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29-06-2009
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Justice
Europe

En Norvège, la prison prend la clé des champs

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Le premier centre pénitentiaire écologique au monde a banni barbelés, murs infranchissables et cellules. Sur l’île de Bastøy, les détenus apprennent à vivre en accord avec les autres et la Terre. Et c’est au jardin, à la pêche ou à la scierie qu’ils préparent leur sortie.
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Le lieu est idyllique. L’île, classée réserve naturelle, baigne dans le fjord d’Oslo, à 70 km environ au sud de la capitale norvégienne. Plus de 2,5 km2 de champs, de plages et de forêts, parsemés d’habitations en bois colorées. L’œil averti y cherche un barbelé, un mirador. Mais à l’entrée de ce petit coin de paradis, seule une pancarte, accrochée au pignon d’une grande bâtisse rouge, informe le visiteur qu’il vient de pénétrer sur l’île de Bastøy, une « arène pour le renforcement de la responsabilité ». Bienvenue dans la première prison écologique du monde, un établissement hors du commun, au sein duquel 115 détenus en fin de peine préparent leur remise en liberté.

Depuis le petit port d’Horten, à l’ouest de l’île, la traversée en ferry dure une quinzaine de minutes. Deux prisonniers, accompagnés d’un garde, sont à la barre. Ce jour-là, une vingtaine d’enfants d’une classe maternelle d’Horten sont aussi du voyage. Ils se rendent à Bastøy pour assister à la première sortie des agneaux dans les champs. « Organiser une excursion scolaire en prison, c’est assez inhabituel », s’amuse la chef du personnel de la prison. Mais « les gardes n’auraient jamais autorisé la visite s’il y avait le moindre danger », rassure-t-elle.

Meurtres ou crimes sexuels

A leur arrivée, les enfants sont accueillis par un groupe de détenus, venus les chercher en charrettes. Les marmots sont aux anges. Devant la bergerie, une trentaine de prisonniers, de gardes et d’employés de l’administration se sont rassemblés pour assister au spectacle. A l’ouverture des portes, les agneaux déguerpissent à tout va. Affolés par leur liberté soudaine, certains font même volte-face et s’empressent de regagner la bergerie.

Aux premières loges, le directeur, Nilsen Arne Kvernvik, y voit une parfaite métaphore de ce qui attend les résidents de Bastøy à leur libération. Psychothérapeute de formation, ancien chef d’un service de mise à l’épreuve, il a atterri sur cette île en août 2008. Pour lui, les établissements pénitentiaires de haute sécurité sont une aberration : « En enfermant les gens comme des animaux et en les privant de toute responsabilité, ces prisons font énormément de mal. Ici, nous soignons les blessures causées par le système pénitentiaire. »

Avant de débarquer sur l’île, la quasi-totalité des détenus ont séjourné entre les murs de ces établissements de haute sécurité. Certains pour des délits mineurs. La plupart, cependant, « ont commis des crimes très sérieux et écopé des peines les plus lourdes qui existent », observe Nilsen Arne Kvernvik. Plus de la moitié ont été condamnés pour meurtre ou crime sexuel.

Très nombreuses, les demandes de transfert vers Bastøy sont donc examinées à la loupe. « Ce ne sont pas les crimes qui nous intéressent, mais la motivation des candidats et les risques d’évasion qu’ils posent », souligne le directeur de l’établissement. Car à Bastøy, les prisonniers vont et viennent à leur guise. Et si les gardes effectuent régulièrement des comptages, aucun d’entre eux n’est armé et ils ne sont souvent que cinq sur l’île la nuit. Cependant, les tentatives d’évasion s’avèrent extrêmement rares. Personne ne semble d’ailleurs se souvenir à quand remonte la dernière.

« L’île de l’espoir »

Avant d’être transformée en prison en 1984, l’île a abrité pendant plus d’un siècle une maison de redressement. Celle-ci a fermé ses portes en 1967. Au ministère de la Justice à Oslo, on assure que Bastøy n’a « rien d’atypique », si ce n’est son emplacement sur une île. « C’est le symbole de ce que le gouvernement actuel essaie de faire, en ouvrant les prisons et en augmentant le nombre d’établissements à basse sécurité », affirme le secrétaire d’Etat à la Justice travailliste, Eirik Øwre Thorshaug. Mais quoi qu’on en dise, Bastøy n’est pas un centre de détention ordinaire.

