" d’"un peu moins de 1000 personnes".

I.P. : On surnomme certaines personnes qui pratiquent des licenciements massifs, des nettoyeurs. Qu’est-ce que cela vous fait si on vous appelle le nettoyeur ?

F.T. : Je ne pense pas qu’on m’appellera jamais comme cela. Personnellement je referai peut-être des opérations comme celles-là, mais uniquement avec une garantie de moyens. Je n’accepte pas de faire des choses au coût minimum ou en cherchant la petite bête, parce qu’il y a un minimum de respect. Il y a un minimum de respect des personnes. S’il faut faire des choses qui sont déjà délicates, qui posent problème, comme vous le disiez justement, au niveau de la société...

Parce que si on revient juste une demi-minute sur la société : quelle est la finalité d’enrichir quelques milliers de personnes déjà très riches, encore plus maintenant ? Il faut quand même se rappeler que 20% de la population mondiale a un dollar par jour et 45% vit avec deux dollars par jour. C’est quand même pas beaucoup. A mon avis, pour le moment, le communisme est complètement tombé, c’était nocif.

Mais il y a un gros mouvement excessif, un excès de libéralisme. Les hommes, les femmes, les enfants, c’est quand même le plus précieux d’une société. Il faut à mon avis d’un point de vue politique que tout le monde puisse vivre, même s’il faut une certaine exigence vis-à-vis de tous. Certaines entreprises se préoccupent trop peu de la société.

I.P. : Ce qu’on appelle la responsabilité sociale des entreprises, est-ce une grande idée creuse ?

F.T. : Oui, mais il y a une tendance... Les sociétés américaines sont très orientées sur leur cotation en bourse, or le cours de bourse c’est la dictature du trimestre. Il y a deux types de capitalismes, l’anglo-saxon et le rhénan. Je préfère le rhénan qui est beaucoup plus orienté sur un développement durable.

I.P. : Une dernière question : vous-même, vous êtes au chômage depuis combien de temps ?

F.T. : Je ne réponds pas à cette question.

I.P. : ... ?

F.T. : ... Quelques mois.

I.P. : Quelques mois. Et que pensez-vous personnellement du chômage ?

F.T. : Ce n’est pas une période agréable mais... C’est un peu inévitable. Je ne pense pas qu’il soit normal d’avoir des emplois garantis à vie, même dans la fonction publique. Je pense que le chômage est trop important en France, la rigidité du marché du travail est trop forte... Ce n’est pas agréable à vivre, mais c’est une période que beaucoup de personnes vivent.

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