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Climat : la longue route vers un accord mondial

Par Thomas Matagne

Climat : petits arrangements français avec les financements

Climat : petits arrangements français avec les financements
(Crédit photo : fdecomite/Flickr)
A Copenhague, les pays développés s'étaient engagés à aider dès 2010 ceux en développement. Malheureusement, sur la question, l'Hexagone ne se montre pas sous son plus beau jour. Malgré ses jolis discours.

Ces financements précoces (ou fast start en anglais) de 30 milliards de dollars (23 milliards d’euros) entre 2010 et 2012 doivent être « nouveaux et additionnels » et répartis de manière équilibrée entre les différents secteurs bénéficiaires (adaptation, atténuation, forêts). Dans ce cadre, l’Union européenne a pris un engagement de 7,2 milliards d’euros sur les trois ans, dont 2,2 milliards pour l’année 2010. La France s’est engagée à 1,26 milliard d’euros sur trois ans.

Le financement fast start était une sorte de gage de la part des pays développés pour montrer leur bonne volonté, alors que le niveau de leurs réductions d’émissions était (et reste) trop faible. C’était également le moyen d’obtenir le soutien de la part des nombreux pays en développement pour l’accord de Copenhague, qui était très mal perçu car négocié en dehors des procédures de la Convention.

Un an après, faire le point

Un an après Copenhague, la société civile et les pays en développement souhaitent savoir ce qu’il en est de ces belles promesses ; pareillement, les pays développés cherchent à montrer le respect de leurs engagements afin de gagner en crédibilité. Comme il n’existe actuellement pas de cadre centralisateur des informations sur les financements, il est difficile pour qui que ce soit d’avoir un aperçu du respect des engagements.

En matière de transparence, l’Union européenne veut jouer l’élève modèle, afin d’affirmer son leadership. Elle l’a fait par la publication au début du mois d’un rapport détaillant les engagements de ses Etats membres et de la Commission. Ici à Cancún, elle a sorti le grand jeu dès le deuxième jour : conférence de presse, « side event » (conférence) de deux heures, belles brochures avec différents niveaux d’informations…

En attendant d’avoir un système de contrôle officiel dans le cadre de la convention (voir les discussions sur le système MRV/ICA), on ne peut que se féliciter de cette volonté de transparence ; on souhaiterait que les autres pays développés fassent autant que l’Union européenne (à ce sujet, on remarque qu’ils ont pour la plupart apporté des informations sur le site Fast Start Finance mais que celles-ci y sont moins détaillées).

Mais la transparence ne fait pas à elle seule exemplarité. Il existe des lacunes importantes dans l’action de l’Union Européenne, ou plus exactement dans les choix de certains Etats membres en premier lieu desquels la France.

Les enjeux, les questions

- Additionalité et nouveauté

Comme mentionné plus haut, les financements doivent être « nouveaux et additionnels ». Bien que l’expression soit présente dans la Convention (article 4.3) depuis sa création en 1992, il n’y a jamais eu de définition acceptée à l’échelle internationale. Ceci revient, de fait, à laisser chaque pays donateur le soin de se fixer les règles qu’il entend pour le respect de ses propres engagements.

La Commission européenne avait lancé au cours de l’année 2010 la proposition d’une harmonisation au sein de l’UE, mais cette dynamique a été stoppée par l’opposition de plusieurs Etats membres, dont la France. Il n’y a donc pas d’harmonisation à l’heure actuelle.

Pour déterminer que quelques chose est « additionnel », il faut avoir un repère (une baseline). Pour la plupart des pays en développement, ce repère implicite est l’engagement de 0,7% du PIB au titre de l’aide publique au développement (APD). Une autre acception est que les financements sont additionnels par rapport au niveau de l’APD pratiquée (qui est inférieur aux 0,7% dans la plupart des cas). Une autre possibilité encore est de déterminer une année de référence (par exemple 2009, l’année de l’accord de Copenhague) ; c’est par exemple le choix de la Commission européenne pour les financements qu’elle apporte.

Et une dernière solution, la plus pratique, est de ne pas choisir de référence, comme le fait la France en considérant que tous les nouveaux projets de l’année 2010 correspondent à des financements « nouveaux et additionnels ».

L’argumentaire développé par la délégation française est qu’il n’est pas possible de débloquer de l’argent en 2010 si tardivement dans l’année (l’accord de Copenhague a été signé en décembre 2009), et que de toute façon, la France avait déjà augmenté ses efforts. « Elle faisait du financement fast start sans le savoir, comme M. Jourdain de la prose », selon l’expression de Brice Lalonde, ambassadeur climat pour la France.

Evidemment l’argument ne tient pas pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il est stupide de s’engager sur quelque chose qu’on sait ne pas pouvoir respecter. Ensuite par ce qu’il existe la possibilité de réaliser une loi de finance rectificative ; il y en a eu trois cette année, mais la question des financements précoces n’a pas été étudiée. Enfin parce que l’accord de Copenhague ne parle pas d’un montant par an, mais sur trois ans : la France aurait pu porter la majorité de ses efforts sur 2011 et 2012 (c’est ce que prévoit de faire l’Allemagne par exemple).

- Prêts et dons

Un autre enjeu est la répartition entre prêts et dons. Si les prêts peuvent être adaptés à certains projets mécaniquement rentables (en matière d’atténuation des émissions en particulier), d’autres projets (surtout liés à l’adaptation) nécessitent impérativement des soutiens publics sous forme de dons.

