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28-02-2013
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Interview

« Arrêtons de penser que les grandes infrastructures sont salvatrices »

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« Arrêtons de penser que les grandes infrastructures sont salvatrices »
(Crédit illustration : Véronique Joffre pour « Terra eco »)
 
Une dose de péages urbains et des logements de qualité, bon marché et proches des zones d’emploi : voilà les remèdes préconisés par l’urbaniste Marc Wiel pour contenir l’étalement de la ville.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Pour enrayer la pollution et limiter la place de la voiture, les villes développent les transports publics. Avec quel impact sur nos déplacements ?

Faible, pour l’instant. Une mutation s’est indéniablement opérée dans les esprits avec le redémarrage de l’investissement dans les transports publics, car les questions environnementales et énergétiques ont pris le dessus. Mais les pratiques ne changent guère : on a un peu ralenti la construction des routes là où ça coûtait trop cher ou parce que les oppositions locales étaient trop fortes, comme le contournement de Strasbourg (Bas-Rhin) (1). Mais dès que c’est possible, on bitume. Par exemple, pour le périphérique de Caen (Calvados). De plus, les résultats des alternatives à la voiture sont mitigés : malgré la construction d’un réseau de tramway dans l’agglomération bordelaise, la part modale des transports n’y a gagné que 1 % en dix ans, pour atteindre 11 % des déplacements. On continue en fait à avoir un défaut d’analyse : le Grenelle de l’environnement a ratifié l’opposition frontale entre le « tout-voiture » et les transports publics, en oubliant la dimension financière faramineuse des projets. Il faut arrêter de penser que les grandes infrastructures sont salvatrices, et se préparer à devoir bricoler.

Bricoler ?

C’est l’esprit de ce que j’ai proposé pour le Grand Paris, dont les débats se sont réduits à un choix entre deux réseaux de transport, avant de quasiment les additionner. Or, le problème est avant tout politique : en région parisienne, les collectivités locales n’arrivent pas à jouer collectif. Elles n’ont pas les mêmes règles du jeu fiscales pour l’installation des ménages et des entreprises, ni la péréquation financière qui permettrait aux communes riches d’aider les plus pauvres. Leur concurrence contribue à l’étalement urbain. Et on continue d’appuyer sur l’accélérateur en laissant les grandes infrastructures périurbaines routières gratuites. On ne veut pas toucher à ce droit acquis à la vitesse.

Prônez-vous le péage urbain ?

Oui, si c’est un péage de l’usage des infrastructures routières rapides (plus de 70 km/h). Aux Etats-Unis, sur la voie express 91, en Californie, des péages se mettent en place sur certaines voies dès qu’un axe est congestionné, et les tarifs évoluent en fonction des heures et du trafic. Celui qui doit aller vite paie. Cela permet de redistribuer les flux, et cela désavantage ceux qui prennent leur voiture pour faire trois kilomètres. Mais les Français ne veulent pas en entendre parler, même si le Grenelle a donné son feu vert à des expérimentations.

Mais ces péages pénalisent les banlieusards moins riches…

Dans tous les centres historiques très inadaptés, le péage urbain de zone se conçoit, comme en Italie. Chez nous, le meilleur péage urbain de zone reste le stationnement payant, qui existe déjà. Le modèle de péage d’infrastructures d’Oslo, en Norvège, qui curieusement sert à financer les routes, où de zone à Londres, en Angleterre, qui donne la priorité aux salariés et visiteurs de la City, me semblent moins convenir à ce qui serait nécessaire à la France pour avoir un impact sur l’étalement urbain.

L’explosion du trafic automobile est-elle une conséquence ou une cause de l’étalement urbain ?

Ce n’est pas une cause, mais une condition permissive. Les gens ont quitté les parties compactes des agglomérations car ils ne voulaient plus vivre entassés, et cherchaient des logements plus grands et à bon prix. Et ils ont profité des surinvestissements des années 1960 et 1970 pour l’automobile, considérée comme le symbole du progrès, quand les transports publics paraissaient ringards. Les ingénieurs ont construit de la même manière les autoroutes entre les villes et à l’intérieur des villes, sans hiérarchiser le réseau, ni différencier les mobilités, selon leur nature.

