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Indicateurs de Développement Durable

Par Anne Musson
20-05-2011

Pondération des indicateurs : discrétion, circonspection…et manipulation

Pondération des indicateurs : discrétion, circonspection…et manipulation
(Getty images; Florini et al. (2011))
Une étude originale parue ce mois-ci propose d’évaluer la soutenabilité des régions italiennes, à travers des indices composites. Au-delà de nous apprendre que le Trentin-Haut-Adige est assurément la région la plus soutenable d’Italie, et la Sicile la pire, cet article souligne la pluralité des méthodologies utilisées et utilisables pour la construction d’indices synthétiques, en matière de pondération notamment. Quels sont donc les biais induits par celle-ci ? Sont-ils conséquents ?

L’exercice de Florini, Pagni, Falorni et Luzzati

Une récente publication de chercheurs italiens [1] nous expose, à travers 16 calculs différents d’indices composites, le classement des régions italiennes suivant leur soutenabilité. La méthode « référence » utilisée est conforme à la construction préconisée par l’OCDE et le Centre Commun de Recherche de la Commission Européenne [2]. L’indice reprend les dix piliers énoncés par Eurostat dans la cadre de la stratégie de l’UE en faveur du développement durable. Les variables composants ces dix piliers, au nombre de 66 au total, ont été choisies en fonction de la disponibilité des données au niveau régional (on fait ce que l’on peut !), d’un modèle élaboré par la Toscane pour évaluer les politiques régionales et, au dire même des auteurs,…de leur « opinion personnelle » (critiquable à souhait) ! Il s’agissait ensuite de choisir si, pour permettre une bonne soutenabilité, chacune des variables doit être élevée ou plutôt faible. Si affirmer que plus les transports routiers sont limités, plus le modèle régional est soutenable, parait justifié, en revanche, considérer que l’espérance de vie doit être la plus élevée possible peut être discutable (il suffit de penser aux problèmes démographiques rencontrés par la Chine ou l’Inde, et celui du vieillissement de la population que confronte le Japon, par exemple), tout comme est contestable la préférence pour une faible consommation d’eau, ou même la faveur pour un taux d’emploi le plus élevé possible !

Passons rapidement sur le reste de la méthode, issue de quelques formules ingénieuses (tous les détails sont dans l’article). Le classement obtenu correspond à la première colonne du tableau [3], ou aux cases grisées de la diagonale principale. Quinze autres classements sont donc réalisés, fruits des changements de méthode de pondération des variables et des dix thèmes principaux. Le grisonnement des cases du tableau nous informe sur l’intensité des places obtenues par chaque région, c’est-à-dire combien de fois ladite région s’est classée en telle position. Par exemple, la Sardaigne a été classée 18ème selon 47% des classements effectués par les chercheurs italiens. La Vallée d’Aoste, quant à elle, a été le plus souvent (selon un peu moins de la moitié des classements) classée 13ème alors que l’indicateur de référence la plaçait 4ème.

Que constate-t-on ?

On constate alors que les têtes de liste (Trentin-Haut-Adige et Toscane) et les bonnets d’ânes (la région des Pouilles et la Sicile) le sont de manière robuste, la case de leur classement initial étant particulièrement foncé. En revanche, beaucoup de régions obtiennent une grande variété de classement : leur soutenabilité peut donc être considérée comme faible ou forte, selon la méthode de pondération utilisée, les 66 variables étant elles, à chaque fois exhaustivement présentes. Si l’on ne se situe pas dans les extrêmes, le choix de la pondération apparait dès lors essentiel… Tentons quelques explications.

Les problèmes posés par la pondération des variables

Les pondérations, quelles qu’elles soient, ne sont jamais exemptes de critiques : elles peuvent être objectives, ne pas tenir compte des bouclages macroéconomiques concernant les volets économiques, uniques donc forcément inadaptées pour certaines données, etc. De plus, elles imposent une hiérarchie entre les indicateurs de base, mais aussi, bien souvent, concernant le développement durable, une hiérarchie entre ses trois pôles principaux [4] : il n’existe ni vérité établie, ni consensus scientifique pour le faire. Un biais est toujours initié par une pondération, et puisque celle-ci ne peut s’appuyer sur la science, elle est alors quantifiée de manière arbitraire, révélant alors une tendance idéologique. Dans l’article exposé précédemment, se posait ainsi la question du poids à accorder aux différents thèmes -en matière de soutenabilité, la catégorie Ressources Naturelles est-elle plus ou moins importante que celle de la Santé Publique ? Et comment va-t-elle se situer par rapport au pôle Développement Socio-Economique ? - et aux différentes variables -au sein de la catégorie Santé Publique, le taux de mortalité infantile doit il avoir une pondération plus élevé que le nombre de fumeurs ? Que le nombre d’hôpitaux ? - Les universitaires italiens, en essayant nombre de combinaisons possibles (même pondération partout, poids identique pour les variables mais différent pour les catégories et inversement, etc.), nous prouvent que les réponses à ces questions ont un effet conséquent sur les classements. De plus, avec ou sans pondération, il s’agit, pour finir, d’additionner les indicateurs, en faire parfois une moyenne : les imbriquer de façon à ce qu’ils ne fassent qu’un. Là encore, même si une conversion a au préalable été établie, il n’est pas forcément judicieux d’additionner des indices ou des taux. Le meilleur exemple de ce que peut être l’absurdité d’une telle opération nous est donné par Forbes, qui, pour obtenir l’Indice de Misère Fiscale, fait un calcul très simple : sont additionnés, tels quels, les taux d’imposition sur les sociétés, sur le revenu des personnes physiques, sur la fortune, les taux de charges sociales des employeurs, des salariés et le taux de TVA [5] !.

Prenons garde !

Si simple et parlant que soit l’indice composite au final, son interprétation est en définitive très compliquée, et doit être réalisée avec prudence. Il n’existe donc pas de pondération parfaite, assez robuste, pertinente et exempte de critique méthodologique. Chaque approche présente des intérêts et des limites. Il appartient simplement au lecteur d’être prudent quant à l’interprétation des résultats, car chaque méthodologie a des finalités qui lui sont propres, ce qui rend l’utilisation des résultats à chaque fois différente. Les différents indicateurs composites de soutenabilité et/ou de développement durable s’avèrent finalement complémentaires, appropriés à diverses problématiques : ainsi, comme ces italiens, il faut user de comparaisons, de détails, et de précisions quant aux composants de l’indice final.

[1] Floridi, M., et al.. An exercise in composite indicators construction : Assessing the sustainability of Italian regions, Ecol.Econ (2011), doi : 10.1016/j.ecolecon.2011.03.003.

[2] Nardo, M., Saiasana, M., Saltelli A., Tarantola, S., 2005. Tools for Composite Indicators Building, European Commission-Joint Research Center. Nardo, M., Saiasana, M., Saltelli A., Tarantola, S., Hoffmann, A., Giovannini, E.,2008. Handbook on Constructing Composite Indicators- Methodology and user guide. OECD publishing.

[3] Lien du tableau

[4] Economie, Environnement, Social

[5] Cela mériterait un billet à part entière !

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