Le Zimbabwe, si près du Mondial, si loin du monde

Ce doit être le ras-le-bol des vuvuzelas qui m’a poussé à faire route vers le nord, traverser le fleuve Limpopo et survoler à bord d’un bimoteur de fortune les paysages vallonnés du Zimbabwe. Harare, la capitale, avec son paisible quartier d’affaires et ses banlieues résidentielles désertes, semble comme endormie. L’économie du Zimbabwe tourne au ralenti, et pour cause : naguère grenier de l’Afrique, le pays s’est enfoncé dans la crise alimentaire, politique et sanitaire depuis que le président Robert Mugabe a décidé en 2000 d’exproprier les 4 500 fermiers blancs, pourtant détenteurs du savoir-faire agricole national.

Tandis que l’Afrique du Sud fait la fête, les Zimbabwéens courbent l’échine : l’opposante Jenni Williams m’a confié ses terribles conditions de détention dans les prisons d’Harare ; le fermier blanc Deon Theron n’a pas pu retenir ses larmes lorsque je lui ai demandé s’il s’était résolu à quitter son pays (sa réponse fut un « non » catégorique) ; le membre du parti d’opposition MDC, Roy Bennett, a raconté le processus d’adoption d’une nouvelle constitution que le ZANU-PF, parti au pouvoir, tente de torpiller par tous les moyens. « Le Zimbabwe traverse des heures sombres, conclut-il. Les militaires tiennent toujours le pays. »

Du coup, le contraste avec le voisin sud-africain n’a jamais été aussi frappant qu’en cette période de Mondial : d’un côté une nation sous les feux de la rampe, qui bénéficie d’une forte côte d’amour alors que la grande fête du ballon rond tient ses promesses. De l’autre, un pays au ban des nations, gouverné par un autocrate de 86 ans acoquiné avec Mahmoud Ahmadinejad et soumis au joug d’un interminable cycle de violences politiques.

Le football serait-il pour autant absent au Zimbabwe ? Rien n’est moins sûr. C’est d’abord mon taxi, Gerald, un grand Noir bâti comme une armoire à glace, qui en ressent les effets : « Les affaires sont difficiles ces derniers temps, se lamente-t-il, la Coupe du monde attire tous les touristes vers l’Afrique du Sud », ne laissant que des miettes à son voisin. Et puis, la majorité des restaurants et bars de la capitale retransmettent les rencontres de football. Des pancartes géantes font miroiter la promesse d’un aller-retour tout compris en Afrique du Sud pour assister à un match. Et surtout… tous les Zimbabwéens que je rencontre me posent la même question : qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la tête des joueurs de l’équipe de France ? Ridicule, quand tu nous tiens…