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«  La majorité de nos actes vont dans le sens de la bienveillance  »

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« La majorité de nos actes vont dans le sens de la bienveillance »
(Crédit photo : léa crespi - pasco and co)
 
Montée des individualismes, planète en péril, sentiment d’insécurité… Tout espoir est-il perdu ? Certainement pas, répond Matthieu Ricard. Le mot d’ordre du moine bouddhiste : cultiver l’altruisme. Il est encore temps !
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Vous venez de publier votre « Plaidoyer pour l’altruisme » (NiL), une somme de 900 pages faisant appel à la philosophie, aux sciences sociales et économiques, aux neurosciences… Plusieurs chapitres sont consacrés à l’environnement. Qu’est-ce qui lie environnement et altruisme ?

C’est très simple : les problèmes environnementaux ne nous concernent presque pas. Ce sont les générations à venir qui seront réellement concernées. Sans aucune considération pour elles, si nous n’envisageons que le court terme et nos intérêts immédiats, il n’y a plus de problème. Admettons que mille personnes aujourd’hui se réunissent pour décider du sort des sept milliards qui vivent sur terre. Tout le monde crierait à la violation des droits de l’homme. Or, c’est bien ce que nous sommes en train de faire vis-à-vis des milliards d’individus des générations futures, qui n’existent pas et qui ne peuvent évidemment rien dire. Ils diront un jour que nous savions et que nous n’avons rien fait. La question est la suivante : avons-nous de la considération pour les générations à venir ?

Pourquoi l’être humain est-il si peu capable d’envisager des échelles de temps qui ne le concernent pas directement ?

Il en est capable ! Le vrai problème, c’est que ces questions nous ont pris par surprise. Jusqu’à il y a 200 ou 300 ans, l’impact de l’être humain était minime. La résilience de la terre réparait les blessures infligées par l’homme. Nous nous sommes récemment rendu compte que notre impact sur la planète était majeur. Nous sommes entrés dans l’anthropocène depuis la grande accélération de 1950. C’est venu progressivement et un peu à notre insu. Tout cela se produit relativement lentement à l’échelle de nos perceptions. Tout est là. L’une de mes amies scientifiques dit que c’est dommage que le CO2 ne soit pas rose, parce que, si l’on voyait le ciel devenir rose, cela nous préoccuperait davantage. Quand j’étais petit, il y avait des hirondelles partout au printemps ; on en voit de moins en moins. Mais elles ne disparaissent pas d’un seul coup. Ce n’est pas choquant. Il faut vraiment prendre conscience des évaluations et des recherches scientifiques.

Ces informations sont pourtant désormais bien connues…

Nous sommes équipés pour réagir à des dangers immédiats ! Ça marche encore quand il s’agit de nos enfants. Mais quand il s’agit de penser trois ou quatre générations plus tard, c’est plus difficile. On sait que cela coûtera au moins vingt fois plus cher de réparer les dégâts dans l’avenir que de faire quelque chose aujourd’hui. Mais évidemment, ce n’est pas nous qui paierons la note. C’est le défi ultime de l’altruisme. Prendre conscience, assumer nos responsabilités et engendrer suffisamment de considération pour autrui revêt aujourd’hui une importance considérable. Maximiser nos intérêts immédiats, c’est la règle de l’Homo æconomicus. Il faut un Homo altericus. A la vitesse actuelle de disparition des espèces, 30 % d’entre elles auront disparu en 2050. On le sait ! Est-ce qu’on dit : « Oui, je m’en fiche » ou « Non, ça me concerne » ?

Comment développer cette capacité de considération ?

Nous la possédons tous. Il s’agit de faire un peu de gymnastique intellectuelle et d’étendre ça, non seulement à ceux qui ne sont pas immédiatement nos proches, mais également à ceux qui ne sont pas encore sur cette terre, des êtres sensibles, comme nous, qui ne souhaitent pas souffrir. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que ce n’est même pas au prix d’un vrai sacrifice. Les études que je cite montrent que les personnes qui ont le plus tendance à la consommation, à adopter des valeurs matérialistes, sont moins heureuses, en moins bonne santé, ont moins d’amis… Miser sur le bonheur égoïste échoue la plupart du temps. Les égoïstes ne font pas un bon pari pour eux-mêmes ! Développer notre amour altruiste, c’est possible.

Vous collaborez depuis de nombreuses années avec l’institut de recherche Mind and Life, parrainé par le dalaï-lama. Quel en est l’objectif ?

Mind and Life (littéralement « Esprit et vie », ndlr) a été fondé il y a vingt-cinq ans par un neuroscientifique chilien, Francisco Varela, pour faciliter les rencontres entre le Dalaï-lama et les scientifiques. L’institut catalyse des rencontres qui débouchent sur des programmes de recherche. En neuroscience et en psychologie, certains de ces programmes, initiés il y a plus de quinze ans, ont montré que l’on peut entraîner l’empathie, la compassion, l’altruisme et les comportements « pro-sociaux ».

Quel est l’objet des expériences scientifiques auxquelles vous vous êtes prêté ?

