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Scènes, climat et remue-méninges

Par Hervé Fournier, Dominique Béhar
3-07-2009

Neutralité carbone & manifestations culturelles

Le concept est anglosaxon, pragmatique, mobilisateur. Il fleurit dans la communication des opérateurs culturels depuis quelques mois : Neutral Carbon Theatre à l’Arcola de Londres, Neutral Carbon Festival à Hove, guides canadiens du Neutral Carbon Event… Les producteurs s’approprient la neutralité carbone pour mobiliser leurs équipes et les spectateurs sur les enjeux environnementaux et inciter à un effort collectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais la neutralité carbone est–elle un concept pertinent, peut-elle être revendiquée dès lors que le moindre évènement génère des déplacements, des consommations énergétiques ? L’approche comptable de la compensation carbone répond t-elle aux enjeux du développement durable ? Eléments de réponse.

L’approche carbone des manifestations culturelles

La réussite d’une manifestation culturelle se mesure aujourd’hui au nombre de spectateurs, à la qualité de l’affiche, éventuellement à l’écho médiatique ou profit financier générés par la production. Le sera-t-elle bientôt au regard de son impact environnemental et si oui comment ? Les multinationales préparent l’économie carbone et dans les industries culturelles et de loisirs apparaissent les premières initiatives : le groupe Disney prévoit à terme (sans préciser lequel !) de réduire à zéro ses émissions de dioxyde de carbone sur ses sites d’activités ; des producteurs et groupes artistiques évaluent désormais les émissions de gaz à effet de serre de leurs tournées : Radiohead , Pearl Jam, The Dave Matthews Band ou Tryo récemment en France. Les productions théâtrales effectuent des diagnostics effet de serre (Carbon footprint pour le National Theatre et le Royal Court Theatre à Londres sur plusieurs productions ) Rappelons que les gaz à effet de serre (GES) sont les gaz qui retiennent en partie la chaleur solaire réfléchie par notre planète et contribuent ainsi, par leur augmentation en volume, au réchauffement global de l’atmosphère. Ils sont d’origine naturelle ou humaine, notamment le dioxyde de carbone qui contribue aux trois quarts aux GES .

En France, les principaux postes d’émissions carbone sont dus à la combustion des énergies fossiles provoquée par nos déplacements, la production, la construction et l’usage de notre cadre de vie immédiat (habitat, bureaux, usines…) Aller en voiture à un concert dans une boîte noire climatisée de type zénith ou théâtre, participe au réchauffement global de la planète ! Devons-nous pour autant stopper toute pratique culturelle au vu de son impact environnemental ? Certainement pas mais un peu de réflexion et d’action sur nos comportements et nos éco gestes favoriserait la pérennité de notre mode de vie. L’approche carbone par la sensibilisation, la mesure initiale et l’évaluation des efforts entrepris peut donner un cadre général aux engagements collectifs et individuels, d’autant plus qu’elle est partagée par de nombreuses organisations au niveau mondial (voir réseau IETM ) A l’échelon opérationnel, elle peut être facilement mise en œuvre.

La neutralité carbone : définition, méthode

Le prochain sommet de Copenhague à la fin de l’année 2009 va édicter une feuille de route pour inviter la communauté internationale à réduire ses GES afin de limiter les bouleversements climatiques que vivront nos …. petits enfants. Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme continuellement sur l’ampleur des efforts que l’espèce humaine va devoir consentir à la fois pour s’adapter aux conséquences du réchauffement global et adopter de nouvelles relations à son environnement dans les 15 ans à venir . Les projets dits à neutralité carbone apparaissent comme des réponses fortes au niveau symbolique, elles engagent fortement ses initiateurs qui la définissent ainsi :

« Un évènement qui réduit les émissions de gaz à effet de serre dans l’ensemble de son cycle de vie et qui compense les émissions incompressibles »

Mettre en œuvre une démarche de neutralité carbone exige donc la méthodologie suivante : 1/ L’évaluation précise des émissions de G.E.S. de l’activité (un évènement, un équipement…) 2/ L’engagement à les réduire, en mobilisant ses équipes et l’ensemble de ses parties prenantes à y contribuer autour d’objectifs écrits, partagés, mesurables pour lesquels des moyens intellectuels, logistiques, financiers sont déployés. 3/ La compensation des émissions non réductibles, par le financement de projets favorisant une économie de GES .

