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6-07-2006
Mots clés
Société
Asie Et Océanie

Cyber-opium

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En Chine, les jeux vidéo gagnent la population à une vitesse folle. Pragmatique, le gouvernement tente de protéger cette poule aux œufs d'or en gardant un œil sur l'image, les mœurs et l'étiquette d'origine.
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Dans une pièce sombre où flotte un tenace parfum d’encens, l’esprit de Li Shan est sur le point de quitter la réalité. Ce jeune Chinois de 24 ans est entre les mains de Kelsang Tsering, psychologue tibétain. La mission de ce dernier : user de l’hypnose traditionnelle pour redonner à ses patients dépendants des jeux vidéo, les clefs de la sociabilité. Le psychologue a ouvert le premier centre du pays dédié à la désintoxication des drogués du Web à Chengdu, la capitale du Sichuan, dans le sud-ouest de la Chine. "Ces jeunes désertent une réalité qu’ils jugent trop difficile pour accomplir des exploits virtuels plus valorisants, explique Kelsang Tsering. J’assimile cette accoutumance à celle de l’opium et, selon moi, un joueur en ligne sur cinq est victime de ce fléau !"

Plusieurs affaires liées aux jeux vidéo ont en effet ému l’opinion publique comme la mort de deux jeunes écrasés par un train après une nuit blanche passée sur le jeu de guerre Counter-Strike ou le meurtre d’un adolescent qui avait volé l’épée virtuelle d’un de ses partenaires de jeu. Montés en épingle par les médias nationaux, ces faits divers ont rapidement fait réagir la société et les autorités chinoises. Dernier développement en date, le distributeur du jeu Warcraft en Chine passe devant les tribunaux après qu’un jeune de 13 ans s’est jeté du haut d’une tour en 2004 pour, explique-t-il dans une note posthume, "rejoindre [ses] héros".

En 2005, la Chine comptait 26 millions de joueurs en ligne : le résultat d’un essor fulgurant. Recettes générées : 467 millions de dollars américains, progressant de 30 % par rapport à l’année précédente, soit deux fois plus que le marché local du cinéma. Objectif : 1 milliard de dollars de recettes dès cette année. L’Europe figure naturellement loin derrière avec 140 millions de dollars générés par cette industrie en 2004, dont 20 millions en France.

Pour Julien Le Bigot, directeur marketing de l’antenne chinoise d’Ubisoft, "les jeux en ligne explosent à l’excès en Chine. En revanche, le marché des jeux PC chute et les consoles ne décollent pas en raison d’un piratage acharné. » Selon lui, "la tendance actuelle pousse vers des jeux en réseau avec un nombre de joueurs et un temps de jeu réduits". Joueurs chinois et occidentaux se montrent différents dans leurs pratiques. Les Asiatiques jouent plus distraitement qu’en Europe, mais sur des durées plus longues. "Pour un jeu comme Everquest, par exemple, poursuit le marketeur, le temps de connexion moyen était de 7 heures au moment de sa sortie, pratiquement deux fois plus qu’en Occident."

Pour jouer, il faut être connecté. En Chine, le Web s’est tout d’abord propagé via les cybercafés - wangba - jusque dans le moindre bourg de campagne. "C’est seulement depuis deux ou trois ans que les lignes haut débit à domicile se multiplient", commente Wen Lingxia, manager d’un cybercafé pékinois. La progression exponentielle des jeux en ligne est donc rythmée par celle des cafés Internet - on en comptait 110 000 en 2005 - et par l’équipement des 111 millions d’utilisateurs chinois du Net. Les wangba n’ont pourtant pas la vie facile. A contre-pied des échos souvent relayés par la presse internationale, les fermetures de cybercafé directement orchestrées par la censure politique s’avèrent marginales. De fait, la censure a lieu en amont, au niveau des serveurs et des moteurs de recherche comme Google, qui doivent montrer patte blanche avant de pouvoir s’implanter en Chine.