Les méditants qui ont participé à ces programmes de recherche sont à la fois collaborateurs et cobayes. Le but est de mesurer scientifiquement, à l’aide d’IRM, les différences entre un état de repos et un état méditatif. Dans ce cas, méditation veut dire entraînement de l’esprit à l’attention, à l’amour altruiste… Il y a autant de méditations qu’il y a d’états mentaux à entraîner. Et il y a une signature dans le cerveau différente selon le type de méditation. Les méditants ont collaboré pendant des années pour mettre au point les protocoles de recherche et s’y prêter. Cela montre que tout type de méditation sur le long terme entraîne des changements structurels et fonctionnels importants dans le cerveau. Mais tout le monde ne peut pas méditer cinquante mille heures dans sa vie ! Le plus intéressant est que, depuis ces premiers résultats, des dizaines d’études ont montré les effets à court terme – c’est-à-dire vingt minutes par jour de méditation sur la pleine conscience, sur l’amour altruiste, à réitérer pendant trois semaines, six semaines, trois mois… Le cerveau se modifie au bout de quelques semaines, ainsi que les comportements, qui deviennent « pro-sociaux ».

La transformation individuelle est donc possible. Est-elle suffisante pour transformer la société ?

La transformation individuelle est incontestable ! La neuroplasticité constitue l’une des grandes découvertes des neurosciences depuis trente ans. L’autre aspect, en plein essor, c’est l’épigénétique, c’est-à-dire la modification de l’expression des gènes. Vous héritez d’un certain nombre de gènes de vos parents. Mais un gène n’est actif que s’il est exprimé. S’il ne l’est pas, c’est comme si vous ne l’aviez pas. Dans une maison équipée d’une centaine d’ampoules électriques, l’effet n’est pas le même s’il y a en dix allumées, ou toutes, ou aucune. On a pu montrer que ne serait-ce que huit heures de méditation sur la compassion modifient déjà significativement l’expression de certains gènes, liés au stress notamment. Vous modifiez l’expression de vos gènes au niveau cellulaire. Or, on sait que les modifications génétiques durent longtemps et même, dans certains cas, peuvent passer une ou deux générations. C’est un facteur de changement.

Qu’est-ce que cela signifie quant à notre capacité à agir ?

Si vous changez, vous agissez différemment. Si un nombre croissant de personnes changent, elles finissent par faire une masse critique. C’est comme ça qu’on change les cultures ! Des gens qui pensent et agissent différemment sécrètent une culture différente. Les traits des cultures se transmettent d’une génération à l’autre. Ce sont les individus qui changent les cultures, mais les cultures changent les individus. Comme deux couteaux s’aiguisant l’un sur l’autre. La génération aujourd’hui adulte est beaucoup plus consciente des droits de l’homme, des libertés, du respect des animaux, un peu plus de l’environnement. C’est acquis. Les jeunes en âge de voter vont peut-être décider de modifier certaines institutions, de créer un tribunal international de l’environnement, qui sait ? Ces décisions-là vont continuer à avoir un effet sur la génération d’après. Les individus changent ; ils changent les institutions ; les institutions changent les individus.

Si l’altruisme s’acquiert, comment le cultiver et quel rôle l’éducation a-t-elle à jouer ?

L’éducation doit bien entendu tenir compte de cela. Au lieu d’une éducation ultracompétitive, il faut une éducation coopérative. Ces méthodes sont d’ailleurs plus efficaces. Sur le plan humain certes, mais aussi sur le plan des résultats scolaires. Coopérative ne veut pas dire sans efforts. Ce n’est pas le règne de l’enfant-roi. Par exemple, au lieu d’être tous en compétition les uns avec les autres pour des examens sans fin, où seuls quelques-uns sont au sommet et les autres sont moyens ou cancres, vous formez des groupes d’élèves avec des bons, des moins bons, des garçons, des filles… Ils se partagent les chapitres d’une leçon, puis mettent leurs connaissances en commun. A la fin de cet exercice, ils ont maîtrisé la leçon ensemble, en s’aidant les uns les autres. Les meilleurs, au lieu de brimer les moins bons, ont la responsabilité de les aider. Les résultats sont bien meilleurs.

Ce ne sont pas des pratiques généralisées…

Non, mais il y a quand même des centaines d’écoles dans le monde qui pratiquent de telles méthodes. Les résultats d’études menées en Angleterre et en Australie sur une dizaine d’années et plusieurs milliers d’étudiants sont extrêmement concluants.

Vous écrivez que la peur et le sentiment d’insécurité constituent les obstacles majeurs à l’altruisme. Ce sont des sentiments qui semblent dominants, et de plus en plus. Quelle chance l’altruisme a-t-il de les détrôner ?

