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29-06-2012
Mots clés
Consommation
France
Monde
Interview

« Dans les temps de crise, on est amenés à inventer de nouvelles solutions »

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« Dans les temps de crise, on est amenés à inventer de nouvelles solutions »
(Crédit photo : Frédéric Stucin pour « terra eco »)
 
Lancer des « contributions-temps » sur le modèle des travaux d’intérêt général, rompre le cercle vicieux de la croissance soutenue par la dette, miser sur la transition écologique et la redynamisation des territoires… Face à la crise, voilà quelques-unes des idées enthousiastes du philosophe Patrick Viveret. Entretien.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Covoiturage, troc, bricolage… Ces innovations sont positives pour la société mais pas pour le produit intérieur brut français. Comment sortir de ce paradoxe ?

Cela confirme que notre société n’est pas capable de mesurer et percevoir ses vraies richesses. L’outil actuel de mesure de la richesse, le produit intérieur brut (PIB), a deux inconvénients. D’une part, il prend en compte des flux monétaires et financiers qui sont des nuisances et, d’autre part, il ne tient pas compte des vraies richesses. Ainsi, le covoiturage ou la prévention sanitaire réduisent le PIB. Alors qu’une intervention chirurgicale lourde ou des achats massifs de véhicules neufs vont le faire augmenter. Il faut changer cet outil de mesure – qui nous emmène dans la mauvaise direction – et mener un vaste audit des richesses réelles.

Comment conduire un tel audit ?

Il faut revenir au sens premier du mot bénéfice, qui veut dire bienfait, avant de vouloir dire profit. Plus concrètement, on doit commencer par exploiter un certain nombre de données déjà existantes. Je pense par exemple aux indicateurs de santé sociale, aux bilans carbone, à l’outil d’empreinte écologique, à celui de « budget-temps » édité par l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) ou encore aux différentes enquêtes de santé… En ayant de meilleures informations sur les richesses réelles, on pourrait favoriser les activités bénéfiques via l’incitation fiscale, et faire l’inverse pour les activités nuisibles. Cela reviendrait à bâtir un vaste système de bonus-malus à l’échelle européenne, pour donner à nouveau du sens à l’économie.

Pourtant, ces dernières semaines, l’Union européenne a mis l’accent sur la réduction de sa dette et semble parier nettement sur l’austérité…

Une partie de l’Europe, avec l’Allemagne, mise actuellement sur une politique de monnaie rare et d’austérité, risquant de mener à une déflation. Cette austérité est l’inverse de la sobriété qu’il faudrait rechercher. Là où la sobriété vise à limiter les excès et les gaspillages, l’austérité détruit nos richesses, comme la santé ou l’éducation. J’aime l’image du prix Nobel d’économie Paul Krugman, qui compare nos programmes d’austérité – menés pour ces nouveaux dieux courroucés que sont les marchés financiers – à ces sacrifices humains pratiqués par les Mayas pour apaiser la colère du dieu Soleil ! Les résultats sont tout aussi édifiants.

Ce message est-il audible en situation d’urgence, alors que trois pays européens ont dû faire appel à l’Europe pour renflouer leurs caisses ?

L’Europe se trompe de priorités. Elle répète les erreurs faites au début de la crise financière, en 2008, aux Etats-Unis, où l’on a utilisé l’argent public, non pour sauver les ménages américains à la rue mais pour rembourser les banques qui – via les CDS (1) – avaient parié sur la faillite de ces ménages et sur celle de l’assureur AIG. L’Europe fait encore tout pour sauver ses banques, mais ces sauvetages ne bénéficient pas aux gens, et des milliers d’Européens basculent encore dans la misère. Or, on ne peut garantir un minimum pour tous si l’on accorde un soutien inconditionnel à certains mastodontes. Il y a en Europe des centaines de milliers d’êtres humains qui voudraient travailler et d’énormes besoins et manques auxquels il faudrait subvenir. C’est ce lien entre ces deux besoins essentiels que l’on doit retrouver.

Jusqu’à aujourd’hui, le chômage ne baisse que lorsque le PIB augmente, et vice versa. Quelles solutions préconisez-vous ?

Je tiens à rappeler un chiffre. Entre 1820 et 1960, dans le monde, la productivité a doublé. Entre 1960 et aujourd’hui, elle a été multipliée par cinq ! Mais, au lieu de bénéficier à tous, cette énorme accélération s’est traduite par un chômage de masse, tant et si bien que la durée effective du travail ne cesse de baisser en France, en Allemagne, en Espagne… Il faudrait désormais cesser de penser que le temps, c’est de l’argent. L’argent n’est qu’un sous-ensemble du temps, il n’est que la mobilisation du temps de travail humain. Il faudrait revenir à la possibilité d’échanger du temps, notamment dans le cadre d’un service civique intergénérationnel. L’Etat pourrait également accepter des « contributions-temps » venant des personnes qui ne peuvent régler certaines sommes, comme il accepte déjà des travaux d’intérêt général dans un cadre punitif. C’est un projet qui permet de réduire les inégalités, puisqu’une journée dure vingt-quatre heures pour tout le monde, que l’on soit riche ou pauvre !

Face à l’échec des dirigeants européens, les solutions peuvent-elle, selon vous, venir des régions en crise ?

