Et si les cigarettiers payaient pour leurs mégots ?

On ne jette pas ses canettes par la fenêtre. Ni ses mouchoirs dans la rue. Et pourtant, personne ne semble s’étonner que des milliers de mégots continuent de battre le pavé des grandes villes. S’entassent même davantage dans les caniveaux depuis que l’interdiction de fumer dans les lieux publics a poussé les salariés à s’attrouper devant les bureaux et les clients à la porte des bars. « Paris est une ville très dense, confrontée au problème que représentent les mégots. L’interdiction de fumer dans les lieux publics s’est effectivement traduite par un surplus de mégots jetés dans les rues », abonde le service de presse de la mairie de Paris.

Mais les mégots ne sont franchement pas anodins pour l’environnement. Comme nous vous le disions dans un précédent article, les rebuts mettent environ douze ans à se dégrader, en fonction des conditions de température et d’humidité. Lorsqu’ils finissent dans les égouts ce n’est pas mieux. Des recherches menées par Richard Gersberg, de l’université de San Diego, aux Etats-Unis, ont montré qu’un seul mégot de cigarette pouvait tuer la moitié des poissons nageant dans un litre d’eau en moins d’une centaine d’heures.

70 milliards de mégots potentiellement dans la nature

Des sénateurs d’Europe - Ecologie Les Verts (EELV) ont fait le calcul : « 53 milliards de cigarettes sont vendues chaque année en France dans le réseau officiel des buralistes, et entre 15 et 18 milliards de cigarettes sont achetées à l’étranger mais consommées en France. Il y a donc potentiellement 70 milliards de mégots qui peuvent être jetés chaque année dans la nature en France. » Ces sénateurs-là ont donc décidé d’agir. Ils ont déposé le 11 février une proposition de loi visant à faire peser sur la bourse des fabricants les déchets laissés sur la voie publique. Un peu comme les fabricants d’appareils électriques doivent régler une éco-contribution pour financer la récupération et le recyclage de leurs produits.

Si les sénateurs obtiennent gain de cause, les cigarettiers seront taxés à raison de 0,05 centime par cigarette, soit 1 centime par paquet. « Les gens me disent “Ça ne va pas responsabiliser la bonne personne, celui qui jette le mégot par terre”, précise Jean-Vincent Placé, rapporteur de la proposition de la loi. Mais c’est un dispositif qui vise à intéresser celui qui est riche – soit le cigarettier – à la récupération des mégots. Je considère que ce sont les producteurs de cigarette qui doivent collecter les mégots et les détruire. Il faut trouver un moyen de les inciter à le faire. S’ils le font, la taxe sera levée. C’est l’objectif. » Chez Philips Morris (Marlboro, L&M, Chesterfield…), l’un des plus gros cigarettiers présents sur le marché français, on veut bien de la carotte, pas du bâton : « Nous encourageons plutôt des programmes de recyclage et la valorisation des mégots avec des collectes organisées plutôt que la taxation. »

26,5 millions d’euros par an

Reste un souci : c’est le consommateur qui risque, au bout du compte, de payer la facture. Le rapporteur du texte en est bien conscient : « Les fabricants profitent de ce genre de taxation pour augmenter leurs marges. Ils font monter leur prix de 5 à 10 centimes pour une taxe de 1 centime en disant que c’est à cause du gouvernement », assure Jean-Vincent Placé. Si cela ne coûte rien au fabricant et que ses clients - trop dépendants - restent, sera-t-il malgré tout incité à agir pour collecter ses mégots ? Pas forcément, reconnaît le sénateur. Mais au moins, les villes auront encaissé une petite cagnotte susceptible de les aider à faire face à cette pollution.

« Cette taxe environnementale rapporterait 26,5 millions d’euros par an. Une partie pourrait être reversée aux collectivités locales au travers de la dotation générale de fonctionnement », assure la proposition de loi. « Ça pourrait les aider à mener les travaux de propreté, à installer des éteignoirs. Elles n’ont pas d’argent ! », souligne Jean-Vincent Placé.

35 euros contre un mégot

Les villes n’ont pas attendu une telle loi pour agir contre le fléau des mégots. Lyon a distribué des porte-clefs cendriers, Rennes a lancé une campagne publicitaire en ce début d’année. Et Paris ? Les services de la capitale ont installé 10 000 éteignoirs sur les 30 000 corbeilles de rue à l’automne. Ils permettent aux fumeurs de jeter leurs mégots sans enflammer la poubelle, comme le montre la photo ci-dessous.

La mairie a aussi à sa disposition le bâton de l’amende. Jeter un mégot peut, en théorie, vous coûter 35 euros. Pour l’instant « dans les faits, nous faisons preuve d’indulgence », assure le service de presse de la mairie. « Notre logique est la suivante : lorsque les fumeurs disposeront de solutions d’élimination de leurs mégots – c’est-à-dire lorsque nous aurons installé 30 000 éteignoirs dans Paris (soit un sur chaque poubelle, ndlr) – ils n’auront plus d’excuses pour polluer, et nous sévirons. » Et le bâton risque de se faire encore plus sévère, soulignent les autorités de la capitale : « L’an dernier, Bertrand Delanoë (le maire de Paris, ndlr) a écrit au ministre de l’Intérieur pour lui demander que soit réévaluée l’amende, de 35 à 68 euros. »