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30-03-2009

Le lac Tchad touche le fond

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Le lac Tchad touche le fond
(Crédit photos : Cédric Faimali / collectif Argos)
 
En quarante ans, la vaste réserve d’eau douce du Sahel a perdu 90 % de sa surface. Ce qu’il en reste se transforme en marécages. Résultat : les poissons se font rares, l’eau est imbuvable et les pêcheurs raccrochent les filets pour les plants de manioc et de patates.
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En danger, le Lac Tchad est l’objet de toutes les attentions ces dernières semaines. Fin octobre, le Forum mondial du développement durable de N’Djamena était consacré à sa sauvegarde. Quelques jours plus tard, ce sont les chefs d’Etat des pays de la Commission du bassin du lac Tchad – Tchad, Niger, Nigeria, Cameroun, République centrafricaine, Libye – qui s’engageaient sur quatre axes : l’inscription du lac au patrimoine de l’humanité ; son désensablement ; la valorisation de l’économie de la zone et la recherche sur l’eau, en partenariat avec des universités africaines et européennes. Enfin, au sommet sur le climat de Cancún, la commission de suivi du Lac Tchad comptait bien faire entendre sa voix. Un accord global étant inenvisageable, les négociateurs espéraient des avancées sur les projets locaux…

Actualisation du 10 décembre 2010

Ici, patiemment, les hommes récupèrent le fer des carcasses de bateaux rouillés, vestiges d’un passé pluvieux. En quarante ans, la quatrième plus grande réserve d’eau douce du continent africain est passée de 25 000 à 2 500 km2. Hier à cheval sur quatre Etats, le lac Tchad ne baigne plus que les frontières du Tchad et du Cameroun, privant le Nigeria et le Niger de leur accès à l’eau. « Avant, se souvient Didina Diathé, un pêcheur tchadien, quand nous allions vendre notre poisson au Niger, nos pirogues débarquaient leurs cargaisons sur les côtes de ce pays. Désormais, comme il n’y a plus d’eau, ce sont les camions qui viennent à notre rencontre. » Puisque les hommes n’ont pas de prise sur la pluie, ils partent en quête d’un ciel chargé de nuages. En vain.

Selon l’Unesco, « de nombreux facteurs menacent l’intégrité du lac Tchad : les changements climatiques qui se traduisent par une plus faible pluviométrie, l’évaporation due aux températures élevées et la succession de périodes de très forte sécheresse. Cet assèchement progressif est l’exemple le plus spectaculaire des conséquences des modifications du climat en Afrique tropicale ». Et les victimes sont multiples, comme l’observe Jacques Lemoalle, de l’Institut de recherche pour le développement et spécialiste du lac Tchad : « Dans cette région, les pêcheurs, les éleveurs, mais aussi ceux qui viennent cultiver dans les fonds du lac, sont des réfugiés climatiques. »

« C’est Dieu qui a créé le lac »

Muni de sa machette, Moussa Gao, un pêcheur nigérien, assène un coup fatal à une carpe frémissante et ruisselante. Puis il la transperce d’un bâton de bois et la dépose sur une bâche pour qu’elle sèche. Autour, l’air est brûlant. Des petites taches brunes parsèment son visage et ses mains dont la peau a fini par prendre le même aspect desséché que ses poissons. « La vie est dure ici et pourtant, je ne dois pas me laisser abattre, lâche-t-il, comme s’il cherchait à se convaincre. C’est Dieu qui a créé le lac et il ne faut jamais se décourager face à une création de Dieu. » Ne pas se décourager. Même si la vie devient survie. « J’ai quitté le Niger il y a seize ans. J’étais éleveur. Il n’y avait plus assez d’eau dans le lac pour faire pousser du fourrage sur la rive et nourrir les bêtes. Je suis donc venu m’installer sur l’île de Blarigui dans les eaux tchadiennes. J’y ai appris le métier de pêcheur sur le tas. Mais depuis quelques années, je trouve beaucoup moins de poissons dans mes nasses. A 60 ans, je pense finalement repartir dans mon pays, où j’ai laissé ma femme et mes cinq enfants. »

Des îles de papyrus et de roseaux

Allongé à l’ombre sur sa natte colorée, au seuil de l’unique maison de l’île bâtie en dur, Al Hadjil Kanë, le chef de village, égrène ses souhaits au même rythme que les grains de son chapelet, qu’il tient bien serré dans sa main calleuse : « Nous manquons de tout à Blarigui. J’ai besoin de puits pour que les 500 habitants puissent boire de l’eau propre, d’un dispensaire et d’une école. » Assis à ses côtés, Babanguida Chari, le représentant du Mouvement patriotique du salut, le parti d’Idriss Deby, le chef de l’Etat, s’en remet à « l’homme blanc » : « Après Dieu qui a tous les pouvoirs, c’est au “ nassara ” d’intervenir. Comme ça, l’eau reviendra. »