L’obstacle majeur, c’est le sentiment de l’importance de soi. Mais la peur en est également un. Parce que la peur résulte de l’égoïsme. Si vous êtes entièrement centré sur vous-même, tout devient menaçant. Vous n’êtes pas le roi de l’univers. Donc vouloir que le monde tourne autour de vos désirs égoïstes est voué à l’échec. Il y a une poussée de l’individualisme, notamment en Amérique du Nord, c’est clair. Il y a ce danger. Je consacre une grosse partie du livre aux forces contraires, car il ne faut pas être naïf. Mais, si ce danger existe, il y a des causes, des remèdes, des antidotes, des possibilités… Des sociétés collectives existent, en Orient notamment, où la culture est moins individualiste. Des initiatives fleurissent dans les économies occidentales également. Le crowdfunding, le partage de logements, de voitures, ça se produit ! Il y a des milliards de dollars de prêts, d’échanges qui ont lieu. Cette économie ne représente que quelques pour-cent de l’économie dominante, mais quel changement par rapport à il y a vingt ans ! S’il y a une poussée de l’individualisme, il y a aussi une poussée de ce côté-là !

Vous défendez l’altruisme, non comme un luxe moral, mais comme une nécessité et prônez une alliance des altruistes. Quelles seraient les traductions concrètes de ces alliances ?

Des modèles évolutifs ont montré que si les altruistes se réunissent, ils ont un avantage sur les égoïstes qui, par définition, ne collaborent pas. Naturellement, si un groupe de personnes coopère, elles seront rapidement plus prospères qu’un groupe d’égoïstes qui n’arrêtent pas de se tirer dans les pattes. C’est une alliance spontanée. On le voit bien avec les divers mouvements qui se fédèrent à travers le monde.

Pensez-vous que ces mouvements altruistes puissent remporter la partie ?

L’économie positive est la branche de l’économie qui croît le plus vite ! C’est tout ce qu’on peut dire pour l’instant et c’est encore une minorité. Mais la dynamique est dans ce sens-là.

Vous déplorez que l’un des grands drames contemporains soit de sous-estimer notre capacité de transformation. Qu’est-ce qui vous fait croire que les hommes ont envie de changer leur manière d’être ?

Du point de vue de l’évolution, c’est normal d’être enclin à coopérer ! Si nous étions des oiseaux de proie, ça se verrait dès l’enfance. Or, les premières réactions chez l’enfant sont une préférence pour les comportements altruistes, bienveillants, « pro-sociaux », par rapport aux comportements agressifs, malveillants. En tant qu’animal social, nous sommes plutôt prédisposés à ça. Ensuite, il se passe beaucoup de choses dans l’existence. Vous êtes élevé(e) dans une culture collectiviste ou individualiste, on vous enseigne l’égoïsme ou le bon cœur… Le terrain est là, malléable dans les deux sens.

Vous nous invitez à cultiver nos capacités…

Il faut en effet se rendre compte que l’altruisme est beaucoup plus présent dans notre société qu’on ne le dit, et prendre possession de notre héritage, en quelque sorte. La vie de tous les jours est plus faite d’altruisme que d’actes d’égoïsme. Les gens se comportent de façon décente les uns avec les autres. La vie quotidienne est faite de paroles de coopération. C’est d’ailleurs l’exception qui nous choque. Les journaux ne parlent pas de 50 personnes qui coopèrent toute la journée. Mais si l’une d’entre elles attaque une vieille dame, c’est sûr, ils en parleront. Une étude suisse a analysé les gestes quotidiens de plusieurs milliers de personnes pendant quelques semaines : 70 % sont des actes « pro-sociaux » et 20 % sont des actes neutres, comme se laver les mains. Fermer une porte au nez de quelqu’un, dire un mot désagréable, ignorer une personne qui a besoin de quelque chose restent des comportements minoritaires. La vaste majorité de nos actes vont plutôt dans le sens de la bienveillance.

Vous vous êtes installé il y a quarante ans dans l’Himalaya, où vous avez reçu votre formation bouddhiste. C’est l’une des zones de la planète où l’environnement se dégrade le plus vite. Avons-nous le temps de changer ?

Evidemment, c’est une course contre la montre ! C’est pour ça qu’il faut se démener. Ça ne sert à rien de dire que c’est foutu. Moi, d’ailleurs, je ne subirai pas tellement les effets du changement climatique. J’ai 68 ans, ça sera encore vivable de mon vivant. Les centaines de millions d’émigrés climatiques, ce n’est pas moi qui les verrai. Si je ne m’intéressais qu’à mon propre sort, je pourrais me débrouiller pour les quelques années qu’il me reste à vivre. Je trouverais bien un coin sympa quelque part… C’est ça, la vision à court terme. D’où la question de l’altruisme. La plupart des gens qui s’occupent de l’environnement sont plutôt déprimés, parce que les connaissances sont là, mais les politiques travaillent tous dans le court terme. Le long terme ne plaît pas. C’est là que l’intelligence doit prendre le relais. Le but de ce livre, c’est de relier le court, le moyen et le long terme. —

Docteur en génétique cellulaire, Matthieu Ricard est aujourd’hui moine bouddhiste tibétain, écrivain et photographe.

En dates

1946 Naissance

Depuis 1989 Interprète du dalaï-lama

2000 Rejoint l’institut Mind and Life, qui établit des liens entre science et bouddhisme

2003 Publie le best-seller Plaidoyer pour le bonheur (NiL)

Dernier ouvrage paru : Plaidoyer pour l’altruisme (NiL, 2013)

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