Comme si c’était la même chose d’aller acheter des allumettes et de partir en voyage à l’étranger ! Cela a rendu possible l’éparpillement urbain, car les gens ont pu s’installer à 10 ou 20 kilomètres de leur travail sans perdre de temps – ce qui concerne maintenant environ un tiers des Français travaillant dans les agglomérations. Le vrai critère de choix est l’accès au logement, mais la vitesse bon marché est le facteur déterminant qui a rendu possible la satisfaction de la demande de logement. Et cela a engendré une « sur-mobilité » : les déplacements sont deux à trois fois plus longs pour les personnes habitant dans un secteur peu dense et mal équipé, comme les couronnes périurbaines des agglomérations.

Certains lient l’étalement urbain à notre géographie, qui a amené les ingénieurs à construire des systèmes pour relier le plus vite possible des villes éloignées. Ce problème est-il très français ?

Non. Mais en Allemagne, au Danemark ou aux Pays-Bas, on s’est rendu compte plus tôt de l’inconvénient des routes rapides et gratuites, car la densité de population y est beaucoup plus importante et la préservation des espaces, capitale. Ils ont privilégié le cadencement (transports fréquents et réguliers, ndlr) à la vitesse. Dans la pensée des Ponts et Chaussées, notre grand corps d’ingénieurs, la mobilité se conjugue au singulier : assurer un trajet le plus rapide possible là où il y a de la demande, quel que soit le motif de déplacement. Cette obsession de la vitesse est en fait une vision complètement « économiciste » de la mobilité : « le temps, c’est de l’argent ». Et les bassins d’emploi qui s’écartaient peu autrefois des agglomérations se sont considérablement dilatés, faisant exploser littéralement la ville.

Peut-on faire machine arrière ?

La responsabilité est double : l’étalement urbain résulte du fait d’avoir traité indifféremment les mobilités urbaine et interurbaine, et ne pas avoir corrigé les inconvénients de la rente immobilière, c’est-à-dire le coût plus élevé du logement selon sa localisation. On a laissé la ville devenir un objet spéculatif, un placement financier jugé beaucoup plus sûr et rentable à long terme que la Bourse. Parallèlement, après l’échec des grands ensembles, la puissance publique a douté de sa capacité à produire une urbanisation répondant aux attentes de la population. Il y a eu une sorte de renoncement – « On a assez fait de conneries avec nos ZUP, le marché sait mieux que nous ce que sont les désirs des gens » –, d’ailleurs contemporain de la financiarisation de l’économie. Nous payons aujourd’hui cette perte de repères sur l’importance du service public. Si on voulait renverser la vapeur de l’étalement urbain, il faudrait pouvoir financer des alternatives, en offrant aux gens des logements de qualité, peu chers et plus près de leur emploi, tout en instaurant des péages urbains pour leur signifier que la vitesse urbaine se paie. Or, le péage est un sujet tabou, et l’argent public destiné aux primo-accédants à la propriété (prêts à taux zéro…) profite surtout à ceux qui construisent loin. On pourrait pourtant imaginer des aides conditionnées à une insertion du logement dans l’espace public. Tout le système de financement du logement comme de l’aménagement est à revoir.

L’augmentation des prix des carburants a-t-elle un impact ?

Si les prix à la pompe, qui pèsent 25 % du coût d’un trajet en auto, triplent, cela ne fera que doubler le prix du kilomètre automobile. Cela restera absorbable dans le budget pour beaucoup d’automobilistes. Mais cela sera très dur pour les ménages perdus dans le périurbain lointain. Ceux qui ont un emprunt immobilier et une situation précaire seront doublement piégés, car leur maison ne vaudra plus grand-chose. Il n’est donc pas illogique – même si les motivations sont sans doute plus complexes – que se retrouvent déjà dans le vote Front national beaucoup de gens qui ont fait le pari du périurbain lointain. Ils se rendent compte qu’ils sont vulnérables, notamment au coût de l’essence, et cherchent tous les relais d’opinion pour pousser une gueulante.

