Les marginaux en costume trois-pièces

Alexandre Pasche, La journée d’un petit-bourgeois rebelle, Robert Laffont, 107 p., 14 euros.

Intituler son ouvrage La journée d’un petit-bourgeois rebelle prête à confusion. On s’attend à effeuiller un pamphlet droitier contre les quarantenaires urbains fortunés, abonnés aux films de Ken Loach et aux échoppes bio-équitables. Autant dire que le fiel de ces diatribes, qui mouille les plumes d’un Alain Soral ou d’un Maurice G. Dantec, nous fatiguait par avance. Il est vrai que les assauts contre les Bobos et autres représentants de la "gôche" nécessitent un talent qui fait généralement défaut aux railleurs médiatiques.

Mais Alexandre Pasche, qui, dans la vie, dirige une agence de communication "éthique", a la bonne idée de ne pas tenir les promesses de son titre. Son récit n’est ni acerbe, ni démagogique. D’ailleurs, il n’évoque aucune intelligentsia lointaine et répugnante. Il se contente de parler de lui-même. Voilà la journée d’un pubard quarantenaire, ses envies, ses doutes. "Petit-bourgeois je suis, par ma condition sociale. Rebelle je reste, fidèle aux idées de ma jeunesse." Mais en fait de rébellion, Alexandre (le nom du héros) ne fait pas grand-chose. Pas grand-chose de plus en tout cas que beaucoup d’autres. Il vote "rouge-vert", "milite dans deux associations", "ne croit plus au progrès" et déteste "les actionnaires, les banques ou les institutions". Pas de quoi renverser la Ve République.

Le monde est laid, mais supportable

Le reste du temps, il vit dans un pavillon de Chelles (Seine-et-Marne), prend tous les matins un train pour Paris, passe dix heures quotidiennes dans une agence de pub qui a pour but de "remplir la maison de flacons de détergents à tête de canard, de poupées en plastique et de photophores Ikéa". Essaie de consommer des produits de meilleure qualité possible, sans trop se faire d’illusions sur les effets de sa "consomaction". Ecoute "Barbara, Saint-Germain et Boby Lapointe". Préfère Naomi Klein (auteure de No Logo) à Naomi Campbell. Trouve que le monde est laid, mais globalement supportable. Bref, cette Journée pose sur le monde le regard morne d’une génération qui a le ventre plein, mais le vague à l’âme. Qui ne reconnaît plus ses idéaux de jeunesse, et trouve cela triste et conformiste. "Un petit-bourgeois ne souffre pas de privations matérielles, mais plutôt de la réduction de sa vie à sa dimension strictement économique". Qu’on ne s’attende pas à trouver là un très grand livre. Mais c’est déjà tout à fait estimable qu’il soit juste.