publicité
haut
Accueil du site > Actu > Le marketing expliqué à ma mère > La banane durable, un fruit de l’imagination
Article Abonné
25-04-2011
Mots clés
Agriculture
Pollution

La banane durable, un fruit de l’imagination

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
La banane durable, un fruit de l'imagination
(Crédit photo : Daniel Hérard)
 
Scandale aux pesticides, épandages aériens… La banane avait bien besoin qu’on lui redore la peau. Etat et planteurs antillais ont organisé la riposte avec site Internet et institut dédié. Sur place, on a pourtant l’impression d’être pris pour des pommes. Destination la Martinique.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
SUR LE MÊME SUJET

Au nord de l’île, les pentes de la montagne Pelée sont tapissées de bananiers. Des deux côtés de la route, leurs longues palmes en épi frémissent sous l’alizé. Mais en approchant de la ville de Gros-Morne, une vision de désolation interrompt ce paysage verdoyant de Martinique : sur le flanc d’une colline, les feuillages jaunissent, les bananes noircissent, semblant se dessécher sur leur tige. Un habitant ralentit sa camionnette et, par la vitre baissée, avertit : « Ne touchez pas à ces régimes ! Ils sont empoisonnés ! »

On se sent soudainement bien loin de ce que vante Bananedurable.com : « Bonne pour la terre » ; « Bonne pour les hommes » ; « Bonne pour la santé ». Le site Internet fait partie de la palette d’outils du Plan banane durable. Ce programme, signé par le ministre de l’Agriculture fin 2008, s’étale jusqu’en 2013 et entend soutenir les producteurs « dans leurs engagements pour le développement durable ».

Courroie de transmission

Financé par l’Union européenne, l’Etat et la Région Martinique, un budget de 1,5 million d’euros par an est ainsi accordé à l’Institut technique tropical (IT2). Cette entité phare du Plan se cache derrière le bâtiment principal de Banamart, le plus gros groupement de producteurs de bananes de Martinique, situé à Bois-Rouge, un quartier du Lamentin, coté ouest de l’île. David Dural, le directeur de l’IT2, reçoit sourire aux lèvres et graphique à la main. Il garantit d’emblée : « L’utilisation de pesticides a diminué de 70 % en dix ans. Si nous sommes passés de 15 à 5 kg de matières actives par hectare, c’est grâce aux résultats de recherches ! » Ainsi justifie-t-il le but de son établissement : être une courroie de transmission entre les chercheurs des instituts agronomiques et les producteurs.

Cependant, admet David Dural, un peu gêné, la terre où pousse cette banane durable « peut être saine… ou polluée à la chlordécone ». En effet, bon nombre d’agriculteurs dont les parcelles ont été empoisonnées pendant deux décennies, de 1973 à 1993, par ce pesticide persistant continuent à produire de la banane. Car même cultivés sur des terres très contaminées, ces fruits présentent des teneurs de chlordécone inférieures à la limite maximale autorisée. « Mais les méthodes de culture sont bien plus propres qu’autrefois !, tempère l’agronome. Nous diffusons des pratiques écologiquement intensives en proposant aux planteurs des formations et un guide de bons procédés pour obtenir une certification plus durable. »

Pour convaincre, il propose une visite de terrain. Au cœur d’une bananeraie, le directeur de l’IT2 soulève le couvercle d’une petite boîte jaune : « C’est un piège à charançons. » Attirés par une phéromone, les grands ennemis des bananiers, dont l’existence a longtemps justifié l’épandage de chlordécone, s’y noient simplement.

Autres améliorations encouragées par le Plan : la généralisation de jachères sur au moins 15 % des terres de chaque exploitation ou, plus rare, la rotation entre cultures de bananes et de cannes à sucre. Une pelle à la main, David Dural remue la terre à la recherche de vers. Il veut prouver les bénéfices des plantes dites de service qui sont expérimentées. Répondant aux noms de « petit mouron », « kaya blanc », qui adoucissent le discours technique, ces végétaux amis éloignent parasites et mauvaises herbes. C’est à l’aide de ces plantes que le directeur rêve de créer un équilibre écologique sous bananeraies.

« Plants sains sur terrain sain ! » Sa maxime préférée, il la répète au volant de son 4x4 qui le mène jusqu’à la pépinière d’Antilles Vitro-Plants. « Voici l’avancée majeure ! », s’enthousiasme-t-il devant des alignements de bébés bananiers arrivés par avion d’Israël et bichonnés sous serre avant d’être vendus. « Grâce à ces plants in vitro cultivés en milieu aseptisé, on évite de transplanter des rejets naturels de bananier pouvant être parasités. Et l’on réduit l’usage d’insecticides », insiste-t-il.

Diminue-t-on aussi l’usage d’herbicide ? Sur ce sujet, les fiches techniques de l’IT2 se montrent plus prolixes que le directeur lui-même : on y conseille la destruction des vieux bananiers au glyphosate, un herbicide total de plus en plus mis en cause.

« Pratique aberrante »

Jachères, vitroplants… voilà qui ne laisse pas indifférent Juvenal Rémir, le président du syndicat des exploitants familiaux Codema-Modef. Ce producteur de Basse-Pointe a la réputation de ne pas mâcher ses mots. Fier de cette renommée, il aborde sans complexe un sujet tabou : « Désormais, avant la jachère, on pique avec une seringue de glyphosate chaque pied en fin de vie, à raison de 2 000 pieds par hectare ! », explicite-t-il. Après ce traitement de choc, les bananeraies prennent l’allure macabre de celles aperçues à Gros-Morne. Et avant de mettre en terre les vitroplants, deux désherbages chimiques sont encore nécessaires.

