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Les marins n’en mènent pas large

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Quotas de pêche et flambée des prix du pétrole bousculent le monde de la pêche. La profession sera-t-elle la première victime de la crise écologique ?
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Du voyage du président Nicolas Sarkozy au Guilvinec (Finistère), début novembre, certains ont retenu les insultes dont il a été victime. D’autres, le montant du chèque : 200 millions d’euros par an pour le secteur des pêches. Face à l’augmentation du prix du gasoil (+ 100 % en presque trois ans), la profession s’est mobilisée et a décroché la timbale : des exonérations patronales et salariales à hauteur de 21 millions par trimestre, doublées d’une compensation de 25 centimes d’euro par litre de gasoil. Un geste significatif pour une profession qui brûle plus de 400 millions d’euros de carburant par an.

Dotés d’une flotte en surcapacité, les marins-pêcheurs devaient déjà adapter leurs armements aux recommandations de Bruxelles. Désormais, ils doivent aussi abaisser leur dépendance au pétrole. Depuis que le baril flirte avec les 100 dollars, c’est même la priorité absolue. Les pêcheurs disposent du Fonds de prévention des aléas-pêche (FPAP), créé en octobre 2004, pour répondre aux hausses constantes du prix du gasoil. Entre 2004 et 2006, l’entité a redistribué plus de 87 millions d’euros. « Quand on a mis en place ce dispositif, raconte Gérald Evin, directeur du Centre de gestion des pêches artisanales, qui administre le fonds, personne n’avait anticipé ce qui s’est produit depuis. » Depuis ? Trois années de yo-yo. « Entre octobre 2004 et aujourd’hui, les pics de prix ont atteint des records qui se succèdent. » Au port, le litre de gasoil affiche aujourd’hui 55 centimes. A l’origine, le FPAP devait permettre aux pêcheurs de se couvrir ponctuellement. La hausse étant devenue permanente, il faut désormais orienter la pêche vers d’autres solutions énergétiques. « La filière s’adapte, vaille que vaille, souffle Gérald Evin. Nous nous trouvons dans une période transistoire et nous avons besoin de temps pour faire de la recherche et développement. »

Economètres et huile de carcasse de poulets

La chasse au gaspi s’est ouverte début 2006. L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), la profession, les motoristes, les pôles de compétitivité et les experts se sont assis autour de la table pour amoindrir la dépendance au pétrole. Annoncé en 2005, le plan de Dominique Bussereau dédié à l’avenir de la pêche a promis d’investir 40 millions d’euros dans la restructuration de la flotte. On y parle beaucoup d’économies d’énergie. Mais peu de reconversions. A très court terme, la profession va donc découvrir les joies de l’écoconduite. « On peut facilement économiser 5 % à 10 % du carburant en formant les capitaines à mieux gérer les parcours, l’inertie du bateau, les arrêts, les accélérations  », détaille Bertrand-Olivier Ducreux, ingénieur au département transports et mobilité de l’Ademe. Et installer des économètres à bord, qui renseignent sur la consommation du bateau à l’heure et en euros. « Quand le compteur affiche 300 à 400 euros l’heure, ça fait ralentir ! »

Carènes des bateaux, moteurs, lignes de lancers : les projets d’optimisation des bateaux fleurissent. Il faut alléger les trains de pêche, utiliser des matériaux composites, « ce qui permettrait une économie de gazole de 5 % à 10 % » précise Gérald Evin. Chaque pourcent gagné se traduit en millions d’euros épargnés. Le groupe pétrolier Total travaille, de son côté, sur les huiles additivées qui permettraient de réduire de 5 % les consommations des navires. Certains utilisent un mélange diesel et huile de carcasse de poulets pour réduire leur apport de diesel. D’autres planchent sur le moteur pantone, un système qui utilise de la vapeur d’eau à 400° C et qui permettrait d’optimiser le rendement des moteurs de bateaux, actuellement utilisés à 30 %, en moyenne, de leurs capacités. A moyen terme, des moteurs hybrides (mi-électriques, mi-diesels) ou à hydrogène pourraient équiper ces bateaux. Mais pas avant au moins cinq à dix ans.

D’autres projets sont plus extravagants que d’autres comme « Grand Largue », celui d’un ex-ingénieur de l’Institut national des sciences appliquées de Rennes, consistant en l’automatisation des voilures. Il expérimente son procédé sur trois bateaux, un bolincheur, un coquillier et un chalutier en janvier. « Sur nos simulations, nous parvenons à économiser 15 % à 30 % du carburant », assure Pierre-Yves Glorennec, gérant de la société Avel Vor Technologie. Pour une marée de quinze jours, un bateau du Guilvinec, par exemple, consomme 21 000 litres de carburant. En économiser 7 000 correspond à une ristourne de 2 100 euros.