Evaluer les émissions dans la sphère culturelle : la question du périmètre Une démarche de diagnostic gaz à effet de serre pose comme préalable la collecte de l’information relative aux consommations d’énergie, aux modes de déplacements et de fret, aux matériaux et services achetés, vendus. Dans les arts de la scène, depuis Loïe Fuller, l’électricité est largement utilisée, son origine et son volume sont facilement connus sur la base des facturations reçues. Il en est de même pour les énergies liées au chauffage, pour les gaz frigorigènes de la climatisation des locaux… Pour les équipements culturels, apparaissent pourtant les premières difficultés liées à la prise en charge ou nom dans son budget des fluides, à l’usage partagé des locaux ou à leurs différentes affectations (diffusion, création)

Cette question du périmètre d’analyse de l’impact carbone devient délicate dès lors que sont pris en compte les déplacements des spectateurs ou visiteurs de l’évènement. Faut-il les comptabiliser en sachant que ce ne sera pas le responsable de l’équipement qui changera la donne en matière de transport collectifs et de construction de pistes cyclables ! Il s’agit pourtant de l’aspect environnemental le plus significatif d’une activité de spectacle ou d’exposition et quel que soit le mode de collecte (sondage lors de l’achat des billets, échantillon interrogé le jour de l’évènement ou projection à partir d’une analyse de fréquentation), les GES liés aux déplacements figureront en tête du volume des émissions .

La cohérence d’une évaluation carbone exige qu’y figurent les déplacements dont la quantification aura valeur de message de mobilisation générale pour les parties prenantes notamment les pouvoirs publics de tutelle.

Réduire ses émissions carbone : le défi collectif

L’engagement collectif formulé par l’Union Européenne du Facteur 4 impose un cumul d’efforts individuels phénoménal. Les solutions sont connues en terme de pratiques des activités humaines : limiter ses déplacements en voiture ou à défaut pratiquer le co voiturage, s’interroger sur ses actes de consommation et sur l’usage que l’on fait des produits et services. Dans le cadre d’un équipement, les pistes d’amélioration doivent être innovantes : offre globale Billet + titre de transport, développement via les réseaux sociaux de communautés de spectateurs d’un lieu, dialogue régulier avec les sociétés de transports sur les horaires de programmation… Certes, ces micro éco gestes ne suffiront pas seuls à réduire notre empreinte carbone mais ils participent d’un élan général devant lequel chacun devra s’interroger sur son mode de vie et aujourd’hui, l’attention se porte sur la sphère comportementale , avant même les améliorations techniques dans les fiches techniques des spectacles (éclairage scénique, optimisation des consommations via le câblage par exemple) A défaut, l’encadrement des émissions carbone via l’éco conditionnalité dans les financements publics, la taxation carbone remise à l’ordre du jour récemment, ou la fourniture obligatoire d’information carbone amèneront les organisations et leurs dirigeants à se mobiliser sur ce sujet .

La compensation carbone

S’acheter une bonne conduite via l’achat de crédits carbone ou le cofinancement de projets dits de compensation n’est pas sans heurt sur le plan intellectuel : au-delà de leur pertinence scientifique (les programmes de compensation ne sont pas à l’échelle des enjeux du réchauffement global), elle déresponsabilise celui qui la finance. Il est en effet plus simple d’acheter une tonne de CO² à 15 euros que de s’engager à réduire d’autant ses émissions et de s’attaquer frontalement à sa vulnérabilité carbone ! Cette approche comptable du sujet (émissions carbone moins crédit carbone = zéro émissions !) constitue pourtant le socle de la taxation carbone. Aujourd’hui volontaire, elle ne peut être rejetée en bloc dès lors que ses principes de fonctionnement sont transparents, vérifiées et vérifiables. La compensation est perçue comme légitime si elle accompagne les pays du sud dans un développement moins dépendant des énergies fossiles ou si elle finance la recherche sur ces sujets . Elle est un mécanisme financier incitatif, elle participe de ces nouvelles règles du jeu qui s’impose(ront) à l’économie des pays riches dans un premier temps.

La filière culturelle française à la croisée des chemins

A quelques jours des grands festivals d’été, instants propices aux échanges et débats entre les professionnels de la filière culturelle, l’engagement des structures et des projets sur cette question du climat mais plus globalement sur la relation de l’homme à son environnement est plus que jamais nécessaire . La vulnérabilité de cette filière de par la crise profonde de son modèle économique (hausse des charges, financement de l’intermittence, tarissement des subventions, crise du disque, explosion de la « gratuité »…) peut la conduire à de la prospective et de l’innovation opérationnelle. Toutes les filières économiques de ce pays sont en profonde mutation, interrogeant le (leur) modèle de développement. En tant qu’activité économique, le secteur culturel suivra les autres sur ces sujets. En tant qu’œuvre de l’esprit, on aurait aimé qu’il soit pilote !

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