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4-02-2015
Mots clés
Sciences
Biodiversité
France

Les experts en Guyane : destination bestioles

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Les experts en Guyane : destination bestioles
(Crédit photo : Julien Touroult-SEAG-MNHN-PNI)
 
Découvrir de nouvelles espèces pour enrichir notre connaissance de la biodiversité : c'est le but des grandes expéditions naturalistes « La planète revisitée ». Cette année, les chercheurs attaquent la forêt amazonienne.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Deux ans de préparation, six tonnes de matériel aéroporté pour accueillir 76 participants isolés dans la jungle pendant trente jours, le tout pour un budget qui frôle le million d’euros. Il ne s’agit pas de la prochaine saison de Koh-Lanta, mais d’une expédition naturaliste. Pour la cinquième fois en dix ans, le Muséum national d’histoire naturelle et l’ONG Pro-Natura montent une campagne d’inventaire de la biodiversité, « La planète revisitée ». Après le Vanuatu, le Mozambique, Madagascar et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, direction la Guyane française.

Alors que les scientifiques estiment que la moitié des espèces naturelles existantes auront disparu de la planète d’ici à une centaine d’années si le changement global continue sur sa lancée, ces deux institutions françaises se sont fait une spécialité de ces équipées dans le monde sauvage. Et quelles équipées ! Car découvrir de nouvelles espèces ne revient pas exactement à musarder le nez en l’air dans les coins reculés du globe. « On n’envoie pas les gens avec un filet à papillon au fin fond de la jungle : y transporter quelques tonnes de matériel et de chair humaine, ça demande de la préparation », résume gaillardement Olivier Pascal, directeur des opérations de recherche sur la biodiversité à Pro-Natura International, responsable de la partie terrestre de l’expédition guyanaise, lors d’une conférence de presse de mi-parcours.

Massif du Mitaraka dans le Grand Sud guyanais (Crédit photo : Olivier Pascal-MNHN-PNI)


Son objectif se trouve cette année dans le massif du Mitaraka, au milieu des monts Tumuc-Humac, près de la frontière brésilienne. Très peu d’humains ont mis les pieds dans cette région du Grand Sud guyanais, complètement isolée. Les chercheurs locaux l’ont eux-mêmes désignée aux responsables de l’expédition comme une zone probablement très riche, sous influence amazonienne, et sous-explorée. Ils estiment ainsi qu’en Guyane, avec environ 18 000 espèces d’insectes recensées dans le pays contre 100 000 attendues, le potentiel de découverte est de 80% à 90%. Le massif du Mitaraka en recèle sans doute une partie. Encore faut-il y aller. L’endroit est parfaitement inaccessible par la terre. Les rivières qui y mènent sont trop petites ou bouchées. « On a dû se résoudre à emmener tout le monde en hélico », résume Olivier Pascal. Et quand on monte une opération aéroportée d’envergure dans une forêt impénétrable et particulièrement inhospitalière, le mieux, c’est encore d’envoyer les militaires en éclaireurs.

C’est donc un régiment d’infanterie de marine qui, muni d’une photo satellite comme seul repère, s’est farci le premier atterrissage. Celui destiné à défricher une zone à partir de laquelle les hélicoptères pourraient opérer des rotations. Puis, une seconde équipe a pris le relais. Sa mission : dégager 20 kilomètres de layons. Ces chemins d’accès balisés ont été virtuellement dessinés sur la carte afin de traverser le maximum d’habitats naturels différents. Ils serviront de fils directeurs aux scientifiques pour circuler dans la jungle. « Je n’en mène pas large : il y a huit personnes en autonomie totale en train de jouer de la machette au fin fond de la Guyane », avoue Olivier Pascal en attendant la fin de l’opération. Enfin, dans quelques semaines, une cinquantaine de chercheurs, dont une majorité d’entomologistes, seront à leur tour largués dans la nature avec matériel, abris et nourriture. Deux groupes aidés d’assistants, d’aides de camps, de cuisiniers et de médecins se relayeront. Chacun disposera de quinze jours pour dégoter insectes, vers de terre, amphibiens, serpents, poissons d’eau douce, mais aussi champignons du cru.

Piège à interception utilisé par les entomologistes lors d’une précédente mission (Crédit photo : Julien Touroult-SEAG-MNHN-PNI)


Et on ne batifole pas quand on cherche des bestioles. « Le déroulé de la collecte, c’est un timing d’horlogerie suisse », explique Olivier Pascal. Une quinzaine de techniques de piégeage sont au programme, correspondant parfois à des moments précis de la journée. Vitres pour l’interception, pièges Malaise composés d’une toile verticale à maille fine et d’un toit, pièges nocturnes lumineux, mais aussi… chasse à vue. L’enjeu consiste à inventorier 10 kilomètres carrés de forêt, depuis le sol jusqu’à 30 mètres de hauteur au sommet de la canopée, en passant par les rivières, les bas-fonds et les marécages du coin.

