Une pluie battante tambourine contre la baie vitrée, noyant les alentours dans une brume tenace. En ce début novembre glacial, les cimes enneigées du Vorarlberg, à l’extrême-ouest de l’Autriche, laissent augurer un hiver rude et précoce. Claudia Berkmann termine sa tasse de café, se détourne de la fenêtre et lance gaiement : « C’est formidable, ce triple-vitrage ! Rien ne passe, et surtout pas le froid ! » Avec son mari Philipp et leurs deux enfants, cette quadragénaire fait partie des heureux élus sélectionnés en 2008 pour emménager dans les logements sociaux flambant neufs du 55, Lochauer Strasse, à Hörbranz. Ce bourg fait partie des communes-pilotes ayant soutenu la construction d’ensembles estampillés « maison passive ».
Très en vogue depuis une dizaine d’années, ce concept, basé sur une meilleure performance énergétique et l’excellence de la filière bois, a placé le Vorarlberg à l’avant-garde du continent européen en matière de construction durable. Une mue étonnante pour ce Land plutôt conservateur, enclavé géographiquement et plus connu pour ses pâturages à la Heidi et ses chalets fleuris. Mais derrière les clichés pousse une formidable énergie créatrice qui balaie tout sur son passage : techniques de construction traditionnelles, conformisme architectural et règne du « tout-béton ». Le 55, Lochauer Strasse ressemble à un cube imposant, dépouillé, fait de verre et de linteaux de bois aux teintes grises, ceinturé de verdure. Dix lots y ont été attribués à des foyers aux revenus limités, inférieurs à 3 300 euros brut pour quatre personnes. Les Berkmann ont hérité d’un appartement de 87 m2 et ne tarissent pas d’éloges à son égard. « L’isolation est parfaite, assure Claudia. L’hiver dernier, nous n’avons pas dû lancer une fois le chauffage dans notre chambre ! »
Une quasi-autarcie énergétique
Pour en arriver à de telles performances, la « maison passive » doit répondre à trois critères, que rappelle Martin Ploss, architecte à l’Institut de l’énergie du Vorarlberg : « Un : des fenêtres à triple-vitrage pour une isolation thermique maximum. Deux : une orientation plein sud des baies vitrées, pour un maximum d’ensoleillement. Trois : un recyclage de l’air en interne, pour éviter les ruptures d’isolation provoquées par l’ouverture intempestive des fenêtres. » Des réseaux de chaleur viennent compléter l’installation, se substituant au gaz et au fuel. Le tout est surmonté de deux rangées de panneaux solaires sur le toit, qui permettent d’alimenter en eau chaude toute la maisonnée, pour une quasi-autarcie énergétique. A l’arrivée, des économies d’énergie de l’ordre de 80 % à 90 % par rapport à une maison traditionnelle, pour une consommation réelle de 25 kWh par m2 et par an. En France, la moyenne des dépenses énergétiques pour des bâtiments neufs s’élève à plus de 150 kWh par m2 et par an…Eviter le phénomène de ghettoïsation
Pour 87 m², les Berkmann paient 486 euros de loyer, plus 206 euros de frais d’entretien et de consommation d’énergie. Au-dehors, la température affiche un petit 5° C. A l’intérieur, le compteur digital du salon indique 23,2° C. Il n’en bougera probablement plus de l’hiver. Ce « miracle » du Vorarlberg a débuté à l’échelle des communes avec des bâtiments publics à l’architecture révolutionnaire, comme le centre administratif de Ludesch ou la surprenante mairie sur pilotis d’Andelsbuch. Une forte volonté politique a convaincu les différents syndicats de constructeurs de logements sociaux de passer aux normes passives. Le plus puissant d’entre eux, le Vogewosi, a déjà inauguré quatre bâtiments de ce genre, dont celui de Hörbranz, et parachève pour l’été prochain un ensemble de cinq bâtiments à Dorbirn, totalisant 78 appartements dont 30 réservés aux personnes âgées. « La priorité va au creuset social, insiste Hans-Peter Lorenz, le directeur du Vogewosi. Nous laissons les communes choisir les futurs locataires, mais la primauté demeure la mixité sociale afin d’éviter de favoriser un phénomène de paupérisation, voire de ghettoïsation. Nous faisons donc bien attention à ce que ces logements ne soient pas réservés aux plus pauvres. »Grâce à un remarquable travail de sensibilisation mené par les autorités provinciales, le concept d’architecture passive se démocratise dans le Vorarlberg. Dans cette région, le dicton paysan « Schaffa, schaffa, hüsle baua ! » (Travaille, travaille et construis ta maison !) » est toujours d’actualité. « Nous sommes des manuels, pas des philosophes, et nous consacrons toutes nos ressources à notre maison, explique l’architecte Hermann Kaufmann, père fondateur du mouvement. En outre, le Vorarlberg, c’est un tissu social très riche et une densité démographique idéale. Tout le monde se connaît. Nous utilisons les ressources naturelles disponibles à proximité, et ce sont nos artisans qui font le boulot. Quand quelqu’un travaille bien, la nouvelle se répand. Avec l’expérience, on apprend à tirer vers l’excellence. »
En réalité, le bilan est plus contrasté. Il reste à convaincre les esprits chagrins, architectes et professionnels du bâtiment, qui doutent de la longévité d’une technologie complexe. Et puis, il est parfois difficile de s’adapter aux nouvelles contraintes au quotidien, même porteuses de fabuleuses économies d’énergie. Qui a dit, par exemple, qu’il était simple de garder les fenêtres toujours scrupuleusement fermées ? Au rez-de-chaussée de sa maison, Claudia vient de tressauter : elle qui couvrait de louanges le système de recyclage de l’air, « surtout après une raclette ou une soirée enfumée », découvre qu’elle a laissé grand ouvert une fenêtre dans la chambre d’enfant. « Il fallait quand même que j’aère un peu », s’excuse-t-elle. Il est peut-être là, le prix à payer pour s’abandonner définitivement au culte de la « maison passive » : une discipline de fer. —
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