Le CAC 40 sur le divan

Jean-Claude Liaudet, Le Complexe d’Ubu ou la névrose collective libérale, Fayard, 323 pages, 20 euros.

Surpuissant et indestructible, le capitalisme mondialisé ? Essayez de l’allonger sur un divan, de lui poser deux-trois questions sur son rapport au père, sur sa relation avec sa matière fécale, et il se montrera sous son vrai jour : celui d’un sale gosse qui mérite des baffes ! Bon, naturellement, le constat du psychanalyste et psychosociologue Jean-Claude Liaudet dans le Complexe d’Ubu, est plus nuancé que cela. Mais son objectif est bien de dresser des parallèles entre la pensée dite "néo-libérale" - ses phobies, ses obsessions - et celui de l’âge sadique-anal.

Pour ceux qui n’ont pas lu Dolto, rappelons que ce stade "commence lorsque le nourrisson se redresse et marche". A ce moment, le marmot, pas peu fier de sa verticalité, affiche une volonté de toute-puissance narcissique et une mégalomanie totale. "Il refuse toute limitation, toute loi, systématiquement perçues comme tyranniques. C’est un adepte de l’insoumission radicale. Quiconque s’oppose à lui est donc à éliminer". En particulier le père, qui incarne l’ordre supérieur. Les jeunes parents reconnaîtront cet âge délicieux où leurs enfants font parfois preuve d’une épouvantable cruauté.

Accumulation frénétique

Pour l’auteur, notre société en est là. De la Révolution française aux années 70, nous sommes passés de l’âge chrétien, celui du Père tout-puissant, à un âge "anal-libéral" (sic), caractérisé par un refus de l’ordre et une volonté égoïste. Il passe au peigne fin les propos des penseurs libéraux (Smith, Hobbes, Hayek et, eh oui, Sade) pour en dégager tout ce qui, à ses yeux, constitue un rapport anal au monde : refus des lois et des réglementations (le "trop d’Etat" libéral), égoïsme total, volonté d’accumulation frénétique et de satisfaction des désirs à l’infini...

On l’aura compris : Liaudet ne porte pas la "névrose collective libérale" dans son cœur, ce qui ne l’aide pas à nuancer son constat. Au moins faut-il reconnaître qu’il propose une "solution" à cette "névrose" : sortir de l’âge anal pour entrer dans l’âge génital. Kézaco ? Au stade génital, l’enfant accepte d’être castré (au sens figuré bien sûr), de reconnaître qu’il n’est qu’un homme ou qu’une femme (avant, il ne se définit pas sexuellement). Bref il devient humble, se soumet aux lois collectives et s’aperçoit que l’autre existe. Il est alors celui qui n’ose plus raser les forêts ou envahir l’Irak pour son profit personnel. Voilà qui pourrait souffler aux altermondialistes un joli slogan : "Un monde génital est possible" !