Depuis 1996, on y pratique l’écologie humaine. A l’époque, la direction de l’établissement s’était donné dix ans pour en faire la première prison écologique du monde. Onze ans plus tard, la mission est réussie. En 2007, le ministre norvégien de la Justice, Knut Storberget, inaugure en grande pompe ce qu’il a baptisé « l’île de l’espoir ».

En une décennie, la prison est parvenue à réduire sa consommation d’électricité. Des panneaux solaires ont été posés sur plusieurs habitations. Des chaudières à bois, brûlant les arbres de la forêt voisine, ont remplacé les vieilles chaudières à mazout. Dans les champs, seuls des engrais biologiques sont utilisés, tandis que la plupart des tracteurs ont été troqués contre des chevaux de ferme. Ceux qui restent ne rouleront bientôt plus qu’aux agrocarburants.

L’évasion, c’est simple comme un coup de fil

Mais selon Staale Fevang, responsable du matériel agricole sur l’île, l’essentiel se trouve ailleurs. Quand ils pénètrent à Bastøy, les détenus sont initiés aux principes de l’écologie humaine. « C’est l’idée selon laquelle la Terre ne nous appartient pas, mais que nous appartenons à la Terre », résume le contremaître, empruntant une phrase du chef indien Seattle, qui a inspiré la transformation de l’île. Quand Øyvind Alnæs, l’ancien directeur de la prison, était encore en poste, il expliquait : « Si les détenus sont là, c’est parce qu’à un moment dans leur vie, ils n’ont pas réfléchi aux conséquences de leurs actes. A Bastøy, nous leur enseignons au contraire qu’ils ont une responsabilité à l’égard des autres et de la nature qui les entoure. »

Et cet enseignement débute dès qu’ils posent un orteil sur l’île. Avec une exigence : en cas d’évasion, les fugitifs sont priés d’appeler la prison une fois arrivés sur la terre ferme, pour éviter que des recherches en mer ne soient lancées. Une façon de faire comprendre aux hommes qu’ils sont responsables les uns des autres.

A Bastøy, les « habitants » vivent à cinq ou six dans de petites maisons. Le règlement est simple : ils doivent se réveiller, prendre leur petit-déjeuner et arriver à l’heure à leur poste. Tous sont régulièrement soumis à des tests antidrogue. Une incartade, et ils risquent l’expulsion. « Mais contrairement aux établissements traditionnels, nos sanctions ne sont jamais automatiques, ni définitives », précise le directeur, qui veut éviter « une infantilisation des détenus ».

Des brebis après les stupéfiants

Ils touchent un salaire mensuel modique, qui leur permet notamment d’acheter de la nourriture au magasin de l’île. Les activités proposées sont variées. Des enseignants viennent régulièrement sur l’île dispenser des cours. Les détenus peuvent choisir de travailler dans les champs, à la scierie, à la cuisine, au magasin, sur le ferry et même sur le petit bateau de pêche de la prison. Ou encore auprès des animaux : l’île compte 7 chevaux, une quarantaine de brebis, 65 agneaux, une vingtaine de vaches, autant de veaux et 200 poules.

Asbjørn Fløtten supervise un petit groupe de détenus affectés au travail des champs. L’un d’entre eux, la soixantaine passée, plante des oignons dans un sillon fraîchement creusé. « Le jardinage ne convient pas à tout le monde, mais certains y prennent goût », assure le contremaître. Devant la serre, un gaillard grille une cigarette. Il vient de repiquer des semis de tomates, de salades et d’herbes aromatiques. Les légumes cultivés sont utilisés à la cuisine. Le reste est vendu au magasin de l’île. Geir (1), 26 ans, travaille à la bergerie. Il a débarqué en février à Bastøy, après cinq mois passés dans une prison de haute sécurité pour trafic de stupéfiants. Il s’est levé à 6 heures ce matin. Et la journée promet d’être longue. Mais il ne se plaint pas. Au moins, il est au grand air. Et puis, il profite de son « séjour » sur l’île pour poursuivre une formation agricole, commencée avant son incarcération.