Cependant, depuis 2002, le gouvernement a engagé des campagnes très agressives pour l’application des normes de sécurité. De plus, dans le sillage de l’entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les autorités ont mis en place des actions d’envergure contre l’utilisation de logiciels piratés. Les fermetures de plusieurs dizaines de milliers de wangba ces dernières années ont aussi permis au gouvernement de favoriser l’émergence de chaînes nationales de cybercafés, bien plus faciles à contrôler depuis Pékin. "La situation rappelle celle des start-up en France à la fin des années 1990. Tout le monde voudrait bien éditer des jeux en ligne, s’introduire au Nasdaq et empocher le pactole !", s’amuse Julien Le Bigot.

Totale concurrence

Le gouvernement chinois n’hésite pas à épauler ses poulains. Quatre zones d’incubations dédiées aux jeux en ligne sont sorties de terre : à Pékin, Shanghai, Canton et Chengdu. L’objectif était précis : sortir le marché chinois des griffes de la Corée, qui contrôlait 60 % du secteur il y a deux ans. Pékin peut crier victoire. Un tiers seulement de cette industrie est aujourd’hui sous mainmise coréenne. La Chine multiplie ainsi les mesures protectionnistes.

A l’exception d’Ubisoft, pionnier dans ce pays et donc détenteur d’une licence d’exploitation de ses propres jeux sur le territoire, les entreprises étrangères sont contraintes de transiter par un comité de censure et de s’associer avec un éditeur "local", chargé d’exploiter le jeu et de lui reverser des dividendes. Les acteurs chinois bénéficient ainsi d’un transfert de technologies et de savoir-faire, sans trop avoir à craindre la concurrence extérieure. A l’inverse, les firmes étrangères profitent d’avantages fiscaux pour s’implanter. Dans une économie à deux vitesses où les droits des affaires et du travail balbutient, c’est la concurrence totale qui fait loi.

Trois éditeurs locaux cotés au Nasdaq tiennent le haut du pavé : Shanda Networking, The9 et NetEase. Galvanisé par ses succès, Shanda commence même à proposer des jeux en ligne gratuits afin d’asseoir son audience. De son côté, le fondateur de NetEase explique que ce marché "rapporte des millions de dollars même en dormant !". Des attitudes jugées irresponsables par Kelsang Tsering, qui estime que les éditeurs s’enrichissent avec "des jeux souvent violents, qui consistent à se battre dans des schémas préétablis et répétitifs Alors que des jeux de qualité pourraient développer l’imagination, l’intelligence et la socialisation".

Politiquement correct

Mais le gouvernement chinois veille. Un jeu représentant Taïwan comme un territoire japonais sera naturellement flanqué de l’étiquette de "terroriste". Des campagnes de "communication" très ciblées contre "la violence, la pornographie et la déconnexion de la vie réelle" sont par ailleurs bombardées. Pékin appuie aussi sur la touche créative. Après la coercition, en obligeant notamment les cybercafés à couper le courant la nuit et durant les heures de cours, ou en les bannissant des abords des écoles et lycées, il tente de passer en douceur.

Fin 2004, un programme de 100 à 200 millions d’euros sur quatre ans a été lancé par les autorités. Objectif : pousser l’industrie à produire des jeux vertueux mettant en scène les épopées de la Chine comme celle de Leifeng, héros communiste sacrifié pour sauver des enfants. Malgré l’effort financier, le succès n’est pas au rendez-vous. Ces jeux sont jugés peu stimulants par le public qui "aime les jeux où l’on tue !", comme le confirme le jeune Zhao Peng, 16 ans. Mais Pékin ne baisse pas les bras. A l’automne dernier, une nouvelle offensive a vu le jour pour faire face à la "déconnexion de la vie réelle".

L’idée est de pénétrer le jeu, pour frapper là où ça fait mal : les points d’expérience ! Au bout de trois heures de jeu consécutives, le joueur commence à perdre des points. Après cinq heures, son crédit est épuisé. Pour rebondir, il doit faire une pause d’au moins cinq heures avant de pouvoir continuer. Mais la mesure n’a pas suffi. Après les protestations de nombreux joueurs, le gouvernement a fait marche arrière : les pauses ne seront obligatoires que pour les mineurs. La partie ne semble donc pas gagnée pour un gouvernement chinois, qui cherche par tous les moyens à dompter ce cyber-opium fort lucratif.

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