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Les derniers paysans de Singapour cultivent la résistance active

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Ivy Singh-Lim, charismatique propriétaire de la ferme Bollywood Veggies. Crédit photo : carrie nooten - moshi moshi productions

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Pour que sa ferme perdure, Ivy Singh-Lim a dû l’ouvrir aux visiteurs et aux touristes. Crédit photo : carrie nooten - moshi moshi productions

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Pour que sa ferme perdure, Ivy Singh-Lim a dû l’ouvrir aux visiteurs et aux touristes. Crédit photo : carrie nooten - moshi moshi productions

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Yeo Lian Huat a été contraint de délaisser l’élevage porcin pour les carpes. Crédit photo : carrie nooten - moshi moshi productions

 
Dans la cité-Etat, le béton et les buildings flambant neufs ont remplacé les champs et les rizières d’autrefois. Depuis vingt ans, la mégapole de 5 millions d’habitants a oublié ses exploitants agricoles. Mais aujourd’hui, ces irréductibles se diversifient pour survivre.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Quel est le plus surprenant chez Ivy Singh-Lim ? Le jogging léopard ? Le cigare au coin de la bouche ? Le couteau taillé en bandoulière ? Ou la ceinture-gaine, digne des femmes de petite vertu ? L’agricultrice-pétroleuse porte l’attirail d’un épouvantail perdu au milieu des champs. C’est pourtant au cœur des buildings, dans le nord-ouest de Singapour, qu’elle se plante devant nous. D’emblée, ne pas s’attendre à une voix douce et à un rire perlé : Ivy aboie quand elle ouvre la bouche. Et elle hurle quand on lui parle de la localisation de sa ferme. « Regardez où l’Etat singapourien nous a parqués, nous, les agriculteurs. C’est honteux ! On est sur un confetti de terre ! La prochaine étape, c’est quoi ? Cultiver dans l’eau ? Le gouvernement nous a abandonnés, c’est clair », vocifère-t-elle.

Car dans les années 1990, la cité-Etat – 5 millions d’habitants aujourd’hui – a regroupé progressivement les fermes de l’île sur 1 % du territoire, entre des terrains militaires et la frontière malaise. Incapables de produire à grande échelle et désormais sans subventions publiques, les agriculteurs ont peu à peu mis la clé sous la porte. « Il y avait 20 000 fermes au début des années 1960, c’était le grenier de la Malaisie. Mais aujourd’hui, dans notre ghetto, on est tombés à 228 exploitations agricoles », affirme Ivy.

« Ils m’ont tout pris »

Les derniers résistants parviennent à produire chaque année près de 20 000 tonnes de fruits et légumes et 50 000 volailles. Ils se sont regroupés sous la bannière de la Kranji Countryside Association (KCA) et c’est Ivy, la Don Quichotte locale, qui la préside. « Je mesure 20 centimètres de plus que tous mes voisins et j’ai la voix bien plus grave. C’est pour cela qu’ils m’ont élue ! », plaisante-t-elle.

A quelques mètres de la ferme d’Ivy, Yeo Lian Huat brandit le poing contre ces satanés buildings. « Ils m’ont tout pris », jure-t-il, en faisant trembler son dentier. Auparavant, il était le plus important éleveur de cochons de l’île. Il nous montre les photos jaunies de ses bêtes chéries. « J’en avais 4 000, je me souviens de toutes. » Mais, au milieu des années 1980, le gouvernement singapourien a interdit l’élevage des porcs dans le pays. Argument officiel : le lisier polluait les rivières de l’île. Pour Ho Kong Chong, professeur de sociologie urbaine à l’université de Singapour, l’explication est tout autre : « Le pays était alors en pleine croissance économique. Il fallait de la place pour construire les usines et pour loger décemment la population. L’Etat a eu besoin de terres et vite ! C’est pour cette raison que les agriculteurs ont été chassés », décrypte-t-il. En quelques semaines, Yeo Lian Huat a plié bagages, vendu ses porcs à prix cassé aux voisins indonésiens et s’est installé sur cette terre, dix fois plus petite. Mais l’agriculteur n’est pas homme à se laisser abattre. Il s’est recyclé dans l’élevage de carpes. « Ici, le visiteur paie un droit d’entrée et peut rester toute la journée à attraper les carpes de mon bassin. Le soir, il peut ramener le poisson chez lui pour le cuisiner et le manger », explique-t-il. Les affaires sont pourtant loin d’être florissantes.

« Quand j’ai hérité de mon père, le gouvernement nous louait la terre pour vingt ans. Aujourd’hui, les baux sont de cinq ans maximum. Et avec la spéculation foncière, la location, même dans cet endroit de l’île, est de plus en plus élevée. Comment voulez-vous vous projeter si vous n’avez pas plus de cinq ans de visibilité ? Comment investir ? », s’inquiète le vieux fermier. Ses anciens amis agriculteurs, eux, n’ont pas eu sa patience. Ils ont rejoint la jungle urbaine et sont devenus maçons, chauffeurs de taxi ou encore concierges dans les gratte-ciel ennemis.

« Le béton ne se mange pas »

Chelsea Wan entend déjouer les pronostics. Queue de cheval, baskets aux pieds, la jeune diplômée vient, à 26 ans, de reprendre l’exploitation familiale de grenouilles. Pour étoffer les maigres bilans de sa ferme, elle a eu une idée sortie tout droit de ses études de commerce. A rebrousse-poil du pessimisme ambiant, Chelsea s’est lancée dans le « divertissement rural », l’« agritainment », en anglais. « C’est toujours une ferme de production de grenouilles mais, aujourd’hui, on s’est recentrés sur les activités pédagogiques et sur le tourisme. Les clients viennent ici pour voir les animaux et respirer l’air frais de la campagne », explique l’énergique agricultrice.