« C’est une pratique aberrante ! », s’emporte Juvenal Rémir. Lui préfère l’ancienne méthode, qu’il utilise toujours d’ailleurs : « La herse est passée à plusieurs reprises pour coucher les vieux bananiers. L’enfouissement des déchets verts amende le sol et limite l’usage d’engrais. Et l’on replante des rejets naturels de bananiers. » Intarissable, il accuse les « gros mordants », du nom d’un crabe local ! Ceux-ci voudraient imposer des techniques « pas tant durables, mais très coûteuses » aux petits exploitants.

La modernisation a en effet entraîné la concentration de la production. En Martinique, les plantations supérieures à 50 ha, détenues par 5 % des producteurs, occupent 41 % des surfaces en bananeraies et produisent 65 % des bananes. « L’écologie intensive » promue par le Plan banane durable se montre plus favorable aux grands planteurs.

Sur ce drôle de concept, l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais, dont le bureau se situe dans une cité HLM du Lamentin, s’est forgée son opinion. « Ecologie intensive ? La formule est antinomique !, tranche Henri Louis-Régis, son président. Il faudrait plutôt diversifier les cultures, tendre vers une autonomie alimentaire et encourager l’agriculture biologique, qui n’occupe que 0,7 % des surfaces exploitées en Martinique. »

Craintes confirmées

Tout en reconnaissant des efforts dans certaines bananeraies, l’homme se dit inquiet : « Après la pollution à la chlordécone, quel sera l’impact du glyphosate dans les nappes phréatiques ? Et celui de la dispersion de fongicides par hélicoptère malgré la directive européenne interdisant l’épandage aérien ? » La France a jusqu’à 2011 pour s’y adapter. Les planteurs vont-ils finir par s’y plier ? Un coup de fil au ministère de l’Agriculture confirme les craintes des militants : « L’arrêté relatif aux conditions de dérogation pour les bananiers antillais sera publié dans les meilleurs délais. Il a été soumis à l’avis du Comité consultatif pour la protection des végétaux », indique l’attaché de presse. C’est étonnant : les deux fongicides utilisés, à base de propiconazole et de difénoconazole, sont certes autorisés, mais classés nocifs pour l’environnement aquatique.

A l’Union des groupements de producteurs de bananes (UGPBAN), Sébastien Zanoletti, le directeur du développement durable, se charge de déminer ce sujet polémique : « En attendant l’avancée des recherches, c’est la seule façon de lutter contre la cercosporiose noire, qui menace le dessus des feuilles ! », justifie-t-il, attestant que les doses de produits actifs sont minimes dans l’huile minérale épandue.

Qu’en pensent les médecins ? Sur une terrasse bordant la Savane, le parc central de Fort-de-France, la pédiatre Josiane Jos-Pelage, déterminée, se lance : « Fongicides + glyphosate + chlordécone : un risque d’effet cocktail est possible !, alerte la présidente de l’Association médicale pour la sauvegarde de l’environnement et de la santé. Entre 1990 et 2005, en Martinique, toutes les courbes des cas de cancers de la prostate, du colon, du myélome ont grimpé en flèche, bien au-delà de celles de la métropole. » D’où son appel à changer d’urgence de modèle agricole.

« Erreurs d’analyses »

Alors, faut-il en finir avec la banane ? Même la Cour des comptes le suggère : « Ce modèle économique, tourné vers l’exportation, est à la fois coûteux et inefficace ! », décrète-t-elle dans un rapport de février 2011 sur la politique de soutien à l’agriculture des DOM. En cause, les subventions de l’UE de 15 000 euros par hectare de bananes. Elles ont été captées par les grandes exploitations et ont davantage servi à préserver le chiffre d’affaires que l’embauche : en Martinique, 38 % des emplois bananiers ont été supprimés entre 2000 et 2007, 47 % en Guadeloupe. Questionné sur ce verdict sévère, le directeur de l’UGPBAN, Philippe Ruelle, s’emporte au téléphone : « Erreurs d’analyses ! La Cour oublie les spécificités des DOM et leur éloignement des marchés. De plus, en vérité, la masse salariale a augmenté car 90 % des emplois sont passés en CDI ! »

Soit, mais pour ceux qui la travaillent, la banane est-elle « bonne », comme le clame le site Bananedurable ? A la Maison des syndicats, les délégués de la CGT-Martinique sont remontés. « On croit rêver ! », lance une femme dont la tâche consiste à emballer ces fruits, debout toute la journée. Les conditions de travail qu’elle décrit différent radicalement de celles affichées par la campagne : « Des salaires bas (1 300 euros brut par mois, ndlr) pour un travail pénible, des cadences exténuantes, des exploitations sans comités d’hygiène et de sécurité, des violations des conventions collectives… » Le plus durable dans cette banane, n’est-ce pas les problèmes qu’elle pose ? —


L’avis de l’expert : 2/5

Gérard Sainte-Rose, agrobiologiste et président d’Orgapeyi, association martiniquaise de producteurs pour le développement de l’agriculture organique et paysanne : « C’est vrai, la banane est durable ! J’ai 65 ans et je l’ai toujours vue ! Blague à part, notre île est déjà hyper polluée, le chlordécone étant juste l’arbre qui cache la forêt. Les pseudo-engagements de cette campagne ne convainquent pas. Une agriculture plus diverse et biologique devrait être encouragée. Elle est possible, y compris pour la banane. Tout n’est pas encore mort : il reste des terres à cultiver et à protéger. Mais il n’y a malheureusement ni politique agricole en ce sens, ni politique de santé. La chambre d’agriculture a même été “ antibio ” à certaines époques ! Il est temps de cesser d’empoisonner le peuple antillais ! »

Sources de cet article
Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
2 commentaires
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas