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3-01-2008
Mots clés
Développement Durable
Eau
Afrique

L’Egypte à court d’eau

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Sur les bords du Nil, trouver de l’eau potable est une lutte quotidienne : 45 % des habitants des villes n’ont pas accès au robinet. Face à un réseau mal entretenu et pollué, les Egyptiens sont à bout. Or une pénurie généralisée est annoncée pour 2025.
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Distribution d’eau potable à Al-Borollos, à 300 km du Caire / (Photo : AFP)

La presse les a surnommés les « assoiffés  ». Tout l’été, des villages du delta aux portes de Maadi, quartier huppé du Caire, de manifestations en sit-in improvisés, ils ont fait vibrer le Nil au son de leur révolte : « De l’eau pour les assoiffés ! » La méthode est nouvelle et surprend les médias. Mais le problème, lui, est ancien. Pollution, coupures intempestives, absence de canalisations  : pour beaucoup d’Egyptiens, trouver de l’eau potable est une lutte quotidienne. Selon le dernier recensement, 45 % des habitants des villes n’ont pas accès à un robinet. Et le chiffre grimpe dramatiquement dans les zones rurales. Il est à peine plus de midi dans une ruelle improvisée d’Ezbet El-Haganna, l’une des plus grandes zones informelles du Caire. Fatma, 43 ans, avance à pas comptés, le dos voûté par l’effort. Sur sa tête, deux jerrycans d’eau achetés à un revendeur à l’autre bout de la ville. Comme 70 % de la population du quartier, Fatma n’est pas reliée au réseau d’eau potable. « Il passe très loin de chez moi et je ne peux m’offrir le luxe du raccordement », soupire-t- elle. Celui-ci atteint les 225 euros en moyenne. Chaque jour, Fatma consacre donc deux heures à son ravitaillement ainsi qu’une grande partie de ses revenus : 75 piastres (0,10 euro) le jerrycan, alors qu’elle ne touche que 1 euro environ au quotidien. Les jours de lessive, le dîner est frugal. « Je n’ai pas lavé mes vêtements depuis plus d’une semaine », s’excuse-t-elle, la tête entre les mains.

Souleymane, 46 ans, s’est d’abord cru plus chanceux. En 2004, après « des mois d’économies », il s’est offert le précieux sésame : le compteur d’eau. Trois ans plus tard, celui-ci tourne effectivement. Souleymane reçoit des factures, mais les travaux de raccordement n’ont toujours pas débuté… « De toutes façons, il y a de moins en moins de pression dans les tuyaux, et souvent même pas d’eau du tout », relativise-t-il un brin désabusé. Cet été, au plus fort de la crise, le précieux liquide ne coulait qu’une petite heure par jour : maigre ration pour le million d’habitants qui s’entassent dans ce vaste taudis. Alors, lorsque s’annonce la pénurie, les plus malins recourent à des détournements sauvages, contraints de « voler pour boire », quitte à léser encore davantage leurs voisins. Dans ce contexte, les tensions s’exacerbent entre habitants. Et il n’est pas rare de voir éclater des bagarres.

Des tuyaux, mais pas de pression

L’Egypte et ses 76 millions d’habitants (dont plus de 17 millions rien qu’au Caire) ne seraient pourtant qu’au début de leurs peines. Sur les bords du Nil, un Egyptien naît toutes les 23 secondes. Mais les infrastructures ne suivent pas. Selon un récent rapport du Centre national de recherche sur l’eau – organisme gouvernemental –, le pays s’acheminerait vers une pénurie d’eau généralisée en 2025. « Pénurie ? », le mot fait bondir le géographe Habib Hayeb. Selon lui, « la balance hydraulique de l’Egypte est presque parfaite » : 65 milliards de mètres cubes par an (dont 95 % proviennent du Nil), auxquels s’ajoute la réutilisation des eaux d’irrigation, pour une consommation de 66 milliards de mètres cubes. « L’Etat utilise l’argument de la pénurie pour justifier les inégalités d’accès. L’eau ne manque pas. Ce qui manque c’est une bonne gestion des ressources  », assène-t-il.

Le gouvernement a pourtant procédé, en 2004, à une profonde réforme du secteur. A cette date, la gestion du réseau a été transférée à la Holding Company for Water and Wastewater. Celle-ci travaille en collaboration avec des entreprises internationales (Suez notamment) mais reste placée sous tutelle du ministère du Logement. Trois ans après, le bilan est mitigé. « Désormais, c’est la logique du privé qui l’emporte, lâche Abdo Abdel El-Razik, responsable d’une association locale de développement à Ezbet El-Haganna. Ici, nous sommes entourés de quartiers riches, dotés de nombreuses industries. Ils sont prioritaires et nous, nous partageons les gouttes. C’est la loi du marché. » « Le gouvernement est conscient du problème mais continue de placer à des postes clés d’anciens généraux souvent incompétents, regrette un observateur qui souhaite conserver l’anonymat. Cela ralentit considérablement la nécessaire modernisation du réseau. »

