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22-06-2006
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Social
Société
France

Job Academy

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Des entreprises fantômes embauchent de "vrais" chômeurs. Et leur font mimer les gestes du travail. Reportage au pays des sociétés d'entraînement pédagogique.
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Ici, des nains de jardin, des plantes de bureau, des jardinières... Là, des stylos à pointe fine, des enveloppes à fenêtre, des chemises à clip... Deux boîtes de la région parisienne s’étalent sur catalogue. L’une, Au Paradis vert, dédiée à la jardinerie, s’ouvre au premier étage de la maison de l’emploi à Epinay-sur-Seine. L’autre, Activ’Services, spécialisée dans la fourniture de bureaux, s’étale au rez-de-chaussée d’un bâtiment industriel à Dammarie-lès-Lys. Dans leurs murs, des employés s’agitent, répondent au téléphone, remplissent des bons de commande, adressent des devis, éditent des fiches de paie, tiennent des réunions...

Simulateur de vol

Ils ne disposent pourtant d’aucun stock, vendent du vent, achètent "des cacahuètes". En réalité, ces structures à l’allure traditionnelle sont des entreprises "d’entraînement pédagogique" (EEP). Des sociétés "aux flux physiques virtuels mais à la chaîne administrative réelle", décrypte Valérie Mikaelian, directrice d’Activ’Services. En clair, des boîtes fantoches dans lesquelles les employés miment les gestes traditionnels du labeur... pour s’exercer. "Le concept est né dès 1870 en Allemagne pour encourager le reclassement, raconte Pierre Trotton, le directeur du réseau d’entreprises pédagogiques planté au cœur de la Loire, à Roanne. La France a suivi, quelques décennies plus tard."

L’objectif : organiser une rencontre entre quelques chômeurs déroutés et l’imposant marché du travail. "C’est un simulateur de vol, l’auto-école de la conduite salariale, un terrain d’entraînement. Ici, le stagiaire a droit au temps et à l’erreur", explique Pierre Trotton. Du temps pour réapprivoiser l’emploi, pour repenser sa carrière aussi. "Certaines personnes débutent comme secrétaires et s’essayent avec succès à la comptabilité ou à un poste de commercial », raconte Muriel Frech, directrice du Paradis vert.

Du temps, aussi, pour goûter à la responsabilité puisque chacun est tour à tour chef de service. L’expérience constitue aussi un appui pour regonfler de confiance des jeunes perclus d’appréhension avant un premier emploi et un tremplin idéal pour réhabituer les plus âgés au boulot quotidien, après des années de galère ou des accidents de vie. Car cheveux gris et coupes en pétard se mêlent sur les bancs des EEP. "Ceux qui ont déjà travaillé connaissent les principes de base du classement. Les jeunes sont plus à l’aise avec la bureautique. Ceux-là dynamisent les premiers, qui canalisent les seconds", s’enthousiasme Valérie Mikaelian. Le coude à coude tient ici une place de choix. Les stagiaires s’entraident et comblent leurs lacunes respectives.

Salaire virtuel

Difficile pourtant d’imaginer une adhésion sans réserve à ce monde aux allures de Matrix. "Il faut les piquer au jeu", s’amuse Muriel Frech. Pari réussi. "On s’y croit vraiment, assurent des stagiaires du Paradis vert. Et si le travail n’est pas fini, il nous arrive de rester plus tard... " Le secret ? Une organisation en réseau à deux niveaux : national et international. Car les EEP vivent au gré d’un flux d’offres et de demandes orchestré par le centre national de Roanne, qui dicte la partition des papiers officiels (bons de commande, feuilles de paye...), règle le ballet des chèques et met le réseau en musique.

Ainsi, une EEP comme le Paradis vert fait appel à une EEP de transport pour acheminer ses plantes, ou à une autre pour assurer ses murs. "Des EEP allemandes nous écrivent en français. Nous leur répondons en allemand. Tout le monde apprend à s’organiser, à s’adapter au décalage horaire, à la conversion des monnaies", explique Valérie Mikaelian. Et le système fonctionne aussi grâce à l’investissement du personnel lui-même. Car chaque centime gagné sur sa feuille de paie virtuelle doit être réinvesti dans des EEP. Ainsi, les stagiaires s’offrent des voyages, des montres, des bijoux, du parfum sans jamais y goûter réellement. Mais qu’importe. "Nous avons reconstitué un marché économique parallèle", résume Pierre Trotton.

Aux frontières du réel

À la sortie des entreprises pédagogiques, 65 % des stagiaires en moyenne retrouvent un CDD d’au moins six mois ou un CDI. Mieux, l’EEP se convertit parfois en vivier pour les entreprises de la région. "Certaines nous appellent lorsqu’elles cherchent une secrétaire, par exemple. Elles savent qu’ici, les gens sont mieux formés que derrière une table à écouter passivement un cours, qu’ils sont tout de suite opérationnels", raconte Muriel Frech. Il faut dire que l’EEP cherche à garder le contact le plus intime possible avec l’environnement professionnel. "Chaque EEP possède une ou plusieurs entreprises marraines, explique Pierre Trotton. Ces dernières évaluent en permanence l’efficacité de la structure. Elles accompagnent la recherche pédagogique et offrent souvent des stages à la sortie." De fait, une expérience en entreprise vient clore la formation. Chez Activ’ Services par exemple, les stagiaires réalisent 560 heures en EEP et 140 en entreprise réelle. Atterrissage en douceur pour ces personnages formés aux frontières du réel. Avec, pour bagage, une métamorphose criante de vérité. A 37 ans, Zineb a vécu trois ans de chômage après un accident du travail.

Aujourd’hui, elle suit une formation d’aide-comptable à l’EEP d’Epinay-sur-Seine. "Je n’avais pas travaillé depuis longtemps, je n’étais pas sûre de moi, je ne savais pas me vendre. Aujourd’hui, j’ai repris de l’assurance, je n’ai plus peur de retourner au travail. Car ici on est actif, on doit assumer des responsabilités", confie-t-elle. Preuve de la réussite du modèle : les EEP se diversifient. A l’origine destinées à un public adulte en formation, elles se tournent désormais, sur le modèle allemand, vers de jeunes gens de lycées techniques. L’idée consiste à mêler le terrain au parcours scolaire traditionnel et mieux préparer les jeunes à leur sortie. Enfin, depuis quelques temps, le concept se frotte au milieu carcéral à la prison Bonne Nouvelle de Rouen ou encore à Bapaume, en Picardie.

Seul frein au système, les EEP coûtent cher. En raison de l’espace et du matériel d’abord : "il faut une centaine de mètres carrés , des tables, des chaises, des armoires de rangement, des ordinateurs... ", énumère Pierre Trotton. Du personnel aussi. A la sortie, l’ardoise affiche 7 à 8 euros de l’heure par stagiaire. Résultat, des EEP ferment leurs portes chaque année, en panne de subventions. Ou quand le rêve se heurte à la dure réalité.

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1 commentaire
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  • Xavier DECROCK : Job Academy

    Cette initiative me semble très intéressante. Il est à espérer que les financements publics et les partenariats avec les entreprises soient à la hauteur de l’enjeu.

    L’extension de ce dispositif aux détenus et aux lycéens des lycées techniques est une bonne idée.

    Une question de compréhension sur l’article : il y est dit que le dispositif date de 1870 en Allemagne. Je crois qu’il s’agirait plutôt de 1970, qu’en est-il ?

    Une correction : Bapaume est une ville du Nord-Pas de Calais (du Pas de Calais, plus précisément) et non de Picardie.

    16.08 à 15h37 - Répondre - Alerter
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