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31-01-2010
Mots clés
Politique
Urbanisme
Etats-Unis
Interview

Mike Davis : « Réintégrer les classes populaires dans la ville »

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Mike Davis : « Réintégrer les classes populaires dans la ville »
 
SERIE : ILS IMAGINENT LA VILLE DE DEMAIN 2/4. Vétéran des luttes pour les droits civiques aux Etats-Unis, le sociologue et urbaniste Mike Davis étudie la décadence des villes depuis des années. Son pessimisme ne l’empêche pas de rêver d’une cité idéale réconciliée avec l’écologie.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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(En Californie)

Demander à Mike Davis, auteur d’un ouvrage intitulé Dead Cities, de décrire la ville de demain est un exercice périlleux. Ce célèbre sociologue et urbaniste californien présente une vision apocalyptique de la métropole du XXIe siècle. Ses tirades passionnées sur la ville moderne nous mènent pourtant de l’enfer au purgatoire. On le retrouve chez lui, dans un quartier de San Diego, au sud de Los Angeles, près de la frontière mexicaine, où coexistent classes moyenne et ouvrière. Fidèle à ses racines, Mike Davis, ce self made man qui n’a découvert l’écriture qu’à 30 ans, a choisi de ne pas habiter dans le quartier de La Jolla, QG chic des universitaires. Avant d’être camionneur puis intello réputé, il travaillait dans un entrepôt frigorifique. Auteur d’innombrables pamphlets sur la décadence des villes, Mike Davis jure que leur renouveau passera par le retour des classes populaires au cœur des centres urbains. La façade de son habitation, gros cube moderne et coloré dessiné par un architecte à la mode, contraste avec le reste des maisons alignées dans sa rue. A 63 ans, c’est un rebelle qui s’insurge contre la privatisation croissante des espaces publics, la ségrégation spatiale et la prolifération extrême des banlieues et des ghettos. Ses détracteurs l’accusent d’urbanophobie. Il répond que l’urbanisation est à la fois un fléau et une chance pour l’humanité.

À bord de son pick-up, il nous emmène sur les lieux de son enfance : El Cajon, cité pauvre de 100 000 habitants, encastrée dans une vallée aride. Il évoque le cocktail fascinant que constitue cette ville où cohabitent, tout en s’ignorant, évangéliques, immigrés latinos, Irakiens chaldéens et représentants des Hells Angels, le célèbre gang de bikers. Il dénonce les inégalités sociales en montrant les McMansions, énormes demeures bâties sur les collines qui surplombent la vallée, refuges des privilégiés et aberrations écologiques, la zone étant exposée aux risques d’incendies. Mike Davis gare alors sa camionnette dans un parking vide en face des locaux de l’Armée du salut et nous guide vers un local ultra kitsch décoré de fleurs en plastique et de fausses colonnes romaines. Bienvenue au siège de l’Unarius Academy of Sciences, obscure secte californienne qui ne jure que par la vie extraterrestre et la réincarnation, mais qui voue, par ailleurs, un culte à Nikola Tesla, grand partisan de l’énergie libre et gratuite – mort en 1943. Le but de cette pause ? Nous montrer la maquette de la ville utopique imaginée par la secte : une cité circulaire, alimentée en énergie par une tour conçue par Nikola Tesla. Une ville sans tribunal ni prison. Et dont les espaces résidentiels – en forme de tout petits cercles – sont reliés aux espaces de loisirs et de travail par des chemins bien tracés. Une communauté collectiviste comme Mike Davis en rêve…

Vous dites que l’urbanisation est à la fois une chance et un fléau pour l’humanité. Pourquoi cette contradiction ?

L’urbanisation est la cause principale du réchauffement climatique, mais paradoxalement l’avenir de la planète appartient aux villes. Le fléau numéro un est l’extrême ségrégation spatiale qui y sévit aujourd’hui : les riches sont regroupés dans des centres urbains transformés en villes-musées, ou alors barricadés dans des banlieues chic ; les classes populaires sont, de leur côté, condamnées à vivre à la périphérie. Il faut réinventer la ville en réintégrant la classe populaire en son sein et en recréant de l’emploi massif et public. Dans les villes, la consommation privée devrait être remplacée par la mutualisation des services et des terres. Les logements sociaux devraient refaire surface au sein des grandes métropoles plutôt qu’à la périphérie. La cohésion sociale doit redevenir une priorité, les transports publics et la bicyclette des moyens de transports privilégiés. Dans les années 1950 et 1960, les partis de gauche européens ont focalisé leur attention sur la nécessité de construire des logements sociaux décents afin d’améliorer les conditions sanitaires dans lesquelles vivaient les classes défavorisées, mais sans mesurer l’impact de la perte d’identité culturelle et sociale. Les classes prolétaires se sont retrouvées dans des banlieues-dortoirs, un concept qui paraissait peut-être logique à l’époque où les usines étaient localisées autour des villes, mais qui a conduit à une aliénation culturelle et à la disparition des traditions citadines.

Selon vous, la lutte contre le changement climatique passera par l’abolition de la pauvreté dans le monde ?