Piège lumineux dont se servent les scientifiques pour les coléoptères nocturnes (Crédit photo : Julien Touroult-SEAG-MNHN-PNI)


Quand le gong sonne, ce n’est pas forcément les septièmes merveilles du monde que contiennent les malles des aventuriers de la biodiversité. Mais un échantillonnage le plus complet possible, une photographie de la vie animale d’une zone jusque-là énigmatique. Ainsi, l’équipe dédiée au volet marin de l’expédition guyanaise sait-elle déjà qu’elle a réussi son coup. Composée d’une quarantaine de personnes, elle a travaillé l’été dernier, pour profiter de la saison sèche, en espérant une moindre turbidité des eaux. Après 68 prélèvements au large, dont certains jusqu’à 650 mètres de profondeur, à bord d’un navire affrété depuis le proche Venezuela, et 75 plongées près des côtes, les chercheurs ont procédé à une première sélection de leurs prises. Dans le précieux conteneur qui a pris l’avion de Cayenne à Paris, ils savent que leurs bocaux recèlent de la nouveauté. Alors que la Guyane ne comptait que 57 espèces de crustacés décapodes – crabes et crevettes –, ils en ont remonté 180 espèces, baignant désormais dans l’éthanol. Seuls une vingtaine d’espèces d’échinodermes – oursins, étoiles – étaient connues dans ces eaux, ils en ont échantillonné 115, et pourront rajouter entre 100 et 200 espèces de mollusques à la liste locale. « Attention, toutes ne seront pas des découvertes pour la science !, prévient Philippe Bouchet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et responsable du volet marin. Elles ne sont pas inconnues, mais on ignorait qu’elles étaient présentes en Guyane. Ce que l’on rapporte, c’est un état de référence de la biodiversité guyanaise de grande qualité. »

Les scientifiques trient leurs prises sur le pont du navire Hermano Gines, au large des côtes guyanaises (Crédit photo : Gustav-Paulay-MNHN-PNI)


Il faudra encore des années pour en rendre compte. Car les équipées naturalistes ne s’arrêtent pas à la sortie de la jungle ou de l’océan. Depuis plusieurs jours, Philippe Bouchet et ses équipes sont ainsi enfermés dans leur « monastère de tri », une bâtisse isolée à Besse (Puy-de-Dôme), transformée en gare de triage pour les spécimens récoltés dans les eaux guyanaises. C’est à partir de cette première étude fine que les chercheurs feront appel à d’autres spécialistes de la taxonomie. A ce stade, l’épopée ne fait que commencer. « En moyenne, entre la collecte du premier échantillon d’une espèce nouvelle sur le terrain et sa description scientifique, avec un nom latin, il faut compter vingt-et-un ans ! », se désole Philippe Bouchet. Par manque de spécialistes, certains échantillons doivent en effet attendre des années sur une étagère avant d’être étudiés. « Les gens se marchent sur les pieds pour découvrir des mammifères et des oiseaux, mais quand il s’agit des invertébrés, il n’y a parfois personne ! Alors on conserve l’échantillon dans nos collections jusqu’à ce que quelqu’un s’y colle ! », indique le scientifique. Sans parler d’un autre aspect des écosystèmes tropicaux : ils comptent de nombreuses espèces rares. Les inventaires approfondis comportent ainsi souvent beaucoup d’espèces nouvelles, mais un seul représentant par espèce. Pour que le spécialiste se prononce fermement, il attend parfois des années… qu’une autre expédition rapporte un autre individu.

Les spécimens récoltés dans les eaux guyanaises sont échantillonnés avant qu’un spécialiste ne les étudie (Crédit photo : Thierry Magniez-MNHN-PNI)


Au bout du parcours, il y a toujours un baptême. En 2006, la première des expéditions estampillées « La planète revisitée » s’était déroulée sur l’île d’Espiritu Santo, dans l’archipel du Vanuatu. « En rentrant, nous estimions que nos échantillons contenaient potentiellement 1 000 à 2 000 espèces nouvelles, explique Philippe Bouchet. Nous le pensons toujours, mais neuf ans plus tard, il y en a seulement 276 confirmées, c’est-à-dire décrites sur la base de résultats scientifiques. » Les livres de science et notre connaissance de la planète comptent désormais notamment un nouveau mille-pattes, Lobiferodesmus Vanuatu, un scorpion de plus, Lychas santoensis, une libellule jusque-là inconnue, Vanuatubasis santoensis, ou encore Pseudunela espiritusanta, une inédite limace de mer. Privilège du scientifique, ces noms donnés après bien des années. « Le code de nomenclature zoologique précise que tous les coups sont permis, sauf les noms insultants ! », rigole Philippe Bouchet. Pour certaines espèces guyanaises, ce fameux nom sera mis au concours dans les classes d’école. Une consécration collective et participative qui donnera peut-être à la jeunesse l’envie de protéger ces petits nouveaux présents depuis si longtemps.

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