Fabien Cousteau, l’homme qui plante des poissons

Quand on explore les fonds marins depuis l’âge de quatre ans et que l’on porte ce patronyme-là, regarder passivement les fonds marins se dépeupler ne fait pas partie des options. Fabien Cousteau vient de fonder l’association à but non lucratif « Plant a fish », « Plante un poisson ».

Terra eco : On connaissait le mouvement « Plant a Tree » qui encourage les communautés à replanter des arbres. Vous venez de fonder l’association « Plant a Fish ». Comment vous est venue cette idée ?

Fabien Cousteau : « J’ai été inspiré par le succès de programmes développés au cours des dernières décennies qui encourageaient les gens à replanter des arbres. Il y a deux ans, à trois heures du matin, je lisais un énième article qui parlait d’un projet de reforestation et précisait qu’une entreprise venait de donner des millions de dollars pour financer ce projet et je me suis dit que planter des arbres c’était bien beau mais qu’il était temps de se souvenir également que les océans occupaient 73% de la surface de la planète. Depuis les années 1950, nous avons perdu 60% de tous les poissons et 90% des gros poissons comme les requins, les espadons et les thons. Et personne ne s’en soucie. D’où mon idée un peu folle de lancer un mouvement visant à “replanter” des poissons. Il s’agit d’un programme éducatif de restauration des océans et d’un mouvement grassroot (d’origine citoyenne, ndlr) car il est temps que nous remontions tous nos manches pour améliorer l’état des océans. »

Vous avez lancé officiellement l’association le 7 juin, la veille de la journée mondiale des océans, en plongeant dans les eaux de l’Hudson pour sensibiliser le public sur le fait qu’il était possible d’élever des huîtres à New York. Comment peut on planter des huîtres dans des eaux sans doute polluées ?

« Pour ce lancement j’ai tenu à associer les élèves de l’Urban Assembly New York Harbor School, un lycée public de New York qui a mis le monde marin au cœur de ses préoccupations, car impliquer des enfants et des jeunes adultes est essentiel. Ces derniers sont après tout les champions de l’environnement. S’il est vrai que le fait de vouloir cultiver des huîtres dans une rivière comme l’Hudson peut choquer, il convient de rappeler que, dans le temps, l’Hudson recensait plus de 9 milliards d’huîtres et qu’aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, New York était un grand centre de commerce mondial d’huîtres. Des études ont déjà souligné qu’il était possible de restaurer la population d’huîtres à condition de s’assurer que l’eau soit suffisamment saine pour les accueillir, les faire vivre et leur permettre de se reproduire. De plus, l’Hudson c’est en quelque sorte mon jardin car je vis dans le quartier de Brooklyn. Mais on peut aussi envisager d’implanter des huîtres dans la Seine si les conditions le permettent ainsi que dans bien d’autres lieux. »

Quelles sont les autres initiatives mises en place par « Plant a Fish » ?

« En Floride nous avons lancé un programme de restauration de la mangrove, un écosystème essentiel puisqu’il s’agit de forêts sous-marines que l’on trouve dans les zones littorales tropicales. Des milliers de poissons, crustacés et autres espèces dépendent de la mangrove pour se reproduire et s’abriter. Nous avons aussi lancé un programme visant à restaurer les coraux grandement menacés en raison du réchauffement de la planète, de l’utilisation de produits chimiques, etc. On connaît assez bien le sujet grâce notamment à mon grand-père et à bien d‘autres. Il s’agit d’une opération plus compliquée que la restauration de mangroves car les coraux sont plus sensibles à des facteurs comme le ph de l’eau, la température, le courant et l’utilisation de produits chimiques mais on a pu démontrer dans certains endroits du monde que si on replantait les coraux, ils pouvaient repousser. Enfin, nous avons lancé un programme au Salvador destiné à protéger la tortue caret, espèce la plus menacée. Les tortues font leur nid dans la mangrove ou sur les plages et sont chassées pour leur carapace, leur chair et leurs œufs. On cherche donc à encourager les gens qui autrefois ramassaient et vendaient les œufs pour gagner leur vie à devenir écolos en participant à notre programme de restauration en échange d’un salaire plus élevé. J’ambitionne au départ de lever un demi-million d’euros pour financer ces quatre programmes mais j’ai bien l’intention d’étendre notre action. Ça me semble bien parti vu le nombre de requêtes que je reçois ces jours ci. »

Quelles réflexions vous inspirent la marée noire qui ravage le golfe du Mexique ? Avez-vous déjà l’intention de lancer des programmes de restauration de la zone dès que les conditions vous le permettront ?

« J’y songe en effet déjà mais le problème est qu’avant de pouvoir faire quoi que ce soit en termes de restauration, il faut parvenir à colmater la fuite et tout nettoyer. Il s’agit d’une catastrophe monumentale et on va payer cela pendant des années et non des mois. Tant qu’on n’arrivera pas à soigner notre addiction au pétrole, nous resterons à la merci d’un tel désastre. A moyen terme, il va falloir tout nettoyer afin d’éviter que le pétrole continue d’étrangler toutes sortes d’espèces. Tout le monde aime parler des tortues et des dauphins mais n’oublions pas le zooplancton, dont dépend toute la vie marine. Il ne faut pas sous-estimer non plus l’impact de la marée noire sur la santé humaine, le pétrole s’étant infiltré dans le système écologique. On va bouffer du pétrole et on ne peut pas le digérer. Cela risque de causer des problèmes de santé extrêmement graves, donc il faut nettoyer ce pétrole qui se trouve dans la colonne d’eau. C’est une tâche monumentale qui va coûter des centaines de milliards de dollars. Ceci dit, on peut quand même tenter de limiter les dégâts. Le passé nous a enseigné que si on laisse la nature respirer, elle peut retrouver sa santé. La seule bonne nouvelle est que ce désastre a attiré l’attention du monde entier et sensibilisé le public américain. Cependant, ma plus grande peur est que les médias soient vite saturés et cessent de parler de l’impact de cette catastrophe. Mon père, Jean-Michel Cousteau, et notre équipe de l’Ocean Future Society tournent dans le golfe depuis avril afin de faire un inventaire et réaliser un documentaire de ce qu’on ne voit pas et de ce que l’on ne nous montre pas. »