Le progrès m’a tuer

Matthieu Amiech, Julien Mattern, Le Cauchemar de Don Quichotte, Sur l’impuissance de la jeunesse d’aujourd’hui, Climats coll. Sisyphe, 176 pages, 15 euros.

Un conseil : commencez Le Cauchemar de Don Quichotte par le dernier chapitre. Il faut en effet attendre la page 161 (sur 174) pour comprendre la "thèse" défendue par les auteurs, Matthieu Amiech et Julien Mattern. Auparavant, il aura fallu zigzaguer entre les anathèmes lancés aux diverses forces de gauche, accusées, entre autres, de pêcher par excès de "légèreté" et d’"optimisme". Deux traits dont on ne peut certes pas affubler les auteurs ! Car bien qu’âgés de moins de 30 ans, ces deux doctorants en économie et sociologie venus de Normale Sup Cachan portent sur notre époque un regard d’une noirceur apocalyptique. Bravaches post-adolescents ? Ces deux blasés-là se disent inspirés par les pensées surréalistes et situationnistes. En tout cas, ils ont hérité de la morgue péremptoire dont Breton et Debord savaient faire preuve quelquefois.

Technologie abstraite

Reste que les idées défendues dans ce Cauchemar sont intéressantes. Selon eux, les forces altermondialistes sont incapables d’enrayer la progression du capitalisme et ses corollaires (destruction de la planète, aliénation de l’homme) parce qu’ils croient en un impossible "capitalisme de gauche". C’est-à-dire un système qui mise sur la croissance, le progrès technique, le salariat et l’abondance matérielle. "Les jeunes d’aujourd’hui que cette société désespère ne doivent pas tomber dans les panneaux de la fausse radicalité progressiste", martèlent-ils. Car c’est bien la "religion du Progrès" qui est le nœud du problème. Et surtout - c’est là un des points les plus intéressants du livre - la technologie, de plus en plus complexe, abstraite et lointaine, qui échappe au contrôle de chaque individu, devenu "irresponsable de ses conditions de vie".

Discours agaçant de maximalisme

Amiech et Mattern prônent de stopper purement et simplement le processus de mondialisation et de recréer au niveau local des entités autonomes (indépendantes des Etats) où chacun se réapproprierait les technologies. Bref, c’est un discours de décroissance ultra-radical, souvent agaçant de maximalisme (Internet, comme toutes les technologies est un outil créé pour "affermir la domination" capitaliste...), mais qui a le mérite de la cohérence. Pas de la nouveauté : on aura reconnu en vrac les grands axes des pensées d’Herbert Marcuse, de Bernard Charbonneau ou de Jacques Ellul. Quant à l’inspiration politique des deux compères, elle est clairement à chercher du côté de la mouvance autonome, mouvement d’extrême-gauche des années 70 un peu oublié aujourd’hui [1]. A réserver donc à ceux qui aiment parcourir les vastes plaines d’Utopie...