Les modes de transports alternatifs pourraient-ils répondre à leurs attentes ?

C’est l’ambition des trams-trains ou des bus à haut niveau de service. Mais cela bute sur le coût d’investissement et de fonctionnement : il faut payer les chauffeurs. Pour l’usager, le coût de la mobilité est aussi élevé en auto qu’en transport public : 30 centimes le kilomètre. Mais dans un cas, cela rapporte de l’argent à l’Etat, via les taxes sur les carburants, tandis que dans l’autre, les trois quarts des coûts sont supportés par les employeurs et les pouvoirs publics. Les transports en commun ne devraient donc pas être considérés partout comme un substitut à la voiture. En revanche, les villes qui affichent la plus faible part de transports en voiture sont celles où le vélo s’est massivement imposé, comme Copenhague, au Danemark, ou Amsterdam, aux Pays-Bas. La petite reine est plus efficace que l’auto, du moins sur les trajets courts, qui représentent la plupart des déplacements en ville.

Et à l’échelle des agglomérations ?

Le covoiturage et l’autopartage ont un bel avenir. Pour tenter de contrarier la périurbanisation, il faudra surtout miser sur les prochains Scot (schéma de cohérence territoriale, incluant désormais les plans de déplacements urbains, ndlr). Attention toutefois à ne pas voir l’étalement urbain comme une pathologie de la ville, dont on se détourne pudiquement. Le débat ne se situe pas entre une bonne ville dense et une mauvaise éparpillée. Il ne s’agit pas non plus de considérer les gens qui vivent en périphérie comme des barbares : ils y sont car on n’a pas su prendre en compte leurs attentes. Nous sommes responsables des problèmes futurs de ces territoires. Les aider à mieux s’organiser sera indispensable si on ne peut dégager assez d’argent public pour permettre la reconquête de la ville sur la ville. —

(1) Très contestée localement, la construction du contournement ouest de Strasbourg a été suspendue à la suite du retrait du concessionnaire, Vinci.


Bus et téléphériques, les transports qui montent

L’Etat vient de débloquer 450 millions d’euros pour les projets de transports en commun en site propre (TCSP). Une quarantaine de chantiers sont en cours, dont cinq lignes de métro, dix-huit de tramway, et trois navettes fluviales. Mais la tendance est au téléphérique : deux fois moins cher qu’un tram, il arrive à Toulouse (Haute-Garonne) et Brest (Finistère). A Grenoble (Isère), la pionnière, on envisage des télécabines vers Chamrousse et Villard-de-Lans. Avec 29 réseaux en préparation, dont celui de Metz (Moselle), les bus à haut niveau de service (BHNS) décollent : l’investissement (de 4 à 10 millions d’euros le kilomètre) est trois fois moindre que pour un tram, et l’exploitation est moins coûteuse. Beaucoup plus rentable pour les villes moyennes. –

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  • Si les gens ont d’abord un besoin de bien se loger pour vivre. Le problème à résoudre est de ne pas les contraindre à se déplacer pour travailler à tout le moins de faire en sorte que le moins de monde possible n’y soit pas contraint chaque jour.

    Tout le monde at-il besoin d’être à son poste de travail toute la journée et pourrait-il le faire ailleurs ??

    Qu’est-ce qui coûte le moins cher : une pénétrante à 4 ou 6 voies ou un réseau de fibre à très haut débit maillant une grande agglomération ?? Travail chez soit ou dans des locaux collectifs équipés qui font des lieux de travail E-déconcentrés.

    Papapatron ou changement de forme d’organisation ?

    Il faudrait valoriser le temps passé en faisant considérer que la perte de salaire et de productivité est au départ du domicile jusqu’à l’entreprise et retour. Coût infrastructure, coût du E-travail et coût-eco-social

    27.03 à 16h24 - Répondre - Alerter
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