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Dans les cales du Queen Mary 2 (suite)

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...Plus loin, au détour d’une allée, on croise André, 58 ans, les bras constellés de tatouages, la moustache et le regard fiers. Ancien "pistoletteur-sableur" chez un sous-traitant de la navale, il a été déclaré "usé" par la médecine du travail il y a deux ans. Puis, mis à la retraite avec pour pension l’équivalent d’un tiers de son salaire. Conséquence, lui, son épouse Pascale et leurs deux enfants ont dû vendre leur maison pour s’installer en mobil-home. Pourtant, Dédé se considère privilégié. "On a fait venir ici des gens d’autres régions et on les a sous-payés. Maintenant, ils sont coincés ici et doivent chercher du travail. Nous, on a au moins la pension", dit-il. Et puis, ses enfants s’en sortent. L’aînée, Mélanie, ancienne secrétaire au chômage, a entrepris avec succès sa reconversion dans la soudure, grâce à une formation proposée par un sous-traitant des Chantiers et financée par les collectivités locales. Quant au cadet, Ludwig, après avoir ratissé les agences d’intérim en compagnie de son père, il vient de décrocher une mission d’électricien. Avec peut-être un CDI à la clé.

Avec un peu de chance, ceux-là ne connaîtront pas la peur du lendemain. D’autres ont préféré quitter Saint-Nazaire, effrayés par l’absence de perspectives. Au-delà de la question des carnets de commandes, d’autres encore, s’inquiètent d’une réalité plus insidieuse : la chute des prix. Talonnée sur le marché des méthaniers par des chantiers sud-coréens lourdement subventionnés, l’entreprise Alstom Marine est en concurrence avec trois autres chantiers européens : le finlandais Kvaerner Masa-Yards, l’italien Fincantieri et l’allemand Meyer Werft. Pour décrocher la construction du Queen Mary 2, les Chantiers ont dû se contenter d’un chèque de 800 millions de dollars. Cette somme en apparence rondelette n’a guère laissé de marge de manœuvre financière. Il a fallu serrer les boulons, tirer sur les délais. "On a bien senti la pression. Le directeur financier a lâché ses équipes de jeunes "chasseurs de coûts" pour négocier les rabais avec les fournisseurs", insiste Marc Ménager, de la CFDT.

Concurrence en cascade

Pour gratter quelques économies, le bulbe du transatlantique a été fabriqué en Allemagne et en Pologne. Les prix des marchés de sous-traitance ont été compressés et les Chantiers ont reporté une partie de leurs frais généraux sur leurs fournisseurs. "On nous demande de fournir de plus en plus de services pour le même prix", explique Frédéric Lefèvre, responsable de l’entreprise Vediorbis. Un exemple parmi d’autres, la visite de sécurité - une heure trente de formation obligatoire pour les nouveaux employés des sous-traitants travaillant sur le site - est désormais facturée 20 euros par les Chantiers. De même, avant toute mission, les travailleurs intérimaires se voient remettre un carton rectangulaire : la liste des équipements de sécurité obligatoires. Bleus de travail, ciré, casque, lunettes de protection, lampe de poche... "Avant même leur première heure de travail, on doit déjà sortir 60 euros de notre poche", explique une employée en agence d’intérim. "Dans ces conditions, nous sommes obligés de répercuter, à notre tour, la baisse des prix sur nos fournisseurs, qui l’appliquent à leur tour à leurs salariés et fournisseurs", explique Chantal Curutchet. Exercée sur la tête des Chantiers, la concurrence internationale diffuse ainsi sa règle en cascade dans l’ensemble du tissu économique de la navale. Salariés, patrons d’entreprises de sous-traitance, responsables d’agences d’intérim, syndicalistes, tous témoignent de cette pression sur les prix et sur les objectifs, qui rend le travail de plus en plus rugueux. "En période faste, on se rattrape sur les volumes, mais en période creuse nous allons souffrir", redoute Frédéric Lefèvre.

"Nous ne sommes pas une pieuvre tentaculaire"

Cette tension sociale se ressent aussi dans l’enceinte des chantiers, où les relations de compagnonnage entre sous-traitants, ont laissé place à des rapports clients-fournisseurs, avec mise en concurrence systématique. Pour la CGT, l’appel à la main d’œuvre étrangère qualifiée (mais payée au Smic) en est l’aboutissement. Doublée d’incidents avec quelques sous-traitants sans scrupules (Avco, Klass Impex), cette pratique aurait fait d’Alstom Marine un "laboratoire de l’esclavagisme des temps modernes". L’expression fait bondir la direction des Chantiers. "Nous ne sommes pas une pieuvre tentaculaire qui étrangle son réseau, car si c’était le cas, aucun sous-traitant ne voudrait travailler avec nous", objecte Philippe-Bouquet Nadaud, le directeur des ressources humaines de l’entreprise. La Direction du travail elle-même tempère les humeurs cégétistes, sans pour autant minimiser les incidents survenus avec les salariés indiens et roumains. "Nous avons dû mettre fin à des situations illégales et inacceptables, qu’elles aient été marginales ou non n’est pas le problème", précise Marc Ameil, le responsable de la Direction départementale du travail (DDT) de Loire-Atlantique. Un peu dépassées par l’afflux de travailleurs étrangers sur le Queen Mary 2, ses équipes ont été renforcées, et ont dû potasser les textes officiels. "D’une façon générale, le recours à la sous-traitance nécessite une présence quasi-constante de nos services sur les chantiers", dit-il.

"Croire aux paquebots, ou crever"

Face aux difficultés, le syndicat CFDT a adopté une attitude moins frontale que la CGT, mais non dénuée d’inquiétudes. "Il ne s’agit pas de nier les difficultés, souligne Marc Ménager. Mais il y a deux attitudes. Soit on cherche à s’accaparer la misère. Soit on prend acte de la dure réalité de ce monde, et on tente de l’encadrer strictement pour ne pas dériver vers l’invivable. La pression, on la ressent, c’est vrai. Mais compte tenu de la concurrence acharnée entre les constructeurs européens de paquebots, c’était ça ou devenir un petit chantier de 3000 personnes." Ainsi vogue Saint-Nazaire, un pilotage subtil fait de combats et de compromis. Bien consciente du fait que le Queen Mary 2 a changé le visage de la navale, et pas seulement pour le meilleur, la ville entière redemande "du paquebot". "Il faut y croire, lâche Marc Ménager. Sinon on crève".

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