Demande à FredO |
Par Frédéric Chomé |
Pour sauver le climat, faites la grève ! |
« L’utilisation de la voiture personnelle pour effectuer le trajet domicile-travail, au lieu d’utiliser les transports ferroviaires en Ile-de-France, va générer environ 45 fois plus d’équivalent CO2 dans l’atmosphère qu’un jour normal. » C’est ainsi qu’un cabinet d’étude français avait évalué l’impact de la grève du 29 janvier dernier en termes d’émissions de CO2, en se basant sur les facteurs d’émissions de la méthode Bilan Carbone® de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Selon cette étude, 14 600 tonnes d’équivalent CO2 supplémentaires auraient été rejetées à cause d’une seule journée de grève en Ile-de-France. Le moins que je puisse dire, c’est que ce chiffre me laisse sceptique.
Une grève, ce sont des gens qui ne vont pas bosser et d’autres qui se démerdent pour arriver coûte que coûte au boulot. Ce sont donc des gaz à effet de serre (GES) en moins mais aussi des GES en plus.
Côté transports, on peut imaginer que la part des véhicules motorisés individuels en circulation est plus grande que d’habitude, ce qui augmente les émissions de GES. Cela dit, certains transports publics sont en grève : ce sont donc des véhicules qui ne roulent pas, ce qui aura tendance à réduire ces mêmes GES. Idem pour le transport aérien. Rien qu’au départ de la Belgique, plus de 150 vols ont été annulés ce mardi 7 septembre. A raison de 60 tonnes de CO2 par vol en moyenne, cela fait quand même 9 000 tonnes de CO2 évitées sur la journée. Les perturbations de l’espace aérien hexagonal entrainent une baisse d’émissions de GES très substantielle.
Mais l’essentiel n’est pas là. Le plus gros impact en termes de CO2 ne se mesure pas dans le secteur des transports, mais sur l’activité économique au sens large. Combien de points de PIB perd-on un jour de grève ? Combien d’activités économiques ont (réellement) été perturbées ce mardi ?
Sans avoir toutes ces réponses, on peut approcher un résultat. En partant du cadastre des émissions de GES de la France et du PIB national, j’obtiens les données suivantes :
Emissions de GES en 2008 : 527 millions de tonnes d’équivalent CO2
PIB 2008 : 1 792 milliards d’euros
Soit 1,44 million de tonnes d’équivalent CO2 par jour en France en moyenne (on divise 527 millions par 365).
Supposons maintenant que le PIB de la France s’obtient sur 300 jours environ (en enlevant 52 dimanches et dix jours fériés, où l’activité économique est très réduite). On obtient une fourchette de 1,5 à 1,7 million de tonnes d’équivalent CO2 par jour.
Vous suivez toujours ? Attention, ça se complique. Imaginons maintenant que la grève perturbe au sens large le PIB à concurrence de 10% par rapport à une journée classique de semaine. Dans ce cas de figure, on peut estimer la baisse des émissions de GES à 150 000 tonnes d’équivalent CO2 environ ! Néanmoins, une partie de l’activité économique réduite par l’effet de la grève risque d’être récupérée et étalée sur les jours à venir. Ce ne sont là que quelques estimations qui montrent bien qu’il est impossible de statuer avec certitude sur l’impact carbone d’une grève.
En revanche, on peut conclure que ce mardi, les tendances étaient les suivantes :
forte réduction des GES en raison de la fermeture de l’espace aérien français, central pour les destinations européennes dans l’axe Nord-Sud
forte réduction des GES en raison du ralentissement de la production des industries et plus généralement de l’activité économique en berne
augmentation marginale des GES en raison d’un recours à la voiture pour les déplacements individuels plus importants que la normale
baisse probable des émissions dues aux transports de marchandises sur le territoire
en cas de grève prolongée avec fermetures de centres de distribution, risques importants de générer des déchets additionnels liés aux dates de péremption dépassées
Au final, en prenant en compte tous ces paramètres, je dirais tout même qu’une journée de grève se solde par une légère diminution des GES (quelques milliers de tonnes équivalent CO2, soit les émissions annuelles de quelques centaines de citoyens français). Les grévistes peuvent donc avoir leur conscience (écologique) tranquille. A priori, ils n’ont pas aggravé le réchauffement climatique en s’arrêtant de travailler pour protester contre la réforme des retraites. Pour ce qui est du climat social, c’est une autre histoire.
Directeur de Factor X, un bureau de conseil en stratégie climatique et développement durable qui a notamment travaillé sur le bilan carbone des JO 2012 de Londres. |
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