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16-03-2012
Mots clés
Santé
France

AZF, la cicatrice de Toulouse

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AZF, la cicatrice de Toulouse
(Le cratère formé par l'explosion, sur Google earth (DR))
 
C'est la fin des plaidoiries du procès en appel d'AZF. Troubles de l'audition, dépressions, douleurs corporelles... Dix ans après l'explosion de cette usine, de nombreux Toulousains souffrent toujours de la catastrophe.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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L’explosion de l’usine AZF, c’est un cratère de 40 mètres de long et profond de sept mètres. A quelques kilomètres du centre-ville de Toulouse. Aujourd’hui, rien qu’une image, encore réelle sur Google earth. Le béton a repris le dessus, un mémorial a été dressé et un Centre mondial de recherche contre le cancer a été construit sur une partie du site.

Mais pour beaucoup de Toulousains, la plaie reste béante. L’Institut national de veille sanitaire (INVS) l’a rappelé le 21 septembre dernier lors de la commémoration du dixième anniversaire : « De septembre 2001 à juillet 2011, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Haute-Garonne a ouvert 11 618 dossiers pour des assurés déclarés comme victimes de l’explosion AZF. »

Des médecins démunis

Autour du cratère, il n’y avait plus rien ce 21 septembre 2001, à 10h18. L’explosion d’AZF (AZote fertilisant), usine qui fabriquait notamment des engrais pour l’agriculture, a duré une minute. Elle a tué une trentaine de personnes et balayé de nombreux bâtiments, détruit ou endommagé 27 000 logements, soufflé des vitres jusqu’à sept kilomètres alentour. Au moment de la catastrophe, près de 2 500 personnes ont été blessées, souvent par les éclats de verre. Depuis, troubles auditifs et/ou psychologiques ont touché des dizaines de milliers de Toulousains. Acouphènes, hyperacousie (sensibilité excessive aux sons, plus ou moins invalidante), dépressions dues au stress post-traumatique, insomnies sont les principales blessures à retardement. Aujourd’hui, elles n’ont pas disparu, voire se sont aggravées. Certains habitants ont développé un trouble psychologique plusieurs années après la catastrophe. Ils ont des flash-backs, des souvenirs douloureux et des cauchemars persistants. D’autres cumulent acouphènes et dépression et sont obligés de rester inactifs.

« Je vois toujours des blessés aujourd’hui, témoigne l’ostéopathe Daniel Blanc. Ce sont des gens qui gardent des douleurs au dos ou à la tête. » Ce médecin, anciennement installé au centre mutualiste de Bellefontaine, se dit scandalisé par le manque de moyens adaptés à la souffrance des Toulousains. « Les psychiatres étaient démunis, n’étaient pas formés à soigner la dépression post-traumatique, une pathologie courante en zone de guerre. On s’est débrouillé avec les médicaments », explique-t-il. Car si des cellules psychologiques se sont montées dans l’urgence il y a dix ans, peu de structures ont pris le relais depuis.

(Crédit photo : Anaïs Gerbaud)

Route d’Espagne (voir la carte ci-dessous), les habitants étaient aux premières loges de l’explosion. Ils le sont toujours, comme en témoigne un pharmacien de la rue [1] :
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« Je ne dors plus... J’ai dû arrêter de travailler »

Mohammed et Brahim, rencontrés à la sortie du dernier procès, assistaient aux audiences sur les bancs des parties civiles. La parole balbutiante, ils décrivent leurs souffrances, leur vie brisée depuis cette catastrophe. Mohammed, 58 ans, habitait dans le quartier de Bellefontaine (photo ci-dessous). Le 21 septembre, il rentrait du travail. Au moment de l’explosion, il était sur la rocade, à quelques minutes de chez lui. Quand il a pu, il a déménagé à Basso Cambo, un quartier au sud de Toulouse. « C’est mieux, on oublie ce qui s’est passé. » Il est incapable de travailler.

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Le plus difficile pour Mohammed, c’est l’avenir de ses fils. « L’un d’eux a 27 ans. Il ne sort pas, il reste à la maison. Il a été suivi, il prend des médicaments. Je ne sais pas quoi faire. Nous avons été bien pris en charge au début mais aujourd’hui, personne ne nous dit quoi faire, comment l’aider. On est oubliés par la société. »

(Crédit photo : Anaïs Gerbaud)

Brahim, 52 ans, habitait dans le bâtiment B à la cité du Parc, à quelques centaines de mètres d’AZF. Son appartement a été détruit. Après avoir connu plusieurs logements d’urgence, il habite aujourd’hui à Bagatelle, un des trois quartiers du Mirail avec la Reynerie et Bellefontaine. Victime d’acouphènes et d’une dépression chronique, ce père de six enfants est resté en hôpital psychiatrique pendant trois mois en 2001. Sauf un qui n’était pas à Toulouse le 21 septembre, il dit que tous ses enfants ont des problèmes psychologiques. « L’avant-dernier dort très mal. Il fait des cauchemars, il est somnambule. » Une des trois études de l’INVS est d’ailleurs consacrée aux conséquences sanitaires chez les enfants. « Ce qu’on a vécu est choquant. La cicatrice restera », continue Brahim. Lui et Mohammed sont assidus des audiences qui ont lieu autour d’AZF (voir encadré). « Si ce procès aboutit à quelque chose, on sera un peu soulagés. Si on sait ce qui s’est passé, on aura l’esprit plus tranquille ».

