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30-10-2014
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Interview

« Les murs érigés par les Etats incarnent l’échec, la faillite et l’impuissance »

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« Les murs érigés par les Etats incarnent l'échec, la faillite et l'impuissance »
 
De Gaza au Mexique, les murs sont partout. Selon Wendy Brown, professeure de science politique américaine à l’université de Berkeley, ils sont apparus avec la perte de souveraineté des Etats face à la mondialisation.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Pourquoi les Etats cherchent-ils toujours à construire des murs ?

Nous avons assisté, c’est vrai, à une prolifération récente de murs à travers le monde. Elle est le fait des Etats-nations. Cette prolifération est apparue en même temps que la perte de souveraineté de ces mêmes Etats face à la mondialisation et à l’augmentation des mouvements de personnes, de biens, de productions, de religions, de capitaux et de formations politiques. Les murs sont une réponse à ce phénomène, même si cette dernière est en partie théâtrale et inefficace.

Que produisent ces murs ?

Je dirais qu’ils peuvent engendrer de la mort et de la misère. Des séparations à l’intérieur des familles, des incarcérations aux frontières. Ces murs, comme ceux qui séparent le Mexique des Etats-Unis ou Israël de la Palestine, peuvent scinder les écosystèmes, les économies et les solidarités. Mais ils peuvent aussi donner un nouveau sens au « nous » et au « ils », une autre dimension aux notions « d’intérieur » et « d’extérieur ». Les murs donnent une nouvelle interprétation aux origines du pouvoir, du danger et des peurs. Ils transforment les dominations coloniales en une nouvelle image : celle d’une invasion par les dominés ou les exploités.

Les murs séparent les pauvres des riches, le Sud du Nord, les pays écologiquement durables de ceux qui ne le sont pas…

Oui, le mur entre le Mexique et les Etats-Unis incarne tout cela. Une muraille entre richesse et pauvreté, et Nord et Sud. Ce n’est pas seulement une séparation entre deux pays mais entre deux hémisphères. C’est aussi ce que concentrent en symboles les murs des enclaves espagnoles au Maroc, qui tentent de contenir tout le continent africain.

Ces murs montent-ils toujours plus haut ? Sont-ils plus nombreux ? Où sont-ils implantés ?

Les barrières et les murs construits depuis 1989 vont des barbelés tendus sur des tronçons de la frontière entre Inde et Pakistan, à une clôture électrique entre Zimbabwe et Botswana, une grande structure en béton de 3 mètres de haut à la frontière entre Yémen et Arabie saoudite, jusqu’au mur d’acier et de béton à la frontière entre Etats-Unis et Mexique. Ces murs surgissent partout. Ils sont conçus avec toutes sortes de matériaux et équipés avec des systèmes de surveillance très différents pour se prémunir de toutes sortes de choses et d’individus. Les migrants, la terreur, les animaux contaminés par des virus, les drogues, les réfugiés politiques ou écologiques, les travailleurs saisonniers…

Ces murs, pour un Etat, une démocratie, sont-ils le symbole d’un pouvoir qui croît ou d’une décadence qui s’amorce ?

Les deux. Il s’agit de l’affirmation du pouvoir d’un Etat qui veut marquer et contrôler ses frontières, son territoire, sa sécurité et son identité. Mais, dans le même temps, ces murs incarnent précisément l’échec, la faillite et l’impuissance, parce qu’ils sont inefficaces ! On peut creuser des tunnels sous les murs – regardez Gaza ou la Cisjordanie –, on peut faire le tour des murs – pensez au Pacifique pour passer du Mexique aux Etats-Unis – on peut même détruire les murs… En fait, ces murs n’ont joué qu’un rôle marginal dans les mouvements de migrants, d’armes, de stupéfiants, de contrebande ou d’épidémies.

Existe-t-il encore quelques espaces de liberté sur terre ?

La liberté est un mot complexe. Bien entendu, il reste des espaces sauvages sur terre. Mais pour combien de temps encore ?