Un petit pactole. Mais le prix du pétrole n’est pas l’unique difficulté à laquelle se heurtent les pêcheurs. Le chiffre d’affaires de la filière est en baisse en raison d’une faible valorisation du produit de la mer. On estime de 2 % à 15 % l’érosion des recettes des halles à marée, selon le ministère de l’Agriculture. Davantage de charges, des résultats en berne, des quotas contraignants, une flotte en surcapacité, la profession cumule les obstacles. Et le niveau de revenus mensuels rend la profession nettement moins attractive.

De futurs paysans de la mer ?

Comment diversifier les activités en mer ? Les marins peuvent devenir des fournisseurs d’énergies renouvelables, gérer des parcs éoliens off-shore ou des aires marines protégées, surveiller des récifs artificiels, s’initier à l’écotourisme ou se transformer en paysans de la mer. « La production d’algues est par exemple très prometteuse pour produire les biocarburants de deuxième génération », souffle-t-on à l’Ademe. Mais le ministère de la Pêche reste très discret sur ces pistes. « Les programmes de formation – continue ou professionnelle – sont en cours de réactualisation  », précise du bout des lèvres Rachel Sellin, responsable de projet sur la technopole Quimper- Cornouailles.

Depuis le 1er janvier 2007, un outil pourrait pourtant financer le futur. Son nom : le Fonds européen pour la pêche (FEP). Il permet par exemple d’utiliser un bateau de pêche pour une activité rémunérée autre que la prise de poisson. « Cela est entièrement nouveau  », prévient Marie-Hélène Aubert, eurodéputée verte et membre de la Commission pêche au Parlement européen. Doté d’un budget de 3,8 milliards d’euros, le FEP prévoit des enveloppes pour chaque Etat membre, dont 215 millions d’euros pour la France. « Mais Paris n’a pas épuisé ses crédits et les informations arrivent au compte-gouttes dans les comités des pêches », regrette la députée. Elle sillonne donc l’ouest du littoral français pour informer les pêcheurs de l’existence du fonds. « Je me suis rendue à La Turballe en Loire-Atlantique, mi-décembre, pour rencontrer les pêcheurs d’anchois, car cette pêche ne sera probablement pas rouverte en 2008. Mais le fonds européen est là pour ça : accompagner une pêche durable et préparer, dans une certaine mesure, la reconversion des pêcheurs. » Le FEP peut en effet financer la diversification des activités (ecotourisme ou production d’énergies renouvelables), des reconversions, des départs anticipés, des aides aux jeunes pour la reprise d’armements. Selon la députée, l’avenir de cette profession n’est pas viable à moyen terme : « Le pêcheur ne touche pas grand-chose de son travail tandis que le consommateur paie un poisson de plus en plus cher. C’est totalement illogique. »

L’écotaxe de 1,8 % décidée par le gouvernement, sur tous types de poissons vendus en poissonnerie, en surgelé ou dans la restauration, ne rééquilibrera pas les choses. Mis en place depuis ce 1er janvier, ce mécanisme devrait dégager entre 50 et 100 millions d’euros par an. Exactement le montant du chèque qui aide les marins à compenser l’augmentation du prix du pétrole. « Que le gouvernement cherche à amortir ce choc pour les entreprises de pêche peut se comprendre. Quand il y a le feu dans la maison, on cherche d’abord à l’éteindre, tempère Jean Boncoeur, chercheur au Centre de droit et d’économie de la mer et professeur en sciences économiques à l’université de Bretagne. Toutefois, on ne prend pas de grands risques en disant que ce mouvement est durable. Essaie-t-on de masquer ce problème par des aides ? Ou bien se donne-t-on les moyens d’adapter durablement la filière à cette nouvelle donne ? »

Dans le milieu, on joue plutôt au bernard-l’ermite. « Vous êtes jeté dans le port si vous dites aux marins qu’ils doivent changer de métier. Il est dur, mais c’est le leur. Il faut vivre en face de la mer pour comprendre », raconte un observateur. La mort programmée de la profession reste taboue. Mais elle va devoir s’adapter aux nouveaux vents porteurs. —


Carbone à la criée Le protocole de Kyoto appliqué à la pêche est un axe de recherche prometteur. Les « projets domestiques CO2 » doivent en effet élaborer des méthodologies, filière par filière, afin que s’ouvre un simili-marché de la tonne de carbone. La Caisse des dépôts et consignation (CDC) travaille à un dispositif devant entrer en vigueur cette année. « Les bateaux sont ainsi incités à réduire leurs émissions de CO2. La CDC intervient comme intermédiaire financier et achète des crédits carbone attribués par l’Etat à la filière », explique Anne Choppard, de la direction « finance carbone » de la CDC. Les réductions d’émissions de CO2 pourraient atteindre 800 000 tonnes (sur 256 chalutiers concernés).

Sources de cet article

- L’institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer)

- Le fonds européen pour la pêche

- Le ministère de l’Agriculture et de la Pêche :

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Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

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