Construit au début des années 1920, sous protectorat britannique, ce réseau n’a subi aucune réhabilitation de grande ampleur. Conséquence : un gros gaspillage. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, plus d’un tiers de l’eau retraitée en Egypte se perd entre la source et le robinet. L’institution pointe également les nombreux problèmes de pollution, liés en grande partie aux lacunes du système de retraitement des eaux. « Dans neuf gouvernorats sur vingt-six, la qualité de l’eau est défaillante », déplore Mohammed Nagui, du Centre Habi pour l’environnement. Et la situation s’aggrave chaque jour. La Banque mondiale a accordé à l’Egypte, en septembre, un nouveau prêt de 213 millions de dollars (145 millions d’euros), pour financer un programme d’amélioration des structures de réutilisation de l’eau dans le delta. Mais la tâche est immense. En Egypte, 40 % des villes et 96 % des villages ne disposent pas de réseau d’égouts. Dans ces zones, les habitants bricolent des fosses septiques. Parfois de mauvaise qualité et souvent mal entretenues, elles contaminent la nappe, voire même le réseau d’eau potable. Résultat : on boit et on déverse dans un seul et même tuyau l’eau du Nil, presque l’unique source d’eau du pays. Celui-ci accueille ainsi chaque année environ 1,8 milliard de mètres cubes d’eau usées, auxquels s’ajoutent – invisibles –, 13 milliards de mètres cubes de déchets industriels, engrais, pesticides et autres résidus chimiques.

Une vaste étendue d’eau croupie

L’exemple d’Al-Rahawi à 30 kilomètres au nord du Caire est édifiant. A l’entrée du village, on aperçoit l’un des plus longs canaux d’évacuation d’Egypte, vaste étendue d’eau croupie et verdâtre, où osent à peine s’aventurer les poules. Le spectacle est assez fréquent. Mais ce qui l’est moins, c’est sa présence à deux pas de la station de pompage du village. « Les jours où la centrale fonctionne, le canal s’assèche, constate amèrement Hamdy Mabed, chercheur au Centre de la Terre, un organisme de défense des droits des paysans. Ici, on boit la merde de l’Egypte. » Pour les 15 000 habitants, trouver de l’eau potable est un enfer. Si les plus riches peuvent construire des puits profonds, la plupart des habitants n’ont d’autre choix que de consommer cette eau souillée. Selon Mohammed Kadim, médecin du village, « près de la moitié des gens souffrent de problèmes rénaux. Dix-sept personnes en sont mortes l’an passé ».

Pour irriguer désert et piscines

Insuffisances rénales, trachomes…, selon le Centre égyptien pour le droit au logement, la mauvaise qualité de l’eau serait responsable de 25 % des maladies prévalant en Egypte et d’un quart de la mortalité infantile entre 0 et 5 ans. La bilharziose, contractée par contacts répétés avec une eau croupie, toucherait même 2 Egyptiens sur 3 au cours de leur vie. « L’Etat a consenti de gros efforts pour développer des traitements, mais les gens n’ont pas les moyens de se soigner. Sans accès à des infrastructures adaptées, la maladie continuera de prospérer », prédit Mohammed Kadim.

« L’accès à l’eau est avant tout un problème de pauvreté, ce n’est donc pas une priorité pour l’intelligentsia égyptienne, regrette le géographe Habib Hayeb. Dans leurs quartiers chics, les décideurs ne se soucient guère des enfants qui s’abreuvent dans des canaux putrides. Mais n’hésitent pas à puiser abondamment dans les ressources pour irriguer le désert et y construire villas, piscines et parcours de golf destinés à une clientèle haut de gamme. » Selon Mohammed Nagui, il manque une culture du « droit à l’eau ». Un droit pourtant inscrit dans l’article 16 de la Constitution égyptienne, ainsi que dans de nombreux traités internationaux ratifiés par le Caire. —


« Bagarres-robinet » à répétition Risquer sa vie pour quelques litres d’eau. Le 30 août 2007, en pleine révolte des assoiffés, deux grandes familles d’un village de Dakhaliya s’affrontent à coups de massue au pied d’une citerne de ravitaillement en plastique d’un autre âge. L’eau est absente des robinets depuis des semaines. La tension est telle que la population est prête à tout pour s’arroger le précieux liquide. Trois villageois sont grièvement blessés au cours de la bataille. Une semaine plus tôt, 58 paysans armés de couteaux, avaient, eux, entrepris d’intercepter le camion de ravitaillement avant même son arrivée à destination. Bilan : 4 blessés. Portées à la une des journaux cet été, ces « bagarres-robinet » sont toutefois affaire courante en Egypte. En 2006, selon un rapport du Centre de la Terre, elles auraient fait 10 morts et 31 blessés sur les bords du Nil.

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