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21-11-2013
Mots clés
Océans
Alimentation
France

La crépidule fait la nique à la moule bretonne

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La crépidule fait la nique à la moule bretonne
(Crédit photo : jean-luc & françoise ziegler - biosphoto)
 
De Saint-Brieuc à Cancale, ce gastéropode se reproduit à la vitesse de l’éclair. Petit mais glouton, il cause des sueurs froides aux conchyliculteurs. Un entrepreneur a donc eu l’idée d’ouvrir une usine transformant la bête lubrique en mets de choix.
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Indéniablement, la crépidule copule. Qui eût cru que la vie sexuelle débridée d’un gastéropode mette un jour les Bretons en émoi ? Entre Côtes-d’Armor et Ille-et-Vilaine, Crepidula fornicata, dans le nom duquel se lit sa magistrale capacité de reproduction, commence pourtant à leur chauffer les gonades. D’abord, ils n’avaient rien demandé, nos fiers Celtes. Alors que sur nos côtes, on ramassait benoîtement des coques à pied les jours de grandes marées, Crepidula fornicata traversa d’abord l’Atlantique, de la côte est des Etats-Unis jusqu’en Albion, à la faveur d’un transfert d’huîtres, et s’installa dans la luxure de l’autre côté de la Manche. Puis, en 1944, il fallut bien que les Alliés débarquent. On ne saurait le leur reprocher. Mais la perfide Crepidula en profita, cramponnée aux coques des navires qui circulaient entre l’Angleterre et les ports français libérés, pour pénétrer en Normandie. Accrochée comme un morbac à Cherbourg (Manche), elle n’eut plus qu’à se laisser porter par les courants pour proliférer. Sans compter que nous, aveugles humains, lui donnâmes un généreux coup de main. A force de transférer des huîtres d’un pays ou d’un bassin à l’autre, de draguer et de chaluter à tout va, Crepidula se répandit comme la vérole sur le bas clergé. « Nous l’avons bien aidée et, maintenant, elle n’a plus besoin de nous », résume Patrick Le Mao, spécialiste de l’animal à l’Ifremer.

Ce n’est rien de le dire. L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer a calculé que le golfe normand-breton devait en abriter, aujourd’hui, entre un et deux millions de tonnes au bas mot. En baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), les colonies forment désormais des croûtes calcaires et vaseuses là où les pêcheurs draguaient jusqu’à présent la coquille Saint-Jacques qui aime bien, elle, le sable.

Fricoter ouvre l’appétit

Et Crepidula ne se contente pas de mettre à mal la délicate nef qui vit naître Vénus. Non. Elle s’attaque également à la Merveille de l’Occident. Quelques individus furent signalés à l’aube des années 1980 en baie du Mont-Saint-Michel. Quinze ans et des dizaines de générations plus tard, on en comptait 150 000 tonnes. De quoi faire frissonner d’angoisse les 20 000 tonnes d’huîtres et de moules qui trempent béatement dans les eaux mouvantes de la baie. Car, cela se sait, fricoter ouvre l’appétit. Crepidula préfère filtrer le phytoplancton. Mais nourrir une armée lubrique épuise les vivres. Huîtres, moules de bouchots, palourdes, pétoncles et autres praires pourraient finir par crier famine. « La crépidule est un compétiteur alimentaire, explique Patrick Le Mao. Les travaux menés par l’Ifremer à Brest ont montré un impact très net de sa présence sur la croissance des coquillages : ils grandissent moins vite ! »

Chair congelée

Chez les conchyliculteurs, on commence à s’agacer. Au large de Cancale, (Ille-et-Vilaine) entre la pointe du Grouin et Le Vivier-sur-Mer, l’huître plate, en eaux profondes, constitue la première ligne de front. « Les concessions se trouvent à la limite du territoire déjà colonisé par la crépidule : les ostréiculteurs doivent déployer un travail colossal pour repousser le gastéropode », note Florence Madec, secrétaire générale du comité régional conchylicole Bretagne-nord. Derrière les délicats mollusques aphrodisiaques attaqués, attendent, tremblantes, les moules AOP sans qui les frites seraient orphelines. Les marchés de l’huître et de la moule représentent plus de 500 emplois et un chiffre d’affaires de quelque 45 millions d’euros.

Mais qui nous débarrassera de Crepidula ? Personne, à vrai dire. « On n’éradiquera pas cet animal, tranche Patrick Le Mao. Il va falloir vivre avec. » Ce paradigme en tête, un homme décida de goûter la crépidule. « Si on ne la cuit pas trop, elle dégage un délicat fumet de champignon », souligne Pierrick Clément. Cet entrepreneur fait désormais les yeux doux aux tonnes de gastéropodes, renommés « berlingots de mer », qui siestent crapuleusement en baie du Mont-Saint-Michel. Plusieurs chefs étoilés l’ont adoubé dans sa croisade alimentaire. Les conchyliculteurs bretons, emballés à l’idée de faire la nique à Crepidula, ont investi dans une arme de guerre nommée « Papy », un ancien dragueur d’huîtres, équipé pour récolter le fruit de mer et le passer sous la douche avant débarquement. Encore fallait-il le dompter à l’arrivée.

« Si on le fait ouvrir à la vapeur comme une moule, à la sortie, on obtient un chewing-gum sableux », précise Pierrick Clément. Avec 1,5 million d’euros d’investissement, sa société Slipper Lipet Processing a mis au point une technologie de décorticage de la bête à froid et à l’eau de mer, rodée dans une usine pilote à Cancale depuis 2012. D’un côté, sort la coquille broyée, un super concentré de silice, valorisée en amendement agricole. De l’autre, une chair congelée et prête à cuisiner, à moins de quatre euros le kilo. De lourdes barrières financières et administratives suspendent pour l’instant le projet de festin crépidulesque. A l’heure où l’agro-industrie bretonne est en souffrance, la perspective d’un gigantesque, et durable, gisement de produits de la mer semble pourtant alléchante. L’Espagne et son appétit de tapas, mais aussi l’Asie, Chine et Japon en premier, pourraient se montrer goulus pour ce berlingot, désormais estampillé français. —


Tout, tout, vous saurez tout sur la crépi !

Le coquillage en forme de bonnet phrygien est hermaphrodite. Mâle au début de sa vie, il devient femelle au bout de deux ans. Sa stratégie de reproduction est imparable. Il vit en colonie d’une dizaine d’individus, superposés les uns aux autres. Lorsqu’une crépidule vient se coller à une autre, le sexe de la première se transforme. Si bien que sur une colonie d’une dizaine d’individus, d’une durée de vie de dix ans, les femelles se situent à la base, les mâles au sommet. Les uns fécondent les autres. Une femelle pond environ 10 000 œufs trois fois par an. Et la famille est rapidement nombreuse. —

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