La nature a longtemps été une succession d’obstacles : les chaînes de montagnes, la Méditerranée où résidaient les divinités. Aujourd’hui, les humains semblent avoir assujetti cette nature mais élèvent eux-mêmes de nouveaux murs. Dans quel but ?

Les êtres humains tendent à marquer leur territoire. Nous créons des périmètres pour désigner notre « maison », qu’il s’agisse de la famille, de la cité ou de la nation. Une discipline comme le yoga utilise le même mode opératoire. De nombreux philosophes jugent eux aussi que les murs et la loi partagent les mêmes desseins dans le processus de fondation politique. Pour eux, il est impossible d’imaginer un Etat sans frontière. Ils estiment même que la loi et la frontière sont une source l’une pour l’autre. Tout cela semble assez juste. Mais l’articulation de frontières autour d’un territoire n’est pas la même chose que la construction d’un mur par un Etat. En fait, il faut s’interroger sur ce qui nous pousse à élever ces murs. Que signifient-ils ? De quoi sont-ils les symptômes ? Quel message cherchent-ils à transmettre ? Que font-ils réellement ? Les murs ne peuvent pas faire l’objet d’une théorie au sens général. Pas plus qu’une communauté humaine.

Pour le néolibéralisme, hommes et marchandises doivent transiter sans obstacle. Pourtant, ce même néolibéralisme génère des murs…

Le néolibéralisme n’est pas ce qu’il dit être : un monde d’une absolue dérégulation et dénué de barrières. Le néolibéralisme a pour objectif de déréguler le capital et faire tomber les obstacles à son accumulation. Mais l’Etat et la loi sont indispensables à cette quête et à la réussite de tout ce qui nécessite d’être régulé et organisé. Les murs ne sont ni néolibéraux, ni non-néolibéraux. Et, dans tous les cas, jamais ils ne peuvent prétendre stopper ou envisager de stopper la circulation du capital.

Peut-on lutter contre un mur ou est-ce utopique ?

Bien sûr que nous pouvons nous mobiliser et combattre contre un mur. Souvenez-vous de Berlin en 1989 ! Ou du mur en Israël, géant parmi tous les murs ! Il a été construit pour durer, mais ne sera plus de notre monde encore très longtemps. Car ce mur et la vision politique qui l’a rendu possible sont insoutenables.

On décomptait 230 millions de migrants en 2013 travaillant et vivant loin de leur famille. La mondialisation l’a emporté…

Je ne pense pas qu’il y ait de vainqueur dans cette histoire. Ce chiffre est certainement l’une des conséquences de cette globalisation. Mais, une fois que vous avez dit cela, il faut prendre ce mot, mondialisation, et l’ouvrir pour regarder ce qu’il recèle. Il y a des migrants économiques à la recherche de revenus de compensation pour faire face à leur économie de subsistance urbaine et agricole totalement détruite. Il y a des réfugiés politiques en quête d’asile car fuyant les guerres, les cartels, la violence et les persécutions, notamment ethniques. Il y a des Mozambicains rampant dans les bidonvilles de la périphérie du Cap, en Afrique du Sud, pour nourrir les leurs, des Européens de l’Est à la recherche de meilleurs jobs à l’Ouest, des Syriens qui fuient par dizaines de milliers, des parents guatémaltèques qui envoient leurs enfants au Nord dans l’espoir qu’ils échappent aux recrutements des gangs ou à leurs taxes. Mais il y a aussi des centaines de milliers d’étudiants en provenance d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine qui affluent dans les universités européennes, australiennes ou nord-américaines. Il n’y a donc guère de sens à dire que tout cela est une conséquence de la globalisation sans s’interroger précisément sur ce qui est à l’origine de chacun des points que je viens de décrire brièvement, notamment les questions de migration et de déracinement. La mondialisation en soi est une conséquence conjuguée de gigantesques pouvoirs politiques, économiques et sociaux. —

Murs, de Wendy Brown (Les prairies ordinaires, 2009)

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Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

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