C’est en effet dans les moments de crise que l’on est amenés à inventer de nouvelles solutions. Ainsi, c’est dans les années 1930 que les maires ont commencé à mettre en place des monnaies sociales. Aujourd’hui, leur émergence nouvelle – notamment à Toulouse, où le « sol-violette » est un succès – montre qu’elles sont une réponse contre l’économie spéculative, et qu’elles permettent de retrouver l’économie réelle. Les Pays-de-la-Loire ont déjà commencé à tenter de mettre en œuvre un audit de leurs propres richesses réelles. Il faut partir de ces initiatives locales pour passer à une échelle bien plus ambitieuse.

La France peut-elle être à la pointe de ce mouvement ?

Elle a en tout cas une fenêtre de possibilité pour recentrer en profondeur sa politique économique. Il faut rompre le cercle vicieux des délocalisations, des inégalités sociales et de la croissance soutenue par la dette, en misant sur la soutenabilité écologique et la redynamisation des territoires. La future banque publique d’investissement annoncée par François Hollande pourrait prendre la responsabilité de ce virage, en réalisant l’audit des richesses réelles et en supervisant le développement de monnaies sociales. Il faudra en tout cas articuler ces projets avec des approches plus classiques, à commencer par une lutte effective contre les paradis fiscaux. Le scandale de l’évasion fiscale coûte au moins 200 milliards d’euros par an à l’Europe. L’indignation sur ce sujet est internationale, les dirigeants du G20 ont reconnu le problème mais, pour l’instant, rien de sérieux n’a été fait.

Avez-vous eu des contacts avec le gouvernement à ce sujet ?

Certains membres sont sensibles à ces solutions. Arnaud Montebourg, le nouveau ministre du Redressement productif, s’est penché sur l’idée d’un audit des richesses réelles. En temps que maire, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a soutenu un projet de monnaie sociale à Nantes, sur le modèle du WIR en Suisse (une monnaie complémentaire interentreprises, ndlr). Ce sont des signaux encourageants. —

(1) Les « Credit default swap » ou CDS sont des contrats d’assurance. Ceux qui les contractent payent une somme annuelle à l’institution qui les émet, qui, en contrepartie, s’engage à leur verser une prime en cas de faillite de la société ou de l’Etat concerné. Souci : on peut contracter des CDS sans détenir d’actions ou d’obligations de ces entreprises ou de bons du Trésor de ces Etats – comme si l’on s’assurait pour une maison que l’on n’a pas – et on peut les acheter ou les revendre à tout instant. Tous les ingrédients d’un joli cocktail spéculatif !


En dates

1948 Naissance

1972 Professeur de philosophie et proche du Parti socialiste unifié, il dirige Tribune socialiste, puis fonde la revue Faire

1990 Entre à la Cour des comptes comme conseiller référendaire

2001 Chargé de piloter la mission « Nouveaux facteurs de richesse », qui accouchera du livre Reconsidérer la richesse (Editions de l’Aube, 2004)

2005 Publie Pourquoi ça ne va pas plus mal ? (Fayard)

2009 Anime le Fair (Forum pour d’autres indicateurs de richesse)

2011 Publie De la convivialité (ouvrage collectif, La Découverte)

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Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

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RÉPONSES DE LA RÉDACTION
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  • Je retiens deux points clefs de cet interview :
    - PV pense que le PIB est un instrument stupide qui n’est plus apte à aider qui que ce soit dans la situation actuelle. Je suis en total accord avec son analyse. L’utilisation de cet indicateur contribue à amplifier la crise (enfin sauf pour les "profiteurs").
    - PV pointe la confusion entre "bénéfices" et "profit". Là aussi je suis en accord. J’irai même plus loin, je crois que "bénéfices" sera toujours dans une dimension plurielle. Il peut y en avoir de plusieurs types sans qu’ils soient en opposition (bénéfices sociaux, sociétaux, culturels, etc...) mais aussi avec une distribution large entre, acteurs directs ou destinataires, voire même ausii pour nos environnements (biosphères, familles, ...) "bénéficiaires" au 2° degré. On est dans une approche humaniste et de partage.
    Au contraire, "le profit financier" et bien plus unique et de distribution limitée. On est là dans une approche de rareté organisée, base d’un monde de "classes".

    23.07 à 15h36 - Répondre - Alerter
  • Tout-à-fait d’accord : une approche focalisée exclusivement sur l’argent est une ânerie dangereuse. Il faut même aller plus loin : toute approche REALISTE (dans n’importe quel domaine) doit être GLOBALE. Par exemple, ne pas seulement tenir compte du présent, mais le mettre en perspective avec l’historique et le futur ; éviter le piège de l’anthropocentrisme et prendre en compte l’équilibre indispensable entre les formes de vie (sociale, animale, végétale, géologique et même sidérale, vu la quantité de pollution déjà présente dans l’espace)
    Principal obstacle à la lucidité : un égocentrisme à courte vue, immature et généralisé. Et hélas, je n’ai pas l’embryon d’une solution à cet état de fait...

    22.07 à 12h59 - Répondre - Alerter
  • lamoule : Très intéressant

    Ceci dit si la productivité s’est traduite par le chômage de masse, c’est du fait de la concurrence mondiale.

    A moins de revenir à un semblant de protectionnisme intelligent au niveau européen, point de salut.

    20.07 à 12h49 - Répondre - Alerter
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