Liberté insupportable

A ses côtés, Kaare observe un agneau qui vient de naître. Ce père de famille de 38 ans a été condamné à deux ans de prison pour fraude fiscale. Il travaillait dans la vente. Après un an passé dans un établissement de haute sécurité, il a obtenu son transfert à Bastøy en février. Depuis, il conduit un tracteur. « Le système carcéral n’est pas humain, dit-il. Ici, c’est différent. » Sa famille vient souvent lui rendre visite. Et il apprécie son travail.

Pourtant, Bastøy ne convient pas à tout le monde. Certains ne supportent pas cette forme de liberté ni les responsabilités qu’il leur faut endosser. Et demandent à être renvoyés dans un établissement fermé au bout de quelques jours. Mais ceux qui restent, remarque Staale Fevang, ne sont plus les mêmes après quelques semaines passées sur l’île : « Quand ils arrivent, ils ne saluent pas, ils ont du mal à entrer en contact. Au bout de quelques semaines, ils se transforment. L’endroit les change. » Marius est arrivé il y a deux semaines. Il a été condamné à un an et demi de prison pour une bagarre qui a mal tourné. Il trouve le temps long à Bastøy, notamment les week-ends. Mais il commence à s’y faire. Et puis surtout, « rien n’est pire que d’être enfermé dans une cellule vingt-trois heures par jour ».

Pas d’assurance antirécidive

Les partisans d’une logique sécuritaire fustigeront sans doute le laxisme de Bastøy. Nilsen Arne Kvernvik s’en moque. En Norvège, la peine d’emprisonnement maximale fixée par la loi est de vingt et un ans. Même les pires criminels sortiront donc un jour de prison. « Par conséquent, l’intérêt de la société n’est pas tant de punir, que de s’assurer qu’une fois remis en liberté, les gens qui ont commis des crimes, n’en commettront pas de nouveau », souligne le directeur. Certes, rien n’assure contre la récidive. Mais à Bastøy, tout est mis en œuvre pour l’éviter. Aucun détenu n’est relâché sans logement. Et bientôt sans travail. L’Agence nationale de l’emploi va détacher deux conseillers à plein temps sur l’île.

« On pourrait croire que tout cela nécessite beaucoup d’argent, mais c’est faux. Bastøy coûte en moyenne un tiers de moins que les autres établissements pénitentiaires », assure Nilsen Arne Kvernvik. Selon une étude du Bureau norvégien des statistiques, 60 % des 31 410 personnes inculpées en 2000 pour des crimes sérieux ont récidivé dans les cinq ans qui ont suivi. A Bastøy, 43 des 144 prisonniers relâchés en 2004 ont de nouveau été incarcérés dans les quatre ans, soit 30 % d’entre eux. Au ministère de la Justice, on met en garde contre des conclusions trop hâtives mais on reconnaît que les chiffres de la prison sont bons. 

(1) Les prénoms des détenus ont été changés à leur demande.

Photos : Fredrik Naumann - Panos-Rea


L’ÉTABLISSEMENT DE BASTØY EN CHIFFRES

  • Des 25 prisons basse sécurité du pays, Bastøy est la plus grande.
  • 115 détenus, dont la moyenne d’âge s’élève en moyenne à 38 ans.
  • Plus de 50 % d’entre eux ont été condamnés pour des actes de grande violence, 10 % environ pour trafic de stupéfiants, et le reste pour des affaires de corruption ou de conduite en état d’ivresse.
  • Cinq ans de prison, c’est la peine moyenne des détenus de Bastøy.
  • Un an et trois mois, c’est la durée moyenne qu’ils passent sur l’île.
  • 69 personnes y sont employées par l’administration pénitentiaire, dont une trentaine de gardes.

- En Norvège, les prisons s’ouvrent

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