Aujourd’hui, seuls les milieux privilégiés ont accès à un monde décarboné – on sait que les stars d’Hollywood peuvent se payer ce luxe –, alors que la priorité devrait être de démocratiser l’accès aux sources d’énergies propres et aux transports publics. Les pauvres sont délocalisés aux portes des villes et bien souvent sans accès direct aux transports publics. Dans Le Pire des mondes possibles, je fais valoir également que les risques naturels augmentent avec la pauvreté urbaine, du fait de l’interaction dangereuse entre la pauvreté, l’effondrement des infrastructures, les industries toxiques et le chaos de la circulation.

Comment alors réconcilier ville et écologie ?

La ville doit être un lieu où coexistent politique environnementale et justice sociale. Je reproche aux associations écologistes de mettre l’accent sur la seule nécessité de préserver la planète et ses ressources. Ils oublient qu’il faut permettre aux catégories défavorisées de communier avec la nature et d’avoir accès aux espaces verts. Préserver les montagnes de Santa Barbara (ville huppée de Californie du Sud, ndlr) est une bonne initiative, mais il n’existe aucune ligne de bus permettant aux gamins des quartiers défavorisés de Los Angeles de profiter de la beauté de ces montagnes. La révolution verte doit être égalitaire, tout comme l’accès aux emplois verts. Mais les discours actuels sur les emplois verts ne sont que des mirages. Mettre l’accent sur les technologies vertes, c’est bien beau, mais il ne s’agit pour l’instant que de projets pilotes qui ne vont pas changer le monde. Prenez le cas de l’Allemagne, pays qui a su créer une industrie éolienne et des villes vertes. Les vrais bénéficiaires ont été les compagnies d’électricité qui se sont enrichies aux dépens des consommateurs condamnés à payer leur électricité plus cher. Dans le cas du tiers-monde, on peut féliciter les ONG qui aident les pauvres de la planète, mais tant qu’on continuera à évincer les pauvres des villes, il n’y aura nul progrès social ou écologique. Parcs urbains, musées gratuits, bibliothèques municipales, mutualisation des services permettront, eux, de réinventer la ville et d’économiser les ressources.

Quelles sont les villes qui se rapprochent de votre idéal ?

Si l’on se tourne vers le passé, le Karl Marx Hof dans la Vienne rouge (des logements sociaux construits à la fin des années 1920, ndlr) était une belle tentative de vie communautaire. Je citerai aussi les kibboutz ou les garden cities anglais comme expériences intéressantes. Mais selon moi, le meilleur modèle de ville verte pourrait être tout simplement un campus universitaire, un argument que j’ai récemment développé devant un parterre d’étudiants de l’université de Washington (à Seattle, dans l’Etat de Washington, ndlr). C’est en effet une cité conçue autour d’espaces publics avec des logements bon marché – les dortoirs universitaires –, un gymnase, des terrains de sport, des salles de cours, une clinique, un centre de recyclage. Pour moi, les campus universitaires représentent la vie communautaire par excellence.

Que pensez-vous des tentatives de la Chine de créer des villes vertes ? En omettant la question politique, pensez-vous que la tradition collectiviste de ce pays lui permettra d’inventer un urbanisme communautaire et durable ?

C’est un exemple catastrophique de renouvellement urbain, car les Chinois focalisent leur discours sur la croissance verte. Je ne sous-estime pas leur capacité à innover, mais cette volonté s’est accompagnée d’une destruction des traditions urbaines nationales. J’ai eu une conversation édifiante avec le célèbre architecte anglais Richard Rogers. Ce dernier avait été convié par les autorités chinoises à soumettre un plan pour le développement du quartier de Pudong à Shanghai. Son plan était basé sur l’usage des transports publics et de la bicyclette. Son projet n’a pas été retenu parce qu’il ne laissait pas la place à l’automobile, mode de transport sur lequel misent énormément les Chinois. N’oublions pas également que les autorités locales n’ont pas hésité à expulser plus d’un million de personnes de Pékin et à raser des quartiers entiers afin de construire les infrastructures nécessaires pour accueillir les jeux Olympiques.

Pensez-vous qu’on puisse réinventer la ville aux Etats-Unis, royaume des banlieues extensibles ?

L’Amérique a un nombre impressionnant de villes qui périssent en raison de la délocalisation des emplois et donc des investissements. Une ville comme Dayton dans l’Ohio vient de perdre son plus gros employeur, la National Cash Register (fabricant de distributeurs automatiques de billets, ndlr), au profit de l’Etat de Georgie. On ne réussira à réinventer la ville que si l’on parvient à contrôler les mouvements de capitaux, un phénomène aggravé par la mondialisation de l’économie. —

MIKE DAVIS EN 6 DATES

1946 : naissance

1967 : rejoint le Parti communiste

1970 : conducteur de poids lourds

1973 : entame des études d’histoire et d’économie

1981 : intègre le comité éditorial de la revue marxiste britannique New Left Review

1990 : publie l’essai visionnaire sur Los Angeles City of Quartz

Illustration : Morgane Le Gall

Sources de cet article

- City of Quartz : Los Angeles, capitale du futur (La Découverte, 2000)

- Au-delà de Blade-Runner : Los Angeles et l’imagination du désastre (Allia, 2006)

- Le Stade Dubaï du capitalisme (Les prairies ordinaires, 2007)

- Le Pire des mondes possibles : de l’explosion urbaine au bidonville global (La Découverte, 2007)

- Dead Cities (Les prairies ordinaires, 2009)

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Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement.

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