La plupart des ONG appellent à augmenter la part de dons dans les contributions ; elles justifient cela par les besoins pour l’adaptation ainsi que des risques d’accroître l’endettement des pays bénéficiaires de « l’aide ». La réponse de l’Union européenne est que les prêts sont accordés selon le respect du « cadre pour l’endettement soutenable » (debt sustainability framework), et que les prêts permettent d’agir sur des secteurs rentables de manière efficace (pour lesquels des dons seraient un gaspillage d’argent).

On peut accepter ces deux arguments de l’UE. Mais il existe une limite énorme malgré tout : doit-on comptabiliser 1 euro prêté comme égal à 1 euro donné ? Car c’est actuellement le cas : les 2,2 milliards d’euros débloqués en 2010 sont indifféremment prêtés ou donnés.

Evidemment, cela n’est pas logique. Si on peut soutenir l’usage des prêts, on ne devrait cependant compter que le « coût » pour le pays créancier comme entrant dans le respect de son engagement international. Par exemple, si la France fait un prêt de 100 millions d’euros et que ce prêt lui coûte, admettons, 10% du montant total (à cause du taux d’intérêt d’emprunt sur les marchés financiers, du coût d’opportunité, du coût de gestion, de l’inflation etc.), seuls 10 millions devraient être comptés comme entrant dans son engagement international, et non la totalité de la valeur du prêt comme c’est le cas actuellement.

Ceci conduit à une situation tout à fait inéquitable à différents niveaux : entre pays donateur et pays bénéficiaires d’une part, et au sein des pays donateurs d’autre part. Alors que la France réalise 91,5% de prêts pour satisfaire son engagement, l’Allemagne n’en fait que 46% ; l’Autriche, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovaquie, la Suède, la Commission européenne ne font aucun prêt. Autrement dit quand la grande majorité de l’UE dépense 1 euro pour respecter son engagement, la France se débrouille pour ne dépenser que 0,1 euro.

Evidemment, les autres gouvernements ont tout intérêt à adopter la même stratégie que la France : afficher la même chose pour moins cher. C’est ce qu’a fait l’Allemagne, en révisant au cours de l’année passée ses modes de comptabilité pour se rapprocher du modèle français. La France tire l’Union européenne vers le bas.

Au niveau global, l’Union peut afficher fièrement qu’elle réalise environ 50% de prêts et 50% de dons. La France peut dire merci aux autres pays de l’Union européenne. Mais qu’en sera-t-il l’année prochaine ? Si les autres gouvernements suivent la France, ce qui serait logique, il y aura 90% de prêts avec un même niveau de décaissement total. Soit une réduction très forte des flux nets Nord-Sud.

Le « fast start » dans les négociations actuelles

C’est le jeu des négociations que de chercher à montrer en permanence que l’on a raison ; la France et l’Union européenne sont comme tous les autres pays. En revanche, il est nécessaire de tirer les leçons pour l’avenir. Concernant les promesses de financements cela peut se décliner de plusieurs façons :

- A court terme, la France devrait revoir ses critères pour les financements fast start pour les années 2011 et 2012. Elle pourrait choisir de mettre réellement davantage d’argent sur la table sous forme de dons et/ou compter uniquement la concessionalité des prêts dans ses engagements.

- Mais surtout, dans les négociations sur les financements de long terme, la position de la France devrait évoluer afin de porter au sein de l’Union européenne (voire au sein des négociations elles-mêmes) la nécessaire discussion sur l’établissement de définitions sur ce que sont des financements « additionnels et nouveaux » (afin qu’il ne soit plus possible de réaliser de telles manipulations) et sur ce qu’est une répartition équilibrée des financements entre adaptation et atténuation. Ceci devrait se faire en temps utile (évidemment), mais la France pourrait d’ores et déjà notifier publiquement sa volonté de faire évoluer sa position.

Ces choix sont fondamentalement politiques : ils correspondent à une certaine vision des relations internationales (respect de la parole, équité Nord-Sud, responsabilité historique assumée…). Ils ont des conséquences substantielles sur les relations européennes, à n’en pas douter. Ces choix ne pourront donc être opérés, au minimum, qu’à l’échelle de Bercy et du ministère de l’Environnement. La France a sur d’autres chapitres (tels que celui des financements à long terme) une position qui semble être tout à fait progressiste. Ces petits bidouillages sur les financements précoces ne peuvent que lui être dommageables en la discréditant. Espérons que Mme Kosciusko-Morizet arrivera à Cancún avec une bonne surprise et annoncera une évolution de la position française sur ces enjeux.

Ce billet est originellement paru sur le site Adopt a negociator

Mots-clés : Géopolitique | Climat
COMMENTAIRES ( 2 )
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  • Article fort intéressant.

    Dommage que les journalistes mainstream n’aillent pas aussi loin dans l’analyse des contributions financières.

    7.12 à 12h30 - Répondre - Alerter
  • Dam’s : Bel article !

    J’apprécie le rajout des accents sur les ú de Cancún ;-)
    Je vais garder ça précieusement dans mon dossier changement climatique pour le sortir au moment opportun...

    2.12 à 23h50 - Répondre - Alerter
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A PROPOS

Etudiant en sciences et politiques de l’environnement. « Tracker France » pour le site "Adopt a negociator", qui vise à donner accès à la société civile aux négociations sur le climat à travers le regards de jeunes venus du monde entier.

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