Mais ces dernières décennies, ce sont surtout les plaies qui se sont manifestées dans cette zone du Sahel. Le fleuve Chari, qui assure 90 % de l’alimentation du lac, y déverse un volume deux fois moins important que dans les années 1960. Deux sécheresses, en 1972 et en 1984, ont durement frappé la région. Parallèlement, le bref retour des pluies à la fin des années 1980 a transformé le lac en une vaste zone marécageuse, l’eau ayant permis aux graines de germer. Conséquence : des îles de papyrus et de roseaux ont éclos un peu partout. Samuel Ngargoto, un pêcheur de 35 ans, en appelle, lui, au ciel : « Il faut que Dieu fasse un miracle parce que vivre sur ce lac, c’est trop de souffrance. Non seulement les poissons sont plus petits, mais ils sont aussi moins nombreux. Comme le lac se transforme en marécage, le capitaine, un poisson noble qui se vend cher au marché, devient très rare. On n’arrive pas à compenser cette perte avec les autres espèces, comme les carpes ou les poissons-chats qui, eux, ont réussi à s’adapter, mais qui ne valent pas grand-chose. »

Quand il part relever ses nasses, Samuel se munit d’un long bâton pour se frayer un chemin entre les roseaux, les papyrus et les lagunes végétales qui prolifèrent. Souvent, l’homme doit descendre pour pousser sa pirogue envasée. Depuis le rivage, on l’aperçoit tel un mirage : même à des kilomètres du bord, il a toujours pied. A l’évaporation de l’eau, en moyenne 2,10 m par an, et à la diminution de la pluie, moitié moins abondante qu’avant 1970, s’ajoute une autre calamité : celle de l’état trouble de l’eau dû à son très bas niveau. « Dans les années 1960, le lac était profond de 6 m en moyenne. L’eau était claire. Aujourd’hui, la mousson est plus faible. Elle arrive de plus en plus tard, en juin. Du coup, la hauteur n’atteint plus, par endroits, que 1,50 m. Et la vase la rend impropre à la consommation », témoigne ainsi Koundja Mbatha, topographe à la Commission du bassin du lac Tchad.

Un mélange âcre, rance et fermenté

En « attendant » que l’eau revienne, les familles des pêcheurs remplissent leurs jarres dans le lac et boivent ce liquide qui les « diarrhe ». Les mamans accrochent des gris-gris autour du cou de leurs petits pour chasser les maladies infantiles, rougeole et varicelle. Et à partir de 5 ans, les garçons partent avec leurs pères sur de longues pirogues aux peintures écaillées afin de pêcher puis de vendre leur maigre butin au marché du dimanche. La veille, des grappes d’hommes ont débarqué par centaines sur l’île. Les liasses de nairas, la monnaie du Nigeria utilisée partout sur le lac, gonflent alors leurs poches élimées. Certains font une halte dans la gargote de Zara Mahamat. Au menu : du poisson accompagné de riz ou de légumes cuits dans de grosses marmites en fonte, au-dessus desquelles volent les mouches.

« Quand je suis arrivée sur l’île il y a quatre ans, se rappelle-t-elle, je me suis installée juste au bord du lac. On mangeait presque les pieds dans l’eau. Et regardez maintenant, il s’est retiré à plus de 100 m ». Quand la nuit tombe, après quelques minutes de noir profond, les générateurs se mettent en route, peuplant le silence de leurs bruits mécaniques. Des lampes torches s’allument. Des feux crépitent. Des musiciens chauffés par l’alcool de maïs frappent sur les percussions. Des pêcheurs dansent et « ambiancent ». Au petit matin, sous des abris provisoires de paille, à côté des pyramides de savon, de piles et de sel, s’entassent des sacs de carpes, de poissons-chats, de silures et de sardines frais, séchés ou fumés. Pêchés de façon artisanale, le plus souvent avec des barrages de nasses ou des filets. De ces étals émane une odeur âcre, rance et fermentée à laquelle se mêlent celles de l’eau putride du lac et des troupeaux de chèvres efflanquées.

Pour les riverains du lac victimes de la faim, l’espoir pourrait venir de la spiruline, algue bleue-verte qui doit son nom à sa forme de spirale. Consommée depuis des siècles par les Kanembous, une ethnie de la zone, c’est un remède efficace contre la malnutrition et les carences alimentaires grâce à son exceptionnelle teneur en protéines : celles-ci représentent plus de la moitié de son poids. Elle est riche aussi en bêtacarotène, fer, calcium ou encore magnésium. Et surtout, c’est l’une des rares espèces à vivre dans des eaux chaudes, peu profondes et saumâtres… comme celles du lac Tchad aujourd’hui.


Un demi-hectare par famille

Vingt-deux millions de personnes vivent dans le bassin du lac et environ 300 000 habitants des quatre pays riverains tirent, directement ou indirectement, leurs revenus de la pêche. Pour les aider, le gouvernement tchadien a, au lendemain de la première grande sécheresse, en 1972, créé une structure d’Etat chargée de l’aménagement du lac : la Sodelac. Le siège est situé à Bol, le plus important village des rives tchadiennes. Depuis N’Djamena, la capitale, on y accède après un périple d’une journée de pirogue ou huit heures de piste sableuse creusée de nids-de-poule. La principale réalisation de la Sodelac fut l’agencement d’un polder d’une surface de plus de1 800 hectares. « Ces terres sont très fertiles parce que riches en matières organiques », précise Djerakoubou Dando, chargé de la mise en valeur de ce projet. Chaque famille a reçu la moitié d’un hectare. En échange d’une partie de leur récolte, elles peuvent y réaliser de la culture de décrue. Sur cette terre gagnée poussent désormais du manioc, des patates douces, des carottes ainsi que des choux.
Sources de cet article

- Des cartes de la Nasa sur l’évolution du lac Tchad depuis 1963

- Le site du collectif Argos

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