Si les quartiers du Mirail n’étaient pas les seuls à proximité du site, c’est là qu’AZF a fait le plus de dégâts. Ironie du sort, AZF ou anciennement l’ONIA (Office national industriel de l’azote) employait beaucoup d’habitants du Mirail. C’est une population défavorisée, souvent issue de l’immigration. « Les quartiers les plus proches du site sont des quartiers principalement peuplés d’ouvriers et d’employés, et cumulant des indices socio-économiques plutôt défavorables (15% de chômeurs selon le recensement de la population de 1999) », explique l’INVS. Or « à niveau d’exposition égal, plus les gens sont défavorisés, plus ils développent des troubles », affirme Thierry Lang, médecin épidémiologiste et ancien président du comité scientifique autour d’AZF. De même, dans un milieu social pauvre, les gens sont moins enclins à dire leurs souffrances.

« Tous les deux-trois ans, les gens quittent le Mirail, quand ils peuvent », confie le médecin Daniel Blanc. Il fait partie de ceux qui dénoncent un abandon du Mirail par les secours lors de l’accident. « J’ai remarqué que les pompiers n’étaient pas du tout intervenus sur le quartier du Mirail, ils ont dit qu’ils attendaient une catastrophe chimique. Tout un quartier a été totalement abandonné », déclarait-il à un colloque de l’INVS en 2006.

« Un deuil s’efface, mais pas ça »





(Crédit photo : DR)

Guy Fourest habite route de Seysses, à quelques centaines de mètres de l’usine. Sur cette photo prise au moment des faits, on peut voir sa maison ravagée par la catastrophe. Président du comité de défense des victimes d’AZF, il reste très marqué par la catastrophe. Troubles auditifs, psychologiques ou sexuels, il décrit les traces que l’explosion a laissées chez lui et ses voisins.

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Selon les données de la CPAM, 5 000 Toulousains ont entamé un traitement psychotrope immédiatement après le 21 septembre, alors qu’elles n’en prenaient pas auparavant. L’institut a établi un lien entre la distance géographique et la fréquence des pathologies. Comme on peut le visualiser sur la carte ci-dessous, trois zones ont été délimitées : l’éloignée (E) qui concerne toute la ville, la zone proche (P, en bleu) qui englobe une aire de trois kilomètres autour de l’épicentre (triangle) et une zone très proche, dans un rayon de 1 700 mètres (en rouge). Les données les plus récentes datent de 2007 et concernent un ensemble de 3 006 volontaires parmi des travailleurs et sauveteurs. On sait ainsi qu’en 2005, sur cet échantillon, les symptômes dépressifs concernaient 34% des hommes et la moitié des femmes. En 2007, les proportions étaient respectivement de 42% et 60%. Si l’on prend en compte le critère géographique, quatre ans après l’explosion les hommes qui se trouvaient à moins de 1,7 kilomètre du site étaient trois fois plus nombreux à consommer des médicaments antidépresseurs que ceux qui étaient à plus de 5 kilomètres. Chez les femmes, sur les mêmes distances, cette consommation est une fois et demie plus élevée.


Afficher Conséquences sanitaires d’AZF sur une carte plus grande

Les statistiques sur l’ensemble de la population toulousaine datent de 2003. Dix-huit mois après la catastrophe, « près d’une personne sur cinq se trouvant à moins de 1 700 mètres au moment de l’explosion a déclaré ce type de séquelles et plus d’une personne sur dix avait un proche souffrant de troubles auditifs », selon le rapport final publié en 2006. Du côté de la santé mentale, « 7% des habitants ont déclaré avoir reçu de l’aide de la part d’un psychiatre ou psychologue. Environ le quart des résidents de la zone proche (près de 6% en zone éloignée) a déclaré avoir pris au moins un traitement psychotrope du fait de l’explosion. » Un an et demi plus tard, « plus d’un traitement sur deux était encore en cours, ce qui correspond sur l’ensemble de la ville à une estimation de 14 000 personnes sous traitement à la date de l’enquête », poursuit le rapport.

Les victimes de ces troubles sont-elles toutes connues ? Thierry Lang lui-même n’en est pas convaincu, surtout en ce qui concerne les enfants. « Voilà, typiquement une population qui ne s’exprime pas. (…) On s’est aperçu qu’on avait des instruments de mesure du désarroi mental chez les enfants qui sont extraordinairement préhistoriques », déclarait-il lors du colloque de l’INVS en 2006.

Le procès en appel se termine cette semaine. Au terme de quatre mois d’audiences, le parquet général a requis dix-huit mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende contre Serge Biechlin, l’ex-pédégé de la société Grande Paroisse, propriétaire de l’usine (filiale de Total, ndlr) et 225 000 euros d’amende contre celle-ci. Le parquet accuse Grande Paroisse de négligences et de dysfonctionnements dans la sécurité de l’usine. L’accusation estime que cette situation a permis la rencontre de deux produits incompatibles, du DCCNa (dichloroisocyanurate de sodium, un désinfectant) apporté par erreur dans une benne sur un tas de nitrate d’ammonium (engrais ou explosif minier) stocké dans le hangar 221. En première instance, malgré ces négligences déjà démontrées, les prévenus avaient été relaxés, faute de preuve matérielle. Cette fois, plus d’éléments attestent ce scénario, selon l’avocate des familles endeuillées Stella Bisseuil. « On a pu voir les erreurs de l’industriel dans le détail, notamment sur le circuit des déchets. »

Daniel Soulez-Larivière, avocat de Grande Paroisse, a mis en cause dans sa plaidoirie « la construction délirante » de la thèse officielle de l’accident chimique. Selon lui, il est impossible de condamner l’industriel sans la preuve matérielle du déversement de la benne. Il affirme que si c’était le cas, la cour se trouverait face à « un problème constitutionnel  ». La cour d’appel rendra son arrêt fin septembre.

[1] Il a souhaité rester anonyme. Hormis les propos des avocats et de Thierry Lang, tous les témoignages de cet article ont été recueillis entre novembre et décembre 2011

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