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28-01-2009

Le climat ne le laisse pas de glace

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Claude Lorius a passé une partie de sa vie sur les pôles. Il en est revenu avec la preuve que gaz à effet de serre et changement climatique étaient liés. Rencontre avec le père de la glaciologie française.
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Hier encore, il s’est réveillé au milieu de la nuit pour cogiter sur son prochain livre. « Un ultime appel à la protection de notre planète », confie-t-il. A 76 ans, dont six passés sur les glaces polaires, Claude Lorius a du mal à raccrocher. Fils d’un négociant en fromages de Besançon, il est devenu le pionnier de la glaciologie polaire française. En passant au crible les glaces de l’Antarctique, il a remonté le fil du climat des millénaires passés. Jusqu’à faire une découverte historique : établir le lien entre la concentration en gaz à effet de serre de l’atmosphère et la température. Et prédire ainsi le réchauffement climatique.

25 m2 sous la banquise

C’était il y a vingt ans. Depuis, la présence des gaz à effet de serre a progressé de plus de 20 %. « Nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène. Auparavant, c’était la nature qui régulait l’environnement. Désormais, c’est l’action des hommes. Mais nous ne maîtrisons rien [1] ! » En attendant un « sursaut », Claude Lorius se contente d’accumuler les prix. Il a reçu, Blue Planet, à Tokyo en décembre. Créé en 1992 à la suite du sommet de la Terre à Rio par la fondation japonaise Asahi Glass, il récompense chaque année deux personnalités ou organisations ayant contribué à la résolution de problèmes écologiques globaux. Et c’est le plus cher à ses yeux. « Mon premier estampillé “ environnement ” », sourit-il.

Lorsqu’il débute, en 1955, le mot est pourtant absent du dictionnaire. Le jeune Claude troque alors sa prépa scientifique – « un enfermement » – pour la fac de physique-chimie. Passionné de football, il joue quelques matchs en National et songe même à une carrière professionnelle. Mais une annonce plaquardée sur un mur de la faculté bouleverse sa vie : « Recherche jeunes chercheurs pour participer aux campagnes organisées pour l’Année géophysique internationale. » Deux ans plus tard, le voilà « enterré volontaire » avec deux collègues à la base Charcot, au coeur de l’Antarctique. Le gaillard y passe 365 jours, dans 25 m2, sous la glace, avec pour tout confort un poêle, trois lits et une éolienne. « C’est ce goût de l’aventure humaine qui a guidé toute ma vie. Je suis toujours surpris que cela se soit accompagné de progrès scientifiques. »

Des bulles dans un whisky

Le hasard ? Peut-être. Mais aussi une foi immodérée dans ses intuitions. En décembre 1965, au cours d’une expédition en terre Adélie, c’est en observant les bulles d’un glaçon éclater dans un verre de whisky que Claude Lorius a l’idée d’étudier celles de la calotte glaciaire. « J’ai pensé qu’elles contenaient des informations uniques sur la composition de l’atmosphère. Si c’était vrai, cela signifiait que nous pourrions reconstituer le climat du passé », explique-t-il avec de l’appétit dans le regard. Il ne restait plus qu’à le démontrer.

Mais l’époque – les années 60 – ne s’y prête guère. Ses recherches n’intéressent pas grand monde. L’homme doit donc s’entourer. Il quitte sa petite péniche du pont de Saint-Cloud pour rejoindre le laboratoire de glaciologie de Grenoble. Il organise expédition sur expédition, réalise des forages toujours plus profonds et commence son voyage à travers les âges : 20 000 ans, 35 000 ans, 100 000 ans. C’est bien, mais pas assez. Or il sait qu’à Vostok, point le plus froid de la Terre, où seuls les Soviétiques ont jusque-là osé s’aventurer, il est possible de remonter encore plus loin dans la mémoire des glaces.

Reçu par le Premier ministre

C’est là qu’il réalise son « gros coup ». En pleine guerre froide, il convainc ses collègues de l’Est de lui offrir un cadeau royal. Il obtient la responsabilité et l’analyse de leurs forages. Le tout sera acheminé par des avions américains. Une histoire d’amitié entre chercheurs se noue loin des ambassades et permet à Claude Lorius, en 1983, de mettre la main sur un échantillon vieux de 150 000 ans, soit l’intégralité d’un cycle climatique. Bingo.

Passée l’euphorie, l’analyse des échantillons révèle toutefois une découverte beaucoup moins réjouissante. Jamais la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre n’a été aussi importante qu’aujourd’hui. « La planète devrait sensiblement se réchauffer au cours du XXI e siècle, au risque d’affecter les ressources en eau, l’agriculture, la santé, la biodiversité et, d’une façon générale, les conditions de vie des humains… », écrit Claude Lorius en 1987, dans la revue Nature, qui consacre sa une et trois articles à la découverte. Il est alors reçu par le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard, et au Congrès américain. C’est le temps des honneurs. Désormais, on l’écoute, et il décroche même le droit à sa notice dans le Petit Larousse. Mais il se demande si on l’a pour autant réellement entendu. « Claude, c’est un mélange de charisme, de simplicité, d’humour et d’élégance. Il a toujours su susciter la confiance et convaincre de dépasser les intérêts particuliers », assure Jean Jouzel, son collègue et ami de toujours, avec qui il partage sa médaille d’or du CNRS en 2003. Aujourd’hui encore, l’homme cultive son allure : col roulé noir sur pantalon souple pour souligner une carrure sportive, gestes enveloppants et regard brun qui transperce l’interlocuteur.

Retiré dans sa maison près de Grenoble, Claude Lorius ne peut dissimuler son inquiétude. Sur l’écran de son ordinateur, les chapitres de son prochain ouvrage défilent : trou dans la couche d’ozone, disparition de la banquise, hausse du niveau des mers… « Le pouvoir appartient aux politiques, or ceux-ci ont une durée de vie de quatre ans. C’est dérisoire face à de tels enjeux. Le seul espoir serait la mise en place d’une gouvernance mondiale. » A ces mots, il pose un regard rêveur sur les cimes enneigées visibles depuis sa véranda, puis lâche : « Nous en sommes encore loin. »


Fiche d’identité

25 février 1932 : naissance à Besançon.

1955 : passe 365 jours en hivernage en Antarctique sur la base Charcot.

1965 : dirige sa première expédition polaire en terre Adélie.

1987 : fait la une de Nature en annonçant le réchauffement climatique.

1994 : entre à l’Académie des sciences.

2008 : premier Français à recevoir le prix Blue Planet.

[1] Décrit par Paul J. Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995.

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