L'Argentine a trouvé de l'argent liquide

L’histoire de Graciela est monnaie courante à Santiago del Estero, l’une des provinces les plus pauvres d’Argentine. Elle vivait sur ses 130 hectares de terres avec son mari et ses 8 enfants, lorsque des bulldozers les ont délogés. Un agriculteur, accompagné par un avocat et des policiers armés, a affirmé avoir acheté ses terres en toute légalité et a exhibé ses titres de propriété. Graciela et sa famille ont tenté de résister, mais quelques jours plus tard, un incendie détruisait leur maison et leurs champs.

« Aujourd’hui, nous vivons sur les 20 hectares qu’on nous a laissés, se plaint Graciela. Et sur nos terres, maintenant, il y a du soja à perte de vue. » Une loi prévoit que la terre appartient à celui qui l’exploite depuis plus de vingt ans de manière pacifique et ininterrompue. « Mais l’incendie et les bulldozers ont effacé les traces de notre vie ici, souligne Graciela, et nous n’avions pas l’argent pour obtenir un titre de propriété en bonne et due forme. » Ici, juges, notaires et fonctionnaires du cadastre sont corrompus par de gros agriculteurs en quête de terres pour y cultiver « l’or vert » : le soja, transgénique dans 95 % des cas.

Les zones humides de la pampa sont désormais toutes exploitées. Comme le soja transgénique nécessite peu d’eau et de main-d’œuvre, c’est vers les provinces arides du Nord que les agriculteurs se tournent, comme Santiago del Estero, Salta, Formosa ou le Chaco. Le Chaco, justement, est aussi le nom du deuxième écosystème d’Amérique du sud, après l’Amazonie. Il s’étend sur un million de kilomètres carrés entre le Brésil, la Bolivie, le Paraguay et l’Argentine. Refuge d’une faune et d’une flore uniques au monde, il est aujourd’hui menacé par la déforestation.

Le soja accapare la moitié des terres

Destiné surtout à l’exportation vers la Chine et l’Union européenne, le soja occupe la moitié des terres cultivées d’Argentine. L’Argentine est déjà le troisième producteur mondial de cette plante oléagineuse et le premier exportateur d’huile végétale, base des biocarburants. « Si on prend en compte les nouvelles lois qui établissent un usage obligatoire des biocarburants, on peut s’attendre à la création d’un marché très important », se réjouit le directeur exécutif de l’Association argentine des biocarburants et hydrogènes, Claudio Molina.

Greenpeace s’en mêle

Celle-ci a en effet adopté l’an dernier une loi prévoyant d’incorporer d’ici à 2010 au moins 5 % de biocarburants dans l’essence ou le diesel consommés dans le pays. Mais c’est vers l’exportation, bien plus rentable que le marché intérieur, que se tournent plus de 75 % des projets concernant les agrocarburants. Résultat : tous les ans, près de 250 000 hectares de forêts disparaissent au profit de l’agriculture. En 2004, la province de Salta avait même mis en vente une réserve naturelle afin d’y cultiver du soja. Après vingt mois de lutte, Greenpeace a obtenu qu’elle soit protégée. Mais « une loi imposant un moratoire de cinq ans sur la déforestation est toujours bloquée au Sénat », dénonce Hernán Giardini, de Greenpeace.

Le biocarburant a de beaux jours devant lui en Argentine, où s’est tenu, les 10 et 11 mai, le premier Congrès américain sur les biocombustibles, avec l’ancien vice-président américain Al Gore comme invité de marque. Il y a deux mois, l’Armée de l’air a fait voler son premier avion de chasse propulsé au « biojet », composé à 20 % de biocarburant à base d’huile de soja.