Aujourd’hui, Chelsea accueille trois bus jaunes, remplis de petits Singapouriens, âgés de trois à cinq ans. « Alors, qui connaît la différence entre un papa grenouille et une maman grenouille ? », demande-t-elle en brandissant un mâle léthargique devant une assemblée d’écoliers tartinés de crème solaire. Pendant une heure, Chelsea les familiarise avec son drôle d’élevage. Enfin, elle essaie. Car aux premiers abords, la grenouille dégoûte plus qu’elle n’amuse les chérubins. Il n’est pas rare que l’assemblée miniature ponctue la rencontre par des « Beurk ! » sonores. Peu importe, les visites pédagogiques ont renfloué ses caisses : l’« agritainment » représente désormais 40 % du chiffre d’affaires de sa ferme.

Ivy Singh-Lim, l’agricultrice excentrique, a été la première à s’adapter à la nouvelle donne de Singapour. Il y a dix ans, sa production de bananes était au bord de la faillite. « J’ai décidé de tout changer et de diversifier les plantations pour attirer les Singapouriens. Ici, vous avez des fleurs ; là, des herbes aromatiques ; là, du riz ; là, de la canne à sucre… » Ivy produit peu, beaucoup moins qu’avant, mais accueille aujourd’hui 100 000 visiteurs chaque année, qui achètent et consomment sur place. Et la matrone a le sens des affaires. « Si je vendais ce paquet de thym en grande production, ça me rapporterait 0,20 dollar singapourien (12 centimes d’euro). Alors que quand je le vends aux touristes ici, ça me rapporte 2 dollars (1,20 euro). Le calcul est vite fait. »

Cultiver sans terre

Sauf que sa ferme ressemble dorénavant plus à un parc d’attractions qu’à une exploitation agricole. Pas un brin d’herbe ne dépasse dans les allées ; devant les plantes, un panneau indique leur nom en latin et, à l’entrée, un restaurant végétarien propose les produits de la ferme. Tout est fait pour le Singapourien du dimanche, en mal de verdure. Parmi eux, Dean et Sruthi. Ce couple de trentenaires travaille quarante heures par semaine dans une grande banque implantée dans le centre de Singapour. « Ici, vous vous rendez compte que vous pouvez avoir un peu de vert, tout en vivant sur l’une des îles les plus peuplées au monde. On vient le week-end pour respirer, pour bien manger et pour acheter de bons légumes. Ils sont différents de ceux du centre-ville, le goût est cent fois meilleur », expliquent-ils. Assise à côté, Ivy, satisfaite, ajoute : « Vous voyez, les Singapouriens prennent conscience que le béton, ça ne se mange pas ! »

Dans la cité, pas le choix, il faut de nouvelles solutions. Certains agriculteurs ont trouvé la parade. Ils se passent de la terre et cultivent hors-sol. On appelle cela l’aéroponie, un système permettant de nourrir les plantes par des pulvérisations fréquentes d’eau et de sels minéraux. Plus besoin d’enterrer les racines, elles sont désormais en suspension, dans des grands bacs en polystyrène. Lee Sing Kong, ingénieur agronome du cru, en est l’inventeur. « Ce système est très productif et compense le manque d’espace. A Singapour, si vous utilisez une méthode traditionnelle pour planter une salade, vous aurez au maximum quatre récoltes par an. Avec l’aéroponie, vous triplez la productivité », explique-t-il. A la ferme Aero-Green, on parvient même à récolter des plantes normalement impossibles à cultiver sous les cieux tropicaux de la cité-Etat. « Avec cette hygrométrie, assure l’ingénieur, c’est comme si ces plants de basilic poussaient en Inde. »

Sur le principal marché de l’île, à Tiong Bahru, les fruits et légumes provenaient jusqu’ici essentiellement des pays voisins, la Malaisie ou la Chine. Mais depuis quelques années, les consommateurs sont en quête de produits locaux. « Les clients n’hésitent pas à mettre plus cher pour une salade bien verte ou une banane moins jaune. Les fruits et légumes singapouriens ont été ramassés la veille et ça change tout », confie monsieur Hang, maraîcher depuis trente ans. Et même l’Etat commence à y voir un intérêt. Car en diminuant ses importations de produits alimentaires, Singapour réduit sa dépendance et s’affirme face à ses grands voisins. Après avoir délaissé pendant des années le secteur agricole, le ministère du Développement national, dirigé par Khaw Boon Wan, a ainsi récemment annoncé le versement de subventions aux fermes utilisant l’aéroponie. La revanche des agriculteurs sur le béton des gratte-ciel aurait-elle sonné ? —


Une ferme gratte-ciel

La toute première ferme verticale du monde a ouvert ses portes à Singapour, le 26 octobre dernier. Inventée par le chercheur canadien Dickson Despommier à la fin des années 1990, cette nouvelle façon de cultiver se veut totalement écologique : pour permettre un ensoleillement maximal, les bacs se meuvent en fonction de l’orientation des rayons du soleil. L’irrigation est assurée par un système de récupération d’eau de pluie. Trois sortes de légumes sont pour l’instant cultivés (salades, épinards et choux) dans cette ferme composée de 120 tours. Elle produit près d’une tonne